Jeudi 12 mai, avec une chanson efficace mais débile à souhait, la chanteuse Netta Barzilai remportait la 63ème édition du concours Eurovision de la chanson. Sa chanson, invitait alors à l’émancipation des femmes et faisait écho au mouvement #MeToo. Bravo pour cela ! Pour le talent, par contre, il faudra repasser… Dès l’annonce de sa victoire, une curieuse vague de bonheur a déferlé sur Israël et la diaspora. Tout cela pour une chanson ultra-marketée chantée par une ex participante de télé-réalité dans un concours où l’altérité, le fait d’être femme, homosexuel, noir, juif, musulman, gros, maigre ou roux est devenu un moyen facile d’émouvoir les masses. Vite, un vote pour celui qui ne nous ressemble pas ! Vite, une voix pour cet autrichien noir (tiens, quelle curiosité !), cette israélienne en surpoids (c’est si amusant !), ce moldave à paillettes, cette chypriote en fauteuil roulant. Quelle médiocrité, quelle indignité…

Sous-culture

Tout cela pourrait paraître anecdotique. Une victoire dans un divertissement populaire, à une heure de grande écoute. Il n’en est rien. La scène raconte mieux que n’importe quelle tribune comment Israël, par la faute de son Premier Ministre, s’enfonce peu à peu dans une médiocrité jusque ici étrangère à son glorieux héritage. Comment Netanyahu, en somme, banalise la bêtise, se trumpise, et, ce faisant, menace jusqu’à la survie de son pays…

Quelques minutes après l’annonce du résultat, Bibi s’est précipité sur son téléphone. Il a appelé Netta Barzilai pour lui dire, «de vive voix», qu’elle était «la meilleure ambassadrice d’Israël». Les mots sont choisis. Netanyahou ne parle ni d’Amos Gitai, d’Amos Oz, de David Grossman ou de Daniel Barenboim. Il parle d’une gagnante de l’Eurovision… Son inénarrable ministre de la Culture, la droitière Miri Regev n’est pas restée en reste. Sur Facebook, la Sarah Palin israélienne, celle-là même qui parlait des migrants soudanais comme d’un «cancer»[1], «pire que les djihadistes»[2] et boycottait le festival du film israélien à Paris, écrivait : «Tu as apporté un cadeau merveilleux à Israël pour son 70e anniversaire et pour le 51e anniversaire de la réunification de Jérusalem». Si une victoire à l’Eurovision plonge le gouvernement israélien en pareille transe, on a peine à s’imaginer ce qu’il se passera en cas de prix Nobel, de Palme d’Or, d’Oscar… Comment cela, rien ?

 

Bibi, «nouvel ennemi d’Israël» ?

Lundi soir, Netta Barzilai se produisait à Tel-Aviv pour une performance gratuite «en l’honneur de sa victoire historique» relate i24News. Plus de 20.000 personnes ont répondu présent pour acclamer la jeune artiste. Euphorie donc. Et pourtant, le même jour était organisé en grande pompe le déménagement de l’ambassade américaine de Tel Aviv vers Jérusalem. Bilan des opérations : une droite israélienne conquise, un Netanyahu aux anges, un Trump réalisant une promesse de campagne mais surtout 55 morts, dont au moins huit enfants, et plus de 2.000 blessés, selon le ministère de la Santé gazaoui[3]. Ces chiffres sont parfois contestés, surtout sur les réseaux sociaux… Ils sont pourtant unanimement repris, par la presse internationale, par la presse américaine et par les médias israéliens. Sauf à penser que le New York Times ou Haaretz sont des relais de la propagande anti-israélienne, nous utiliserons les mêmes informations ! Reste une question, majeure, aux yeux des défenseurs zélés du pouvoir israélien : est-ce donc la faute de Netanyahou si le Hamas mobilise ses troupes à la frontière israélienne, si des fauteurs de troubles, des terroristes, des handicapés et des enfants parfois très jeunes, sont envoyés en première ligne face à Tsahal ? Certainement pas. Si le peuple palestinien est mené par des leaders déplorables, si la vie ne vaut rien au pays d’Abbas, si le Hamas paie 100 dollars les familles qui vont lancer des pierres à la frontière, ce n’est en rien le fait du premier ministre israélien. Par contre, si Gaza demeure ce qu’elle est, c’est-à-dire un foyer terroriste doublé d’une «prison à ciel ouvert» c’est au moins en partie la faute de Netanyahou. Qu’est-ce donc que Gaza aujourd’hui ? Un territoire bloqué, sans perspective, sans horizon, sans aucune possibilité d’évolution sinon la haine qu’on lui offre sur un plateau. «Prison à ciel ouvert», l’expression n’émane pas d’un blog du BDS. Elle était prononcée, en 2009 déjà, par le Président Sarkozy, peu susceptible de sympathies anti-israéliennes…

Ce sont aux responsables qu’il faut demander des comptes. Qui est au pouvoir depuis que le processus de paix n’avance pas d’un pouce ? Quel premier ministre laisse les religieux prospérer parfois contre l’intêret national et les colonies se deployer sauvagement, souvent en dépit du bon sens, depuis 9 ans ? Netanyahou ! A la longue, on pourrait estimer que Bibi joue contre son propre camp. On pourrait même écrire qu’en désirant à tout prix construire le Grand Israël, «Benjamin Netanyahu est devenu le nouvel ennemi d’Israël». Qui dit cela ? Leila Shahid ? Le Collectif Palestine ? Pas du tout : Maurice Szafran[4]. Là encore, certainement pas un ennemi du peuple israélien…

Un bilan économique médiocre

Poursuivons. Que fait Bibi pour son pays à part quelques démonstrations de force, vite démenties par les faits d’ailleurs, à la tribune des Nations Unies ? On parle de miracle économique, d’Israel comme «d’une oasis au milieu du désert», de start-up nation fascinante. Tout cela est vrai. Mais tout cela ne doit rien au gouvernement actuel. «Tout au contraire, en fait, écrit l’écrivain Ouri Wesoly[5] dans les colonnes de Regards, magazine juif belge équivalent de l’Arche outre-quiévrain. A l’intérieur, poursuit-il, selon un rapport de l’OCDE, en 2014, Israël a le plus haut taux de pauvreté parmi les pays développés. Il est de 21% (13,8% en 1995) : un Israélien sur cinq – un enfant sur trois – vivent dans la pauvreté. Seul le Mexique dépasse l’Etat juif quant au nombre de familles pauvres. Les écarts de revenus se sont accrus au point que seuls quatre États font pire.» On le sait depuis la révolte des tentes de 2011, la classe moyenne n’est guère mieux lotie. Les jeunes souffrent, se précarisent, Israël suit en cela le mouvement américain en devenant, inexorablement, une société vivant à crédit. Wesoly poursuit : «Le récent rapport du contrôleur de l’État constate que de 2008 à 2013, la construction de nouveaux logements s’est ralentie (sauf en Cisjordanie où le gouvernement a investi 2,25 milliards d’euros dans des colonies isolées). Moyennant quoi, le prix des logements en Israël a augmenté en 5 ans de 55%  et les loyers de 30%.  Et encore de 5% en 2014.  En même temps, la hausse constante du coût de la vie fait que, même avec deux salaires, nombre de familles risquent de basculer dans la pauvreté.» Bilan terrible, inconstatable là encore (sauf à penser qu’Ouri Wesoly serait un agent antisioniste). Et pourtant, grâce à la peur, Bibi est chaque fois réélu…

Qui est ce Trump que l’on suit ?

Accusé de corruption[6], Bibi sauve aujourd’hui sa tête en suivant Donald Trump dans son escalade. Déplacer l’ambassade américaine israélienne, la veille de la Nakba et du début du Ramadan, dans un contexte de tension déjà exacerbé, il fallait oser ! Donald Trump l’a fait, il a même tweeté pour l’occasion. «Big day for Israel. Congratulations !’on aurait voulu mettre le feu aux poudres que l’on ne se serait pris autrement… Le bilan est aujourd’hui lourd. Avant même d’exacerber l’antiaméricanisme primaire, c’est bien l’antisionisme crasseux et l’antisémitisme à peine masqué que celui-ci nourrit en sous-main. Netanyahou a donc choisi de suivre Donald Trump. Mais qui diable est ce Président américain là ? Un homme atteint «d’antisémitisme de ressentiment» ! Constat trop sévère ? Qui ose parler ainsi ? Bernard-Henri Lévy lui-même ! «J’ai lu les déclarations de Trump, explique le philosophe. Je les ai soigneusement consignées (…) Et la conclusion est claire. Cet homme a été – et est sans doute toujours – antisémite. Et c’est un antisémitisme spécial : celui d’un entrepreneur de Manhattan qui s’est senti snobé toute sa vie par l’establishment Juif new-yorkais, qui en a conçu une grande amertume et qui juge l’heure venue de se venger de ces humiliations.» Voilà qui Bibi suit…

Une question de responsabilité

On pourrait continuer longtemps ainsi, en prouvant combien les intellectuels israéliens, les grandes consciences juives de la diaspora et les amis de l’État hébreu se trouvent aujourd’hui en contradiction, jusqu’à la rupture, avec l’actuel ministre israélien[7]. Mais laissons le dernier mot à Georges Benayoun[8], réalisateur et producteur de plusieurs documentaires dont «Complotisme, les alibis de la terreur», «L’assassinat d’Ilan Halimi» et «Profs en territoires perdus de la République». Que dit-il ? «Netanyahu plastronne en animateur des festivités de l’inauguration de l’ambassade américaine à Jérusalem pendant qu’à Gaza, son meilleur ennemi, le Hamas, envoie à l’abattoir des milliers de palestiniens. Contraste obscène, criminel de part et d’autre. Le Hamas on savait, tellement prévisible dans son mépris de la vie de l’autre et des siens. De Bibi par contre, on espérait un sursaut de pudeur. Mais tout à son ivresse, frappé sans doute après ces trop longues années de pouvoir par le syndrome de Jérusalem, Netanyahu semble marcher sur l’eau, méprisant totalement les effets des images de ces morts et de ces blessés sur les opinions publiques internationales. Sur ses concitoyens et sur les juifs de diaspora. Sur nos consciences d’abord. Et qu’on ne vienne pas ici nous épuiser au jeu du “c’est pas nous, c’est eux”. “De eux”, je n’attends rien. Mais de “nous”, nous sommes responsables.»


[1] https://www.jpost.com/Diplomacy-and-Politics/Miri-Regev-apologizes-for-calling-migrants-cancer

[2] https://fr.timesofisrael.com/les-migrants-africains-une-menace-pire-que-les-jihadistes-estime-netanyahu/

[3] https://www.nytimes.com/2018/05/14/world/middleeast/israel-gaza-jerusalem-embassy.html

[4] https://www.challenges.fr/monde/moyen-orient/pourquoi-benjamin-netanyahu-est-devenu-le-nouvel-ennemi-d-israel_587232

[5] http://www.cclj.be/actu/israel/netanyahou-est-il-pire-1er-ministre-israel

[6] https://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-5112585,00.html

[7] https://www.thejc.com/comment/comment/the-hamas-attacks-on-the-gaza-border-have-met-with-an-overwhelming-and-deadly-response-by-israeli-forces-this-must-be-condemned-1.464174

[8] https://www.facebook.com/georges.benayoun/posts/1226522220812672

6 Commentaires

  1. Il ne peut y avoir qu’un Juif pour écrire cela… malheureusement ! Chez les islamistes, vous n’aurez personne qui écrira contre sa cause. C’est pourquoi cela alimente l’anti-sionisme ou l’antisémitisme, du pareil au même, dans des pays soumis comme la France où les collabos continuent de sévir en toute impunité.

  2. C’est curieux qu’il se trouve toujours un Juif pour venir casser Israel… je ne connais pas de musulman qui casse son pays… Après cela il ne faut pas s’étonner que l’anti-sionisme ou l’anti- sémitisme, c’est du pareil au même, se développe ici en France.

  3. La question, une fois de plus, n’est pas de savoir si Israël s’est grillé auprès du corps éternel du roi républicain qu’est le peuple de France, mais si l’administration pour qui la Meuf est dead va enfin s’accrocher à la remorque d’un changement de paradigme qui la démode déjà. L’annulation par Édouard Philippe de sa visite dans l’État hébreu en dit long sur des relations qui, si elles avaient lieu entre deux puissances alliées, supporteraient haut la main l’épreuve de l’inattendu. La France s’est plantée. Une fois encore, sa perception du conflit lui a joué des tours. Elle a comme à son habitude, au moment même où l’Œil du cyclone djihadique déboulait sur l’État juif tel qu’apparu au premier chef de l’État d’Israël, condamné l’innocent et pris la défense du coupable. L’heure du dernier bilan a sonné. Malgré le subterfuge du ni droite ni gauche, la République n’y coupera pas.

    • Nous ne nous sentons pas concerné par l’impératif rothien de nous arracher à notre communauté, nous sommes le produit de cet arrachement. Notre combat n’est pas judéocentré. Il n’est pas nécessaire d’être juif pour être antinazi.

    • (@Asermourt) en aucune façon je ne défends la France mais en ce qui concerne la tuerie commise le 14 Mai à Gaza il me semble que c’est la… quasi-totalité des nations, qui a condamné ce qu’on appelle par euphémisme « usage disproportionné de la force »

  4. hélas il semble que la dernière tuerie ait trouvé des défenseurs même du côté de ceux qui se revendiquent de « la démocratie » -et non du fascisme. Ainsi le post ci-dessous, par lequel je répondais à un adorateur de Nétanyahou qui s’étonnait que l’on ne parle pas autant du Congo, a-t-il été censuré sur http://www.marianne.net.

    * * * *

    (cf. votre comparaison avec le Congo)

    Ce type d’argument a déjà beaucoup servi, il servira encore sans doute -mais ses tenants oublient ce qui est un peu plus qu’un… détail.
    Les crimes ici commis le sont, pour ainsi dire, en notre nom.
    Ils sont commis par un Etat qui se revendique du même système de valeurs que le nôtre (cf. « la démocratie », etc. etc.).
    Ils sont commis par un Etat qui, sauf erreur de ma part, fait partie de nos alliés.
    Et ils sont même commis par un Etat qui se veut issu du même combat victorieux que le nôtre contre la barbarie nazie.
    à part ça rien à signaler