Onzième film du réalisateur Jim Jarmusch, Only Lovers Left Alive est une histoire de vampires sans âge et sans avenir mais dotés d’un très long passé. L’homme s’y appelle Adam, la femme Eve. Ils semblent vivre depuis la nuit des temps…

S’amusant avec les codes du genre (mais les respectant tout de même) Jarmusch fait vivre ses vampires la nuit, les laissant s’aventurer parfois au dehors mais avec parcimonie. Adam et Eve semblent avoir tout vécu : l’Antiquité, le Moyen-Age, la Renaissance et les Lumières. Désormais perdus dans un monde post-moderne et mondialisé, ils errent telles des âmes en peine aux quatre coins d’un monde devenu progressivement insensible à la beauté. Eux, artistes magnifiques, dandys électriques, vivent reclus, en marge de la société des hommes (les zombies), dans des havres comme des ilots où règne une atmosphère invariablement sombre et feutrée. Au loin ? Les soubresauts de l’Histoire, l’agitation du dehors et ses clameurs. A l’intérieur ? Le vrombissement des guitares électriques qu’Adam collectionne en fétichiste. La découverte du rock and roll semble avoir constitué chez lui (comme chez beaucoup d’autres) un choc toujours d’actualité. Suicidaire pour la posture, notre homme premier vit reclus à Détroit, ville industrielle durement frappée par la crise, presque abandonnée. Détroit où des théâtres délaissés deviennent des parkings de voitures défoncées. Détroit où des quartiers entiers sont dépourvus d’électricité. Détroit où parfois des renards traînent en bande à la nuit tombée…

Dehors le monde va et vient. Adam joue de la musique dont quelques bribes sont malheureusement connues, à l’extérieur de l’ilot. Chez le vampire, on sent comme une ressemblance avec un guitar hero que l’on n’arrive d’abord pas à identifier. Au fil des minutes vient finalement la révélation. Il faudrait demander à Jarmusch mais voici : Adam semble avoir un alter ego dans la vie réelle : Jimmy Page, le guitariste mythique de Led Zeppelin, ce groupe que la légende a fait adepte d’un occultisme mystique propice au développement de légendes. C’est possible… Et l’on aurait presque aimé que Page apparaisse, ne serait-ce que quelques secondes, à l’écran. Seul dans le Michigan, Adam a des idées noires. Il pense au suicide… A mille lieues de là, dans la chaleur des nuits de Tanger, Eve, sa compagne de toujours (incarnée par la troublante Tilda Swinton), sent son amour de toujours défaillir. Elle décide alors de venir à sa rescousse, prend plusieurs vols de nuits sur la compagnie Air Lumière. Le voyage est éreintant mais jalonné de fantaisie. A l’écran, Eve est blanchâtre. Et plus elle a mauvaise mine, plus elle fascinante. Tilda Swinton trouve là un rôle à sa mesure.

Les deux amants se retrouvent. Ils sont artistes, s’expriment dans un anglais impeccable, composent de la musique, réfléchissent au devenir de la science ainsi qu’à celui de la nature. Sur leurs murs sont accrochés des portraits d’illustres amis d’antan : tout ce que l’humanité a enfanté de génies. C’est intelligent et cela forme une sorte de Panthéon idéal où les arts se mêlent pour ne former plus qu’une seule et même célébration de l’intelligence humaine. De Shakespeare à Baudelaire en passant par Lord Byron, on comprend progressivement qu’Eve et Adam ont fait plus que côtoyer les plus grands génies humains, ils les ont influencé (ou carrément offert leurs œuvres !). Aujourd’hui pourtant, l’heure de l’effervescence intellectuelle semble révolue. Otages de leur époque, les vampires se sont recentrés sur leurs besoins. Ils vivent d’amour et de sang frais, cherchent de l’hémoglobine de bonne qualité parmi des humains qu’ils soudoient à coups de liasses de billets. Il faudrait plusieurs pages pour décrire tout l’humour fin et l’érotisme qui se dégagent des scènes de dégustation de sang, seule véritable nourriture de nos amis vampires. Il faut enfin souligner la grande justesse de la bande-son qui, de Charlie Feathers à Squrl en passant par Y.A.S, permet au film d’atteindre le statut d’œuvre marquante.

Only Lovers Left Alive. Voilà un film à la fois mélancolique et élégant. Un moment d’un romantisme fou. Une belle idée de l’Amour portée à l’écran.

 

Un commentaire

  1. Incontestablement le meilleur film depuis longtemps!!!
    Brian Jones même si la ressemblance n’y est pas, c’est à lui que j’ai pensé.