Entre éternelles tentatives de dédiabolisation et jeu interne visant à contenter toutes les composantes du Front National, il était urgent de disposer d’un ouvrage racontant, avec objectivité et sans procès d’intention, l’histoire du parti de Jean-Marie Le Pen. Voilà qui est chose faite grâce au travail méticuleux des journalistes Dominique Albertini (Libération) et David Doucet (les Inrockuptibles), auteur d’« Histoire du Front National », publié aux éditions Tallandier. A l’heure où le parti à la flamme tricolore est plus que jamais sous le feu des projecteurs, il semblait intéressant de revenir sur les premières heures fondatrices du FN. Rencontre et décryptage avec David Doucet.

LDS : Vous commencez votre histoire du FN en brossant le portrait d’un Jean-Marie Le Pen ambitieux mais déçu d’avoir été directeur de la campagne Tixier-Vigancour en 1965

David Doucet : Quand on demande à Jean-Marie Le Pen quel est son plus grand regret politique, il parle immédiatement de l’organisation de la campagne de Tixier-Vignancour. A cette époque, un ensemble de circonstances a conduit Le Pen à devenir directeur de campagne de Tixier plutôt que candidat lui-même. Tixier qui était haut dans les sondages [mais n’obtiendra finalement que 5,2% des voix à l’élection présidentielle de 1965, ndlr] n’a finalement pas fait la campagne que Le Pen espérait. S’ensuit une division de l’extrême-droite. D’où cette impression de Le Pen d’avoir perdu dix ans.

Pourtant, en 1965, Le jeune Le Pen pouvait-il vraiment faire mieux que Tixier-Vigancour ?

A ce moment-là, Le Pen pensait pouvoir entraîner une résurgence du poujadisme… A la suite de cette déconvenue, il va se mettre en marge de la vie politique pour revenir à la tête de la Serp, sa société d’éditions phonographiques, pour ne faire son retour politique qu’à la condition d’être le seul maître à bord. Ainsi, lorsque François Brigneau vient le solliciter, Le Pen refuse de se mettre à la botte des jeunes membres de l’Ordre Nouveau. Il veut des garanties à la hauteur de son standing d’ancien député poujadiste.

Arrive ensuite la prise de contrôle, de l’intérieur, par Jean-Marie Le Pen sur cette nouvelle extrême-droite en construction…

 

Plusieurs personnes sont pressenties pour diriger ce qui sera plus tard le FN, de Georges Bidault, grande figure de la résistance, à Dominique Venner (récemment suicidé). Jean-Marie Le Pen va très vite arriver à se faire aimer des jeunes troupes d’Ordre Nouveau. Bidault va laisser tomber. D’une structure tripartite, on arrive alors à une organisation duale. C’est ensuite la maestria politique de Le Pen qui va l’amener aux commandes de l’extrême-droite française. De par son bagage politique, son passé de député poujadiste, son parcours avec Tixier-Vignancour, Le Pen devient progressivement le seul maître à bord.

Vous expliquez pourtant qu’au début des années 1970, pour les nouveaux militants d’extrême-droite, Jean-Marie Le Pen est un quasi-inconnu…

Une blague illustrant cet état de fait circulait dans le milieu nationaliste. On aimait à dire : « Le Pen n’a qu’une guerre de retard (l’Algérie) alors que Pierre Sidos en a deux… ». Il faut bien comprendre que pour Ordre Nouveau et les nouveaux militants d’extrême-droite de l’après-68, Le Pen est déjà un dinosaure lorsqu’il réapparait en politique !

La base du combat de Jean-Marie Le Pen, c’est l’Algérie française. Que subsiste-t-il de cette idée aujourd’hui au FN ?

 

Au départ, ce sont les cercles de l’Algérie Française qui apportent des sympathisants au FN, notamment le cercle de Roger Holeindre, sorte de figure tutélaire qui tenait un restaurant aux Halles, le Bivouac du Grognard. Le Pen, lui, n’a pas participé à l’OAS. Il déteste les organisations invisibles alors qu’Holeindre a été l’une des figures de proues de ce mouvement. Dans les premiers temps, le FN se base sur l’Algérie Française. Avec les années, du fait de l’âge des militants, c’est un courant qui perdra progressivement de son emprise. Dans un dernier baroud d’honneur, Jean-Marie Le Pen annonçait préférer un para décoré de la Croix de Guerre plutôt qu’un petit merdeux sortant de Sciences-Po. La logique tend à s’inverser… Aujourd’hui, dans le front mariniste, Holeindre ne représente plus grand chose. C’est du folklore. Dans la nouvelle génération, seul Louis Alliot pourrait faire office d’héritier dans le sens où même si il n’est pas Algérie française, il demeure très attaché à la non repentance vis-à-vis du passé colonial et à la défense des pieds noirs, son électorat.

Dans votre livre, vous montrez que le processus de dédiabolisation n’est pas nouveau au FN…

C’est quelque chose qui revient comme une ritournelle au sein du Front national. La création du FN servait déjà à dédiaboliser Ordre Nouveau. Par la suite, tout au long de l’histoire du parti, il y a ce processus à l’œuvre. On l’avait observé avec Bruno Mégret qui se heurtait aux provocations de Jean-Marie Le Pen. En 1997, à la Grande-Motte, tandis que Mégret essaie de professionnaliser le parti et de nouer des alliances avec la droite, Le Pen parle d’inégalité des races et refait le « détail ». A un moment où la digue républicaine craquait déjà entre le FN et la droite classique, la volonté de Le Pen a triomphé.

Et aujourd’hui ?

Aujourd’hui, la répartition des rôles entre Jean-Marie Le Pen et sa fille est beaucoup plus consciente et voulue qu’elle ne le fut par le passé. La figure de Le Pen père permet de rassurer l’électorat d’extrême-droite classique, il est le gardien de la vulgate frontiste. Sa fille, au contraire, ouvre le parti. Jean-Marie Le Pen sait qu’il n’est pas éternel. Il est plus à droite économiquement, plus radical sur l’immigration, la laïcité et c’est aujourd’hui sa petite fille Marion, qui reprend d’une certaine façon ce rôle qui rassure l’électorat de droite, catholique. Marine de son coté s’occupe du Font national de gauche. Le FN est toujours un assemblage d’idéologies !

Propos recueillis par Laurent-David Samama

histoire-FN-albertini-doucet-tallandier« Histoire du Front National », Dominique Albertini et David Doucet, éditions Tallandier, paru le 19 septembre 2013.