Jusqu’ici l’Union européenne n’avait pas d’ennemi.
C’était sa singularité et sa fierté.
A l’intérieur, peu à peu, les opinions ont accepté le pari fou des Pères fondateurs de l’Europe, qui a instauré la paix, reconstruit un continent ravagé et retrouvé une vraie prospérité. A l’extérieur, son Soft Power apprécié n’a pas cessé de renforcer son attirance.
La crise économique et la diplomatie russe ont changé la donne: l’Europe a désormais des ennemis et ils chassent en meute.
A l’intérieur, les extrêmes surfent sur les difficultés économiques qu’entraîne un mouvement de mondialisation sans précédent pour tenter de rendre l’Union responsable d’échecs d’abord dus à de piteuses politiques nationales. On rêve d’Europe à l’extérieur alors qu’on voudrait nous en désespérer à l’intérieur. Car, dans l’Europe et avec l’Euro, n’y a-t-il pas des pays qui marchent et d’autres qui ne marchent pas?
Poutine et la diplomatie russe ont pris tardivement conscience qu’ils étaient voisins de la première puissance économique et commerciale du monde, d’un espace de libertés et de justice, d’un véritable Etat de droit conforme aux souhaits profonds des peuples, où les solidarités sont organisées comme nulle part ailleurs dans le monde. Ils ont pris peur quand ils ont compris que, malgré leurs divergences, les Européens étaient capables, ensemble, de tendre la main à ceux qui les regardent avec envie et qu’il devenait de moins en moins facile de les diviser pour les manipuler. Il n’est ainsi pas étonnant qu’ils fassent tout pour démembrer l’Ukraine et au passage discréditer l’Europe; et que leurs alliés, à l’intérieur de l’Union, se recrutent parmi les extrémistes de droite et de gauche, mais aussi parfois aux franges de certains grands partis de gouvernement.
Entre eux existe une commune haine de l’Union européenne, un nationalisme des plus dangereux, une communauté de pensée qui flirte souvent avec le racisme et la xénophobie et toujours avec le protectionnisme, les peurs, les égoïsmes et le repli frileux. Entre eux se sont aussi établis des liens étroits. Marine Le Pen a fait le voyage de Moscou, s’est fait applaudir à la Douma, où siègent de véritables extrémistes et a pris fait et cause pour la Russie dans son différend avec l’Ukraine. Elle a même envoyé en Crimée sa tête de liste d’île de France aux élections européennes comme observateur pour le simulacre de référendum du 16 mars dernier, non reconnu et dénoncé par la communauté internationale. Son représentant y était d’ailleurs en bonne compagnie avec 135 émissaires des pires partis européens d’extrême-droite et de néo-nazis avérés.
A ceux qui en douteraient, il faut recommander de regarder prorussia.tv, télévision Internet financée par Moscou, qui s’occupe même d’élections locales en Europe!
Cette « cinquième colonne » disposera peut-être d’un groupe au Parlement européen et la Russie de Poutine gagnera alors une voix officielle dans l’hémicycle de Strasbourg.
Il n’y avait pratiquement pas d’extrême droite en Ukraine avant l’agression russe, ni problème avec aucune communauté religieuse ou ethnique. Il va désormais y en avoir, comme au sein de l’Union européenne où des activistes s’efforcent d’en créer.
La collusion est patente et les eurosceptiques, qu’ils soient conservateurs britanniques, ou dissidents UMP français devraient y regarder à deux fois avant de leur faire la courte échelle.
Les Européens ont désormais de vrais ennemis qu’ils doivent combattre.
A l’intérieur par l’engagement européen enfin assumé des responsables politiques, par le débat, les convictions, la pédagogie, en appelant à la raison et à l’intérêt général que les citoyens savent, chez nous, reconnaître.
A l’extérieur, par la détermination pour stopper les dangereuses menées d’un pays qui n’hésite pas à renier tous les traités multilatéraux et bilatéraux qu’il a signés, à user de la force et de la menace pour remettre en cause la stabilité du continent.
Cela exige que l’Europe cesse de désarmer, de privilégier la conviction et de ne penser qu’au dialogue. « Montrer les dents » face aux agresseurs est souvent la meilleure façon de garantir la paix. Car ces ennemis poursuivent le même objectif: affaiblir et, si possible, détruire la construction européenne.
Ce bel hommage rendu à sa réalité par les adversaires les moins fréquentables, est un défi majeur qu’il nous appartient de relever. C’est aussi l’un des principaux enjeux des prochaines élections européennes.
Jean-Dominique Giuliani est président de la Fondation Robert Schuman