Ils ont beau avoir changé de bannière, être passés du rouge au vert et de Marx à Macron, Daniel Cohn-Bendit et Romain Goupil sont plus que jamais des enfants de 68. Pourquoi donc ? Car ils jouissent sans entrave de leur liberté de penser !

En intellectuels propulsés de l’Ancien Monde vers le Nouveau, en créateurs invétérés véritablement insoumis – eh oui ! – ces derniers nous servent donc, accompagnés du producteur George-Marc Benhamou, un documentaire ovni sur la France d’aujourd’hui. Titre : La Traversée. Forme : road-movie poétique et politique, film foutraque et déjanté. L’idée ? Cinquante ans après 68, Dany et son compère Romain ont sillonné la France d’est en ouest, du nord au sud, à la rencontre de ses habitants. Le tout avec un objectif en tête : sortir de Paris, c’est-à-dire du prétendu entre-soi élitiste vertement dénoncé par tous les populistes, pour entendre et comprendre le pays. Sa colère et sa désespérance. Mais aussi ses bonnes volontés. Au programme donc, 15000 kilomètres parcourus en voiture, à travers autoroutes, nationales et petits chemins de montagne. Un périple. Une aventure. Autant de rencontres provoquées au culot, sans repérages nous dit-on. Hormis les nantis, tout y passe, surtout la France d’en bas, celle des déclassés, des menacés. La France qui vote FN sans se cacher, la France des chasseurs, celle qui n’aime pas les arabes et les immigrés. A Béziers, le tandem Goupil – Cohn-Bendit est venu retrouver un ancien camarade de lutte, le cofondateur de Reporters Sans Frontières et actuel maire : Robert Menard. Pourquoi ce dernier a-t-il basculé ? Comment a-t-il pu passer d’un camp à un autre ? La faute au réel, explique le principal intéressé dans une scène étonnante. Le documentaire joue aussi sur les ruptures. Coupant à travers champs, le duo tombe, par hasard, sur une centrale nucléaire. Goupil taquine alors son camarade écolo. Les deux hommes ne perdent pas plus de temps. Ils partent à la rencontre d’agriculteurs qui ont décidé de vendre leur lait en vente direct. Une véritable révolution. Ainsi se poursuivent les sauts de puce. Cheminant vers le Nord sinistré, dans cette autre France cruelle de la désindustrialisation, les documentaristes écoutent une mère seule, vivant du RSA et des ouvriers qui ont tout perdu. Quelles perspectives, quelles solutions ? Cohn-Bendit ne promet rien. C’est d’ailleurs bien la force de ce documentaire qui n’avance aucune thèse, préférant laisser à celui qui regarde le soin de réfléchir.

 

Comme les héros de Kerouac, Goupil et Cohn-Bendit ne savent pas ce qu’ils cherchent lorsqu’ils se décident à prendre la route. Pas de promesse. Rien d’écrit à l’avance. Ils voient et apprennent sur le tas. En résulte une forme qui peut décontenancer. Pas de prémâché. Puisqu’il n’a plus vingt ans, puisque Goupil n’est plus «trotskard» comme le dit son complice, le documentaire ne suit aucun fil rouge. Libre ! Pas toujours simple à suivre. De la télé exigeante, qui pour une fois ne souffre pas de l’excès de coupures et de montage. A Saint-Nazaire, Dany retrouve un ouvrier des chantiers navals rencontré en 1968. Il a la mine rieuse, se rappelle – sans vraiment se l’avouer – du bon vieux temps. En bon juif allemand, c’est-à-dire en figure réactivée du juif errant, le rouquin qui fit jadis frémir la France gaulliste observe le port et les docks à l’organisation bouleversée. Il ne les comprend pas immédiatement. Moins d’hommes s’affairent ici. Il y a des machines partout. Ce qui n’empêche pas les corps de souffrir encore. Certains sont encore cassés, broyés, au sens propre comme au figuré. Sans être exhaustive, La Traversée n’élude pas non plus la France dite « des quartiers ». Et puisque l’Islam trouble tant certains de nos citoyens, Goupil pose sa caméra dans une mosquée, interroge une jeune femme voilée, raconte deux Islam. L’Islam compatible avec la République et celui qui désire ardemment sa chute. Une scène forte suit. On y observe, bouche-bée, un éducateur toulousain du quartier des Izards expliquer son projet éducatif. C’est ici, dans son petit club de football, que jouait jadis Mohamed Merah… Reste, pour finir, le clou du spectacle : une rencontre irréelle avec le Président Macron. La scène se déroule dans un café, à Francfort. Pas de côté. Cohn-Bendit et Goupil s’y écharpent gentiment sur la question de savoir comment il faut mettre en scène la rencontre à venir avec le nouveau Président de la République. Faut-il aller tourner à l’Élysée, au risque de se faire enfumer ? Pourra-t-on vraiment poser toutes les questions, même celles qui fâchent ? Et puis la caméra dézoome. Comme dans un songe, Emmanuel Macron apparaît. Il se trouve assis entre les deux documentaristes s’engueulant presque. S’amuse. Propose sa solution : se retrouver dans la plus pure tradition intellectuelle, à la table d’un café pour débattre. Scène puissante car éminemment philosophique. Scène intéressante car le jeune Macron, en bonapartiste accompli, y dévoile sans fard sa vision très personnelle du pouvoir. Scène mémorable, enfin, car elle s’achève sur des images de la route de Calais. S’y concentrent des migrants auxquels on n’apporte peu de réponse, si ce n’est, trop souvent, l’aveugle répression. La force du propos documentaire réside alors en ce qui est dit mais surtout en ce qui est montré. A l’écran, les images de murs de protection finissent par recouvrir la voix du Président. Chaque jour, aux abords de de cette même route, des migrants traités comme des sous-hommes tentent leur traversée. Nettement moins rieuse, aussi dangereuse qu’incertaine, celle-ci doit les mener jusqu’en Angleterre… Cohn-Bendit et Goupil ne se sont pas démontés. Cette réalité française là, ils ont aussi voulu la montrer.


La Traversée, de Romain Goupil, Daniel Cohn-Bendit. 140min.

Siècle Productions. A voir en VOD et sur France Télévicion.

Un commentaire

  1. On connaissait le concept de l’État voyou, il faudra désormais compter sur la Fédération voyouse de football. La force de dissuasion a trouvé son pendant alterlégaliste dans l’attentat hyperterroriste. Ce dernier sera appréhendé sous son angle qualitatif et non plus au seul prisme, difficilement justifiable auprès d’une opinion d’autant plus cruciale qu’elle est occidentale, de la tuerie de masse. L’arme de destruction massive pointée sur la star internationale se targue de mettre à genoux la transnation dont la pop idol a conquis la supracitoyenneté. La Fédération de Palestine de football appelle à un autodafé visant (les maillots de) Lionel Messi en cas de participation du quintuple Ballon d’or au match amical Argentine-Israël. L’Argentine recule face à une bande de minus que sa pointure devrait intimider. Eichmann et Mengele se frottent les métacarpes. Le FPLP, branche armée du Fatah que préside le très quiétiste Abou Mazen que l’on demande aux séraphins du droit international de distinguer des djihadistes du Hamas sous peine d’être dieudonnisés à l’envers, serait en train de planifier l’assassinat du chef de l’Exécutif israélien. Un ernormous taboo de la diplomatie post-osloïte vient-il d’être levé?