Tous les candidats FN n’ont-ils pas été élus, le tsunami n’en a pas moins eu lieu.
Vox populi, vox dei. Le peuple a toujours raison de se révolter, disions-nous dans notre jeunesse gauchiste.
Quand, dédaignant le Front de Gauche, son représentant naturel et son « intellectuel organique » théorique, la moitié de l’feu-classe ouvrière vote pour le Front national, quand le Nord, ce bastion socialiste de toujours, quand les fils et petits fils des mineurs de l’ex-forteresse ouvrière, les héritiers des gueules noires de la grande grève de 1941 en pleine occupation nazie, quand, dans les profondeurs les plus ancrées de la France populaire, la moitié du « pays réel » cher à Charles Maurras mais passe outre à la tradition révolutionnaire et républicaine et met le parti de Jean-Marie Le Pen et sa fille en tête, peut-on encore soutenir que le peuple, en dernière instance, « voit juste et a toujours raison » ?
Peut-on se contenter de parler de déçus de la Gauche, de citoyens abandonnés, désocialisés, atomisés par la déstructuration du tissu industriel et la rupture du lien social, écrasés par la crise et condamnés au chômage de masse ? Peut-on tout mettre sur la défaillance des partis traditionnels, leur absence du terrain, la démission des élites, sur l’impuissance et l’abdication des politiques, la crise de l’école de la République, la fin de la méritocratie, l’Europe de Bruxelles et d’Angela Merkel ? Peut-on encore et toujours parler d’un vote du désespoir ? Et non d’un vote d’adhésion, faisant sien, en pleine connaissance de cause, les valeurs, le programme du FN, les adoubant sans réserve ?
Peut-on tout mettre sur les mauvais bergers, les joueurs de flûte malins invitant au pire les masses abusées ? Sur fond de lutte des classes et son détournement, le FN, nouveau chien de garde du désordre établi, trompe-t-il à son profit des masses désemparées en leur désignant des boucs émissaires tout trouvés, l’immigré, le bobo, les « cosmopolites », les élites auto-reproductrices, l’égoïsme sacré des privilégiés, l’Europe de Bruxelles et d’Angela Merkel ? Est-il le nouvel opium du peuple ? Ou bien est-il non moins l’expression d’une volonté, d’un désir réactionnaires et de rupture avec les principes démocratiques, venus du fond des masses elles-mêmes ? Le FN est-il la poule ou l’œuf ?
Quand, prolétaires en détresse, petits-bourgeois, commerçants, retraités et autres petits Blancs anti-mondialiste et « anti racaille », près d’un citoyen-électeur sur deux dans une ville du Languedoc vote pour le FN, c’est moins le FN qui en serait l’instigateur et l’orchestrateur qu’il faut exorciser, que les électeurs eux-mêmes, les citoyens eux-mêmes, déchirant souverainement le pacte républicain, qu’il faut incriminer.
Il n’est plus temps, pour se rassurer à bon compte, de dire que les électeurs du FN expriment un ras-le-bol général, qu’il faut entendre leur message, le prendre en considération, pour les ramener au bercail de la démocratie et ses mœurs bien tempérés. Au-delà de l’exaspération, et alors même que ses électeurs savent sciemment que le FN n’est en rien une solution au chômage, à la Crise et au reste, qu’il serait incapable de gouverner la France, que ce serait une catastrophe pour le pays et eux-mêmes, ce rassemblement des égarés, passant outre à ce constat sans appel et à rebours de toute considération rationnelle, exprime, sans presque plus le dissimuler, un vieux fond de saloperie humaine. Prennent peu à peu le commandement de millions d’âmes la boue, la haine affichée de l’autre, la peur des différences, le goût de la tribu et de l’entre-soi, la passion d’exclure et la fin du partage. Cela s’appelle la Tentation totalitaire.
L’esprit des lois, la démocratie sont affaire de culture, de civilisation, d’urbanité, de vertu civique. En un mot, de vernis, de surface, disons-le, de surmoi. Tant, à peine déousselé, l’animal humain, déboussolé, n’est jamais bien loin et fait bientôt retour. Tant, on ne le sait que trop, les interdits, les verrous civilisateurs sautent vite. Homo homini lupus. L’homme est un loup pour l’homme, disait Hobbes.
Il y a des heures graves dans l’Histoire où le peuple uni se libère de la tyrannie, de l’oppression, où il est grand, où les passions sont belles, de justice, de solidarité, de fraternité. Il y a le Maïdan, à Kiev, qui vient d’écrire une nouvelle page dans la longue marche de l’humanité vers un monde un peu meilleur. Et puis, il y a des heures sombres, quand plus rien ne va bien, où l’emportent la part maudite des peuples, leur désir de revanche et de servitude, la guerre de tous contre tous, et l’appel à un sauveur, un Maître suprême. C’est cette étrange défaite, comme disait Marc Bloch, qui semble gagner cette France moisie et décliniste que dénonçait en son temps Philippe Sollers. Il y a des maladies de l’âme et des maladies du corps social, qui se rejoignent en un précipité menaçant le lien social lui-même. Tous ne sont pas également atteints, comme disait La Fontaine, mais tous sont menacés. La France est malade. Une partie du peuple français est malade. Le FN césariste et plébiscitaire est son miroir fidèle, son reflet, il est non moins son obligé que son agent, son écho que sa voix, son élève que son maître, son symptôme que son virus.
Il ne fallait pas jadis désespérer Billancourt. On l’a désespéré par le chômage, la désindustrialisation, la délocalisation mondialisée. Il ne fallait pas désespérer le petit commerce, on l’a désespéré par les grandes surfaces aux portes des moindres villes, on a désespéré l’artisanat par le made in China généralisé, on a désespéré la France des humbles et des petits par la fin de l’ascenseur social, la Télé poubelle, mille autres choses encore, on a désespéré le petit-bourgeois balzacien par l’esprit de la Modernité… et les Banques toutes-puissantes, la France réac et homophobe par de justes lois. La somme de ces désespoirs rancis fait un retour explosif, où l’on n’est plus, cette fois, dans l’ordre du politique et le cercle de la raison, mais dans la sphère des passions, et des passions mauvaises. Le populisme est la maladie honteuse et la revanche haineuse des laissés pour compte du progrès économique et social, la revanche des ennemis des mœurs libres et de la culture, des périphéries frustrées de la vie urbaine, le dévoiement d’une colère et d’une révolte populaire en guerre, désormais, contre la démocratie et la vie des autres.
« Salaud de peuple » ? Il faut affronter sans faux-fuyants idéologiques et politiques la maladie du corps social, maladie de l’âme, maladie de la raison. Mais de ces maladies, si l’on en connaît depuis longtemps les ravages, on en ignore toujours largement les remèdes. Si tant est qu’ils existent. La résorption du chômage, pense-t-on… Outre que ce n’est pas pour demain – finie et bien finie l’ère du travail pour tous, sous l’effet de l’empire des technologies qui, partout, remplacent l’homme –, la Crise, hier encore d’ordre social et économique, est désormais une crise de civilisation. Loin, bien loin qu’il s’agisse d’une résurgence new look du bon vieux pujadisme. Le vieil ordre libéral et démocratique craque de partout, tandis que le nouvel ordre mondialisé s’avance masqué. Comme l’analysait Gramsci, l’ancien n’est pas encore mort, le nouveau tarde à apparaître. « Et dans ce clair-obscur, ajoutait-il, surgissent des monstres. » On en est là. Toutes les aventures sont possibles. Reste que face au glissement de terrain en cours dans les profondeurs du tissus français, l’angélisme de gauche est moins que jamais de mise.

5 Commentaires

  1. Avant la loi, avant l’urbanité, avant le vernis civilisateur, il y a la conscience ethnoraciale et la possession de la terre.
    C’est ce qui fonde les peuples. Les vrais peuples, pas les conglomérats informes genre « peuple républicain métissé »
    Cette conscience se réveille en Europe, et c’est très bien.
    Le FN est un artefact mineur de ce qui pointe sur notre continent.
    C’est une petite marche. il convient de la franchir, mais c’est après que la vraie repossession commencera.

  2. Quand en France on passe son temps a debattre si tel ou tel mot est « raciste ou pas » pire devant un tribunal ou l’accusee perd sans que son accusateur soit present comme cela est arrive a Marie-Neige Sardin au Bourget pour avoir demandes a ses voisins d’en haut d’arreter de faire la « bamboula » au milieu de la nuit …..alors OUI la France est bien malade !

  3. Insulte habituelle de l’intellectuel de gauche envers ceux qui pensent « mal ».

    Comme le disait un grand philosophe des trente glorieuses, « ça eut payé » mais ça paye de moins en moins…

  4. Votre remède pour guérir cette « maladie » ne fait qu’accroître le syndrome. Et vous, étrange docteur, ça va bien?

  5. Malades, nos politiciens de gauche qui se font élire en promettant des mesures de gauche mais qui s’ assoient dessus dés qu’ils ont le pouvoir ?
    Malade un François Hollande qui avec son discours du Bourget s’ est fait élire et qui sitôt président mène une politique néo-libérale ?
    Malade ce même François Hollande qui après la claque des municipales nomme comme premier ministre le + à droite de la gauche, le très droitier Manuel Valls, celui qui aux primaires socialiste avait fait un score minable
    ?
    Malades la plupart des intellectuels de gauche, embourgeoisés et très contents en fin de compte que François Hollande mène la même politique que Nicolas Sarkozy, une politique sociale-libérale qui tape sur les + faibles car plus nombreux ?
    Une majorité de français n’ a pas voulu de cette europe qu’ on nous impose, les politiques français ont décidé de les trahir en ne les écoutant pas, tout ce qui arrive aujourd’ hui n’est que la suite de cette trahison de la part nos élites de droite et de gauche.

    Les électeurs de gauche ne sont pas allés voter en masse pour le PS aux municipales, le message a été pourtant clair, non ?
    On a droit à quoi comme réponse de la part du président Hollande, à un Sarko version « Ramirez police française » ( citation de Proust chez Ardisson ) nommé premier ministre, un politicien bonimenteur comme Sarko ou Ségolène Royal, adepte lui aussi de la communication bas de gamme et populiste ..
    PATHETIQUE !