Ce 9 octobre Patrick Modiano a été sacré prix Nobel de littérature. Il entre ainsi dans la légende française de l’écriture en tant que 15ème élu français de la prestigieuse académie grâce à, nous souligne cette dernière, son « art de la mémoire avec lequel il a évoqué les destinées humaines les plus insaisissables et dévoilé le monde de l’Occupation ».
Ironie française, absolue ? C’est justement « ce monde de l’occupation » qui est sous le feu des rampes des chaînes d’informations et des éditos depuis quelques jours, mis en « débat » public, aussi ubuesque que sidérant, aussi vertigineux que dangereux, autour d’hypothétiques « bénéfices » du régime de Vichy que l’on avait pourtant estampillé à jamais, enfin le croyions-nous jusqu’à ce samedi soir de Kippour, par une formule éculée « d’heures les plus sombres de notre histoire ».
Ce « débat » (oh misère), initié par un certain Eric Z. et intrinsèquement violent à l’endroit de tous les rescapés de cette époque, tient de l’anachronique tant on pensait certains pans de notre tragédie commune reconnue, apaisée autant que faire se peut, témoignant d’une souffrance quasi indiscutable, au moins dans les cercles républicains de notre pays. Et puis non, en ce soir de Kippour, sur le service public, comme une impression de tout devoir recommencer. Encore…
Alors ce 9 octobre, la nomination de Patrick Modiano et les motifs ainsi exprimés par l’académie suédoise, tient de la réponse ultime, aussi sublime qu’inespérée.
Nous imaginons un nombre incommensurable de gens se jetant depuis cette annonce ne serait-ce que sur la page wikipédia de Patrick Modiano.
Nous imaginons ces mêmes gens voyant défiler l’histoire de sa famille sous l’occupation, celle de son père notamment qui « après sa démobilisation, s’est trouvé sous le coup de la loi du 3 octobre 1940 contre les « juifs » mais ne s’est pas déclaré au commissariat comme il en avait l’obligation ».
Nous imaginons, de clics en clics, comme une revanche sur l’abject perversion des idées et de l’histoire que, de liens en liens, nombreux seront ceux qui verront leur mémoire rappelée à l’ordre des faits, de ce que fut réellement et véritablement Vichy.
Et puis, peut-être croiseront-ils cette lettre magnifique, datée du 26 mai 1978, de ce désormais Nobel s’adressant à Serge Klarsfeld, à lire et à faire lire, et à laquelle il serait finalement vulgaire d’ajouter un mot de plus, même sur le plateau d’un talk-show de télévision.
« Cher Serge Klasfeld,
Je voulais vous dire, en venant chercher le livre l’autre jour, combien je vous admire vous et votre femme pour ce que vous faites.
Ce qui est désespérant, c’est de penser à toute cette masse de souffrance et à toute cette innocence martyrisée sans laisser de traces. Au moins, vous avez pu retrouver leurs noms.
Je sais bien que ça ne sert à rien de revenir là-dessus et de penser à ce qui aurait pu être fait maintenant que tout est fini, mais il aurait été facile pour la police et l’administration françaises de désorganiser les choses — surtout en zone libre — de détruire le fichier de la préfecture de Police…
Votre Mémorial rend encore plus flagrant le mensonge qu’ont été les justifications de Vichy. Ils ont dit qu’ils ne voulaient pas, sous un prétexte humanitaire, séparer les enfants des parents, mais ils ont séparé les enfants des parents, et de toute façon, ils se doutaient bien, dès 1942, de quoi il s’agissait.
Et surtout, ils ont dit qu’ils avaient livré les Juifs étrangers pour protéger les Juifs français mais presque tous les enfants déportés étaient nés en France et de nationalité française, comme on le voit dans le Mémorial.
Cher Serge Klasfeld, je vous envoie mes amitiés à vous et à votre femme.
Patrick Modiano »

Un commentaire

  1. Au risque d’être taxé par vous de vulgarité, je voudrais revenir sur votre post qui en filigrane voudrait interdire à un certain « Eric Z » comme vous dites de remettre en cause une histoire de France qui nous a été imposée depuis toujours, pour faire de ce « beau pays » un modèle universel et une solution à tout les problèmes du monde.
    Comme français qui aime son pays, je veux avoir le droit de discuter de « ces vérités » qui nous ont été imposées et qui bien souvent s’avèrent être des mensonges au service d’une élite qui en a toujours bien vécu de ces mensonges.
    « Eric Z » a au moins le mérite d’affronter cette doxa qui modifie la nature même de cette France, en tentant de nous persuader que notre salut passe par la dimmhitude.
    Ce qui ne remet nullement en cause la belle lettre adressée aux Klarsfeld par P. Modiano, même si cette lettre eut été plus belle sans que leur nom ne soit écorché.