Encore Dieudonné ? Hélas, oui. Car trop de sottises ont été dites, et trop de contre-vérités, pour que l’on ne tente pas, au terme (provisoire) de la séquence, de mettre les choses au clair.
1. L’homme que le Conseil d’Etat a interdit n’était pas un humoriste mais, il faut le rappeler sans se lasser, un idéologue dont le credo, répété à longueur de spectacle, est que les juifs sont les maîtres du monde ; qu’ils règnent sans partage sur le « système » médiatique et politique ; et que le devoir des ennemis dudit système est de mettre leur « quenelle » (sic) dans le « fond du fion du sionisme ».
2. Ce n’était pas, comme on l’a entendu en boucle sur les chaînes d’information, un provocateur dont les excès, même quand on les réprouve, relèvent du sacro-saint principe de la liberté d’expression : c’était un délinquant dont les appels au meurtre contre tel journaliste transformé en gibier de chambre à gaz ou les appels à la libération de Fofana, le chef du gang des Barbares, emprisonné pour avoir torturé, puis tué, le jeune Ilan Halimi, relevaient depuis longtemps, trop longtemps, des tribunaux.
3. Prétendre, comme on l’a également fait en ânonnant le nom de Voltaire, que cette condamnation crée un précédent menaçant, à terme, tous les humoristes est une insulte à Voltaire (qui en a vu d’autres et s’en remettra), mais aussi aux humoristes, dont je m’étonne qu’ils ne se soient pas insurgés contre cet amalgame honteux (car enfin quel rapport entre les développements laborieux d’un crétin expliquant qu’il ne sait pas qui, des nazis ou des juifs, « a commencé » et les sketchs des héritiers de Coluche et de Desproges ? qui peut croire qu’il se trouvera un juge pour, un jour, dans notre pays, arguer de l’arrêt antinazi d’aujourd’hui pour interdire un spectacle où l’on guignolisera les politiques, les journalistes, les puissants ?
4. Voltaire, justement… Ou ce blabla de Café du commerce sur la-justice-anglo-saxonne-qui-elle-au-moins-laisse-tout-dire-et-sacralise-la-libre-parole… Il faudrait qu’ils se décident, ces bavards, à lire l’auteur des « Lettres anglaises », qui n’a jamais écrit la fameuse phrase apocryphe sur les idées qu’il ne « partage pas » mais qu’il « se battra jusqu’à la mort » pour qu’on puisse les exprimer. Et il faudrait qu’ils essaient, une fois, juste une fois, d’exercer ailleurs et, par exemple, aux Etats-Unis leur fameux droit de tout dire, c’est-à-dire, pour être clair, et parce que c’est toujours, à la fin des fins, à cela qu’on en revient, d’insulter les juifs, les Noirs ou les pédés : sans doute ne trouveront-ils pas, face à eux, un Valls et un Conseil d’Etat ; mais bonjour les bataillons d’avocats, défenseurs du politiquement correct, qui les censureront, eux aussi, « a priori » et leur feront, non moins qu’en France, rentrer dans la gorge leurs saloperies !
5. L’idée encore, ressassée, elle aussi, jusqu’à la nausée, qu’on aurait donné trop d’importance à cet homme et qu’on en aurait fait, en le ciblant, un martyr et une vedette : elle fait l’impasse, cette idée, sur le fait que nous vivons à l’heure d’Internet et que chacun de ces sketchs qu’il aurait fallu prendre le temps d’examiner, de peser en silence, de juger au fond et sans se presser, était vu, en attendant, par des centaines de milliers de gens dans l’esprit desquels il opérait déjà de terribles ravages ; et elle oublie surtout les milliers et les milliers de « fans » qui n’ont pas attendu Valls, et le juste scandale qu’il a provoqué, pour, à Nantes, Tours, Orléans et, de fait, dans toute la France, acheter à prix fort des tickets leur permettant de se goinfrer d’insanités sur les juifs, les gays ou les « guenons ».
6. Et puis un dernier mot qui ne surprendra pas les lecteurs de ce bloc-notes. L’antisémitisme a une histoire. Il a pris, au cours des âges, des formes différentes mais correspondant, chaque fois, à ce que l’esprit du temps pouvait ou voulait entendre. Et je crois que, pour des raisons dans le détail desquelles il est impossible d’entrer ici, le seul antisémitisme susceptible de « marcher » aujourd’hui, le seul capable d’abuser et de mobiliser, comme il le fit à d’autres époques, un grand nombre de femmes et d’hommes, est celui qui saurait nouer le triple fil de l’antisionisme (les juifs soutiens d’un « Israël assassin »), du négationnisme (un peuple sans scrupules capable, pour arriver à ses fins, d’inventer ou d’instrumentaliser le martyre des siens) et de la concurrence des victimes (la mémoire de la shoah fonctionnant comme un écran cachant les autres massacres de la planète).
Eh bien, Dieudonné était en train d’opérer la jonction de ces trois fils. Il était, avec son complice Alain Soral, comme un artificier bricolant son engin incendiaire et son imminente mise à feu. Et, pour cette raison aussi, parce qu’il était au bord de synthétiser ces trois thèmes qui, chacun séparément, sont déjà explosifs mais qui, tous ensemble, lorsqu’ils se touchent et se composent, précipitent l’antisémitisme nouveau, il était urgent de l’arrêter.
La vigilance est toujours de mise, naturellement. Le combat doit se poursuivre dans les sites de partage qui hébergent les vidéos de cette fachosphère. Mais que le ministre de l’Intérieur, le chef du principal parti d’opposition, des maires de grandes villes comme Alain Juppé, Christian Estrosi ou d’autres se soient exprimés d’une même voix et aient eu le même réflexe républicain est une bonne nouvelle qui signifie qu’on a bien fait de frapper fort.

3 Commentaires

  1. Winston Churchill a dit en son temps qu’ à l’ avenir les fascistes se présenteraient comme des anti-fascistes..
    Et s’ il avait eu raison ?

    Manuel Valls et son regard de fou quand il évoquait le cas Dieudonné dans tous les JT me fait aussi peur que certains propos de Dieudonné.
    Je ne dois pas être la seule à me faire du souci, Mr le ministre de l’ intérieur a dévissé, perdant entre 7 et 9 points dans deux sondages réalisés après l’ affaire Dieudonné.

  2. P.-S. : À la relecture, je me dis que je n’aurais pas dû embarquer un personnage pur tel que Kévina dans cette fange dégueulasse. Peut-être mon cerveau spongieux, en s’essorant, a-t-il précipité au mauvais endroit l’association faite il y a quelques jours par son auteur, qui s’estimait aujourd’hui trahi comme si l’on venait lui apprendre qu’il avait vécu, des années durant, auprès d’un pédophile? Ou bien, l’inquiétude de savoir toute une jeunesse exposée aux idées fachisantes d’un homme ayant avec son nouveau compère, et quelques autres encore, une lourde responsabilité dans la difficulté que rencontrent les profs à aborder la Shoah en classe? Allez savoir…

  3. J’ai vu Kerry en bras de chemise blancs, aux côtés d’un Netanyahou tout de bleu roi vêtu, affichant la décontraction de deux membres du G8, je les ai vus sur i24news, autant dire que leur message n’est jamais parvenu aux amateurs des spectacles tibériens qui se défoncent à l’éther d’antiterre, droit dans Le Mur.
    La moindre critique que ne s’épuiserait plus à réprimer le haut représentant d’une administration américaine à l’endroit d’un quelconque gouvernement israélien serait instantanément interprétée par les méta-empires comme un retournement d’alliance au profit des Palestiniens. A fortiori quand le reproche se ferait dans le vent du réchauffement américano-iranien, autant dire «américano-islamiste», de quoi réjouir n’importe quel théoricien du complot américano-sioniste, lequel changement de cap, aussi stratégiquement bon soit-il, n’autorise pas la moindre erreur de communication de type védrinisation des esprits amerlocks là où la majorité des voisins de l’État hébreu sont intimement persuadés que le conflit israélo-palestinien ne peut que se solder par la victoire d’un seul des deux prétendants au Saint-Empire d’antan, celui que nous savons officieusement téléguidé par une barre de chî’ites rigolards hermétiquement fermés à la notion de traitement équilibré du conflit. Je souhaite bonne chance à John Kerry, lequel sait mieux que moi que ce ne sont pas les USA qui assurent la sécurité d’Israël, mais bien l’inverse, dans la mission de déminage qu’Obama lui confia, et dont je ne doute pas qu’il s’y consacre avec tout son cœur ainsi que toute sa tête.
    Je partage néanmoins l’amertume de Jack Lang quant à l’atteinte portée à l’une des formes d’expression ultimes de la liberté. Pour autant, mon amertume se boursouffle et en crèverait presque à revisionner ces années d’indulgence crasse où les clins d’œil de connivence envers l’ancien collègue bavaient, par incidence non contrôlée, sur sa candidature drumontiste aux législatives de 2012. En tant de guerre, la notion de censure n’est pas de même nature qu’en tant de paix. Or à en croire Assad, — le simple fait que l’on ait le choix entre le croire ou non me paraît suffisamment éloquent comme cela, — l’accord de Genève 1 dont l’éventualité demeure qu’il soit un jour estampillé «munichois» ne laisse rien présager de bon pour l’avenir non-aryen de la Tchékoslovaquie iranienne.
    «TOUT CE QUI EST EXCESSIF EST INSIGNIFIANT!
    — Tout ce qui est modéré est médiocre.»
    Sous Mitterrand, je n’ai pas vu le Zénith se laisser monter dessus par la bande à Baader ou le gang à Mechaal pour une raison très simple à imprimer. À l’époque, l’(a)SS(a)SSin et son double ne s’étaient pas encore lancés dans le stand-up. La version quenellisée, pardon… édulcorée, du One Man Show pro-terroriste ne laisserait rien, dit-on, présager de mauvais. À ceci près que le roitelet de la Main d’or eut la bêtise de prendre au sérieux le sceau absolutiste dont son prénom l’avait marqué au fer. Il doit savoir que si de son côté, il n’arrive à prendre son pied qu’en fantasmant sur l’analfisting de la terre d’Israël, les Juifs, dorénavant, ne feront plus rien pour l’empêcher d’y creuser sa tombe.
    Chez le bon mécano antisioniste, le joint juif ne doit pas étanchéiser la culasse animiste, chrétienne ou musulmane, son substrat spirituel étant voué à disparaître, à court ou moyen terme, au profit de tout ce à quoi il fut substitué comme de tout le reste qui lui fut substitué. Or les Français d’origine judéenne, tout comme les Français d’origine arménienne, outre leur spiritualité vénérable, sont aussi les membres d’une diaspora. Ceci implique qu’un point de jonction ait préexisté à leur dispersion, une terre où ce peuple a façonné son histoire, un exil consubstantiel de son extraterritorialité millénaire jusqu’à une tentative d’extraterritorialisation finale qui si elle fut manquée par les amis du SS-Grosse Mufti, réussit en revanche à précipiter le retour de ce peuple sur ce coin de Terre où lui avait été spoliée son antique souveraineté.
    À l’idée de qui viendrait l’envie de rafler son histoire à l’Arménie? Mais qui donc pourrait-il en tirer avantage (grattage de Grand Bouc)?
    J’écoute Élie. «Dieudo» n’a pas toujours été un antijuif. Il aurait même joui avec son complice d’identités permutables. Rien ne serait alors perdu. Rien ne nous forcerait à faire le cadeau du virtuel au Dr House de la nouvelle philosophie. Le racisme compulsif de l’homme dont nous avons bien du mal à prononcer le patronyme de crainte qu’une ombre glacée ne nous désigne comme les diabolisateurs des anciens indigènes de l’empire colonial français, ce racisme-là ne diverge en rien de la haine communicative du monstrueux parrain de Plume M’bala M’bala. Une seule humanité. Pourvue d’un même syndrome d’autodestruction poussé à se projeter hors de lui-même. Aussi, la compulsion à déshumaniser que certains d’entre nous ont cru diagnostiquer à travers la double personnalité de feû Dieudonné n’est pas une obsession africaine. L’identifier n’équivaut pas à diaboliser l’identité des Noirs. Et si Élie aimait bien être noir, il ne tient qu’à lui de continuer à l’être. «Perso», comme dirait Kévina, je n’ai pas attendu son show-baiseur pour avoir tournoyé, bien avant les Nineties, dans l’hélice de Watson, en élective compagnie.
    Nous l’avons tous compris. David Berkowitz ne fut jamais un homme dangereux, seuls l’ont été ses crimes sériels. Le punir à leur place était un crime odieux de la part d’une démocratie libérale, première du nom. Laissons donc Berkowitz vaquer à ses occupations et occupons-nous de nos petites personnes jusqu’au prochain événement fascinant. Ou bien, peut-être, autre chose. Un autre type d’occupation. Empêcher David Berkowitz d’exercer son influence sur David Berkowitz. Placer David Berkowitz sous influence externe, à même de transformer sa personnalité, d’entraîner sa furie vers une zone de résorption. L’ambition légitime de la France à conserver son influence à une échelle internationale ne rime à rien si la France a perdu son emprise sur David Berkowitz.