Correspondant à Paris du quotidien italien Il Corriere della Sera, le journaliste Stefano Montefiori nous parle de la sélection italienne alors que celle-ci s’apprête à disputer son dernier match de poule contre l’Uruguay, un match décisif pour la qualification en huitièmes de finale. Au passage, il évoque la sobriété géniale du milieu de terrain Andrea Pirlo et le destin hors du commun de Mario Balotelli, cristallisant, sur sa seule personne, une partie du racisme anti-noir qui sévit au-delà des Alpes…

Laurent-David Samama : Quel en le climat en Italie en ce début de Coupe du Monde ? Quel accueil fait le peuple à la Squadra Azzura ?

Stefano Montefiori : Je trouve cette fois l’opinion plutôt favorable à la Squadra Azzura. L’équipe plaît aux italiens, l’effectif est sympathique, le pays aime l’entraîneur Prandelli, que ce soit pour ses capacités techniques et pour sa personnalité. Evidemment, en Italie, tout le monde se perçoit comme un entraîneur en puissance et les débats sont incessants. A la suite de la victoire contre l’Angleterre, tout le monde était euphorique et l’on voyait l’Italie assez haut. Les italiens peuvent être impitoyables ; ils sont derrière la Squadra Azzura lorsqu’elle gagne mais se montrent très acerbes lorsqu’elle se met à perdre.

L.-D. S. : Il y a-t-il d’ores et déjà une récupération de cette Coupe du Monde de la part des hommes politiques italiens ?

S. M. : Pas pour l’instant mais je suis certain que cela va venir. Avec un Président du conseil comme Matteo Renzi qui mise beaucoup sur la communication, ce sera forcément le cas. Reste que cette année, les italiens ont compris d’eux-mêmes qu’il fallait soutenir l’équipe nationale. Ce n’est pas toujours le cas car le pays se passionne déjà pour le championnat local qui fait des grandes villes des places fortes s’affrontant chaque week-end.

L.-D. S. : Il s’agit d’une équipe assez jeune. Serait-ce là le reflet d’une Italie nouvelle, fatiguée de la gérontocratie au pouvoir ? Beaucoup de joueurs de qualité, plutôt en fin de carrière, ne figurent pas dans la liste des 23 de Cesare Prandelli. Le joueur de l’AS Roma Totti par exemple…

S. M. : Le constat est vrai, mais en partie seulement. Il faut rappeler que l’Italie a l’habitude d’intégrer dans son effectif de très jeunes pousses, des espoirs du calcio, pour les préparer à la pression des grandes compétitions. Je me souviens qu’en 1978, en Argentine, on avait fait débuter Tardelli et Cabrini alors très inexpérimentés. Le sélectionneur de l’époque, Enzo Bearzot, les avait propulsés dans la cour des grands et cela avait fonctionné. Cette année, Darmian, qui est très jeune, a été sélectionné. Insigne aussi. C’est la même logique que l’on trouve derrière ces choix. Et pour les encadrer, Prandelli a choisi Buffon et Pirlo, des seigneurs.

L.-D. S. : Trois joueurs du PSG figurent dans l’effectif italien : Thiago Motta, Salvatore Sirigu et le jeune Marco Verratti. On les connaît bien en France mais qu’en est-il des italiens ? Sont-ils étonnés de voir ces trois joueurs évoluant en Ligue 1 porter les couleurs italiennes ?

S. M. : Pas vraiment. Les italiens avaient suivi la bonne saison de Verratti au PSG, en championnat mais aussi en Ligue des Champions. Ils connaissent également bien Thiago Motta, depuis plusieurs années. La surprise se porte plutôt sur le gardien remplaçant Salvatore Sirigu, qui a suppléé l’idole turinoise Gianluigi Buffon (blessé lors du premier match de poule contre l’Angleterre). Mais puisque la prestation de Sirigu fut intéressante, les italiens n’eurent rien à redire quant à sa présence dans la liste des 23. Tant que Sirigu enchaînera les bonnes prestations, la nation sera derrière lui. Mais gare au faux pas… Ce fut le même phénomène à l’œuvre pour Renzi lors des dernières élections. Personne ne l’attendait, les sondages ne le donnaient pas forcément gagnant, on le traitait même d’inculte. Aujourd’hui, regardez : il est incontournable !

L.-D. S. : Des joueurs vous ont-ils déçu lors du premier match contre l’Angleterre ?

S. M. : L’équipe s’est globalement bien comportée mais un joueur comme Paletta a déçu. Chiellini aussi a pu paraître emprunté par moments, un peu lourd, mais au final c’est un bon joueur.

L.-D. S. : Selon vous, une bonne performance italienne lors du Mondial permettrait-il de remettre le championnat italien sur de bons rails ? On sait qu’il souffre d’un manque criant d’infrastructure depuis de longues années…

S. M. : Absolument ! La Coupe du Monde a toujours des effets puissants qui ne se limitent pas qu’à l’évènement lui-même. Après 2006, nous avons eu la confirmation que le football italien était de bonne qualité, que le niveau de la Squadra Azzura était exceptionnel. Il serait important de le conserver et de bonnes infrastructures permettraient d’atteindre cet objectif.

L.-D. S. : Pouvez-nous nous dire quelques mots sur Andrea Pirlo, star de l’équipe et milieu de terrain organisateur adulé dans le monde entier ?

S. M. : Pirlo est vraiment très aimé chez nous même si, et il faut le souligner, il ne représente en aucun cas l’italien caricatural. Il est très sobre, travailleur. Sur le terrain, Pirlo est un joueur qui ne fait pas de scandale. En dehors de sa vie de sportif, il possède un vignoble près de Brescia dont il s’occupe beaucoup. C’est un homme de la terre, qui ne perd pas de vue les choses vraies. Voilà certainement la raison de son succès médiatique.

L.-D. S. : Quid de Balotelli, l’attaquant fantasque du Milan AC, qui lui paraît diamétralement opposé ?

S. M. : Tant qu’il marque, Balotelli peut se permettre de faire son show, du grand n’importe quoi, tout passe. Et en même temps, j’ai l’impression que les italiens sont en train de s’habituer à lui et de pardonner ses excès. C’est amusant mais Balotelli – qui par ses origines ne répond à la représentation habituelle de l’italien (il est le premier joueur noir à porter le maillot de la sélection italienne, ndlr) – incarne pourtant l’Italien dans toute sa splendeur. Les gens le détestent et pourtant il est comme eux : il s’énerve rapidement, il est volubile, il peut être grossier et égocentrique. Voilà pourquoi je n’aime pas la haine qu’il suscite. Il ne faut pas oublier que les stades italiens sont souvent peuplés d’abrutis, parfois racistes. Et ce sont ces mêmes personnes qui voudraient détester Balotelli car il est a un fort égo et qu’il provoque ses adversaires…

L.-D. S. : Pouvez-nous nous raconter les réactions suscitées par la première sélection de Balotelli sous le maillot italien ?

S. M. : Pour les gens de ma génération, ce fut un événement ! Cela faisait quelque chose de voir un joueur noir porter le maillot italien. Je me souviens de ma grand-mère habitant la Spezia, revenant stupéfaite du marché car elle y avait vu un noir. Pour elle, voir un noir, c’était une situation surréaliste. Dans mes souvenirs d’enfance, à Gênes, même chose, il n’y avait pas ou peu de noirs. Ce n’était pas aussi courant qu’en France et c’est pour cela que Balotelli est important pour l’Italie : il nous habitue à autre chose. Ses débuts furent compliqués, des dizaines de supporters chantaient « il n’y a pas de noir italien ! », c’était horrible

L.-D. S. : Balotelli subit donc une certaine forme de rejet alors même que le joueur avait clairement fait le choix de la sélection italienne dans la presse, lui qui pouvait pourtant représenter le Ghana…

S. M. : Balotelli est né à Palerme. Ses parents, ghanéens, ont déménagé à Brescia où ils l’ont abandonné car il était très malade ; ils n’avaient pas les moyens de le soigner. Un couple d’italiens, les Balotelli, s’est occupé du jeune garçon devenant progressivement ses parents adoptifs. Le jeune Balotelli a fait toute sa scolarité à Brescia. Il a d’ailleurs l’accent du coin. J’ai peut être une vision naïve de la chose mais je pense que le fait que le buteur de l’Italie soit noir et que les enfants portent son maillot est un symbole très puissant. Et très positif. C’est pour cela que je trouve le parcours de Mario Balotelli tout à fait fantastique !

L.-D. S. : Et en même temps n’est-ce pas dangereux de faire reposer toutes ces questions d’intégration sur ses seules épaules ?

S. M. : C’est certain. Il ne faut pas donner à Balotelli la responsabilité de l’intégration en Italie. Sa seule responsabilité, son seul devoir, est de marquer ! Mais si jamais l’Italie gagne grâce à des buts décisifs de Balotelli, il s’agira d’autant de pas en faveur de l’acceptation des noirs en Italie. Cela peut accélérer le processus…