Cher Bernard-Henri Lévy,
Pour une fois, je ne suis pas d’accord avec vous.
Dans votre dernier Bloc-notes du Point, vous questionnez la personnalité de mon confère Eric Dupond-Moretti et je me garderai bien de critiquer votre texte et votre style toujours percutant. Eric est un avocat pénaliste de talent qui peut parfois jouer de sa notoriété et il ne mérite pas que des éloges, évidemment. Cependant, outre que l’attaque ad hominem ne me plaît pas, réduire l’analyse de la défense dans l’affaire dite «Merah» à savoir si Eric (et cela vaudrait d’ailleurs pour tout autre avocat) est ou non prétentieux, cabotin, ou s’il est un avocat «doistoïeveskien»… ne me paraît pas à la hauteur de l’enjeu de société auquel nous confrontent ces affaires de terrorisme.
Permettez-moi de penser que vous vous trompez de combat et qu’à vous laisser entraîner dans une «people-isation» du microcosme parisien, où il s’agit de délivrer des bons ou des mauvais points (Moretti 0 / Demorand 1), vous prenez le risque d’alimenter in fine la remise en cause populiste du droit et du principe essentiel de défense face à ces procès de terrorisme qui soulèvent des sujets de société bien plus graves.
La vraie question est : face à la terreur, aux attaques ignobles, aux drames et à l’émotion des victimes, comment penser sereinement une Justice et une défense «civilisées» ?
La décision rendue dans cette affaire est extrêmement sévère (la peine maximale pour association de malfaiteurs), qui le dit ? Elle est rendue par une Cour d’Assise «spéciale» composée exclusivement de magistrats pour «protéger« le jury populaire, qui le dit ? Elle a fonctionné au moins mal pour juger un «Merah» qui n’était pas celui que l’on avait envie de juger, tous les procès à venir vont porter cette difficulté fondamentale de l’absence des auteurs au procès, ce qui rend vertigineusement délicate l’œuvre de Justice à venir, pour les magistrats, pour les victimes et… pour les avocats, qui le dira ?
On touche ici à la mise en perspective de «l’envie de pénal» que dénonçait votre ami Philippe Muray et de la soif (légitime) de vengeance, au regard de la fonction sociale de défense et de la liberté d’expression de la parole judiciaire.
Il faut nous rendre compte que ces procès vont tester la capacité et la fonction de juger, questionner la distance que la Justice doit pouvoir opposer à la violence émotionnelle relayée par des médias chauffés à blanc par une opinion publique dont l’anonymat des réseaux sociaux libère les plus bas instincts. Comment devons-nous combattre cette remise en cause de la justice et son instrumentalisation populiste, comme outil inefficace (et pour cause ce n’est pas son rôle) de prolongement de la guerre contre le terrorisme ou de chambre d’écho, jamais (par essence) suffisante de l’émotion des victimes et de l’opinion.
Les avocats doivent prendre leur responsabilité, du côté des prévenus comme des parties civiles auprès de qui il est très difficile de préparer et faire admettre aux victimes que, nécessairement, toute défense (si elle est juridiquement efficace) sera brutale ou blessante à leur égard ou à l’égard de la mémoire des morts, mais c’est bien pour cela que le débat judiciaire doit se tenir dans un cadre et des règles codifiées et que l’œuvre de justice doit être expliquée de manière pédagogique dans son action et aussi dans ses limites.
Mais nous avons besoin de vous, intellectuels, pour penser la justice en temps de guerre, nous avons besoin de médias responsables pour comprendre et expliquer ce que peut-être une défense juste face au terrorisme, nous avons besoin de tous pour nous aider à maintenir une justice démocratique et protéger la pertinence de nos valeurs et de nos principes du droit, face à la terreur qui cherche à nous dresser les uns contre les autres pour les détruire.
Ce n’est pas en cassant le thermomètre que l’on supprimera la fièvre.

5 Commentaires

  1. Albert Camus disait en son temps: »j’ai confiance en la justice de mon pays » mais je défendrai toujours ma mère avant la justice.
    Imaginez si vous avez des enfants que l’un de, est un assassin ou un terroriste ? Vous le défendrez parce que c’est votre fils même s’il ne le mérite pas. Moretti n’a pas défendu explicitement Merra le terroriste, mais sa mère.Elle a peut être pensée que son fils était un « salaud » mais c’était son fils. Ce qu’il a fait est impardonnable, mais sa mère est pardonnable de l’avoir mis au monde, car elle ne savait pas……

  2. Maître, en vous lisant permettez-moi de vous dire que vous instruisez une accusation contre Monsieur Lévy qui, à mon sens, n’a vraiment pas de fondement, d’une raison valable d’exister. Je ne suis pas son avocat mais ayant écouté, comme tout un chacun, M. Dupond-Moretti s’exprimer dans la transmission de Nicolas Demorand j’avoue d’avoir ressenti un profond malaise.
    Il ne s’agit nullement du problème de la justice face au terrorisme ni moins encore d’une quelconque mise en cause du droit à la défense mais simplement de la façon dont Monsieur Eric Dupond-Moretti, « tout juste sorti de cette affaire Merah », comme l’a écrit Bernard-Henri Lévy, a pu s’exprimer à la radio en réponse aux nombreuses interrogations et doutes du public.
    C’était choquant pour son contenu manifestement « obscène » d’entendre l’affirmation que «elle aussi»…, la mère aussi…
    Un « aussi » non casuellement prononcé mais révélateur de la pensée de M. Dupond-Moretti, de l’effet qu’il aurait suscité auprès des jurés, en demandant pour cette mère d’une famille d’islamistes radicaux la même considération pour la mort d’un fils terroriste, qui, arme à la main, tirait sur les forces d’intervention, que celle des parents qui ont vécu l’insoutenable, l’exécution préméditée de leurs trois petits enfants, achevés froidement par balle « à bout touchant, tétine aux lèvres » devant leur école.
    C’est humainement inqualifiable, c’est ignoble !
    De même que cette référence au «procès de Nuremberg» pour hisser la-aussi de part égale la portée symbolique du procès Merah qu’il venait de terminer avec la condamnation historique du nazisme et de ses horreurs.
    Vous voyez dans la note de Bernard-Henri Lévy une dérive populiste du droit à la défense alors qu’elle n’est autre que le portrait de Dupond-Moretti tel que ses déclarations ont suscité en nous et dans le public.

    • mais oui mais oui, PIERRE, nous n’avons que trop bien compris : vous êtes tout disposé à admettre -en termes de pure forme- que « tout accusé a droit à un avocat », mais… pas cet accusé-là, et pas cet avocat-là !
      En plus de ça la façon dont vous vous engouffrez derrière le nom du procès de Nuremberg -autant dire, derrière la mémoire des déportés- est tout simplement abjecte. Vous savez parfaitement ce qu’à travers cette référence, qui dans cette situation était pour ainsi dire incontournable, a voulu dire M° Dupont-Moretti : il a voulu rappeler que même les avocats du procès de Nuremberg avaient pu faire leur travail, et ce, sans avoir droit à un tombereau d’ordures sur la tête.
      J’ai honte pour vous, pas-mieux-identifié PIERRE

    • Vous dites des bêtises. Il ne s’agit pas de savoir si une défense est digne, concept bien trop subjectif, mais si celle-ci a été efficace. Votre indignation démontre l’efficacité de la défense et vous sautez à pieds joints dans la provocation. Il n’est pas interdit de provoquer. La provocation ici reduit le débat à la question de savoir si une mère peut pleurer son fils et celui défendant cette position gagnera toujours.
      Vous vous êtes fait avoir, mais vous n’avez pas son talent, c’est pas grave, vous vous dites des bêtises. Vous en avez le droit. On parle de lui, pas de l’affaire. Doublement efficace, vous vous faites avoir deux fois. La Cour ne s’est pas fait avoir, ce n’est pas rien, il l’a mauvaise sur ce point, c’est certain.

  3. Monsieur Bernard Henri LEVY devrait peut-être méditer cette maxime de LA ROCHEFOUCAULD :  » Ce qui nous rend la Vanité des autres insupportable, c’est qu’elle blesse la nôtre… »