Dans l’un de ses discours datant de l’année 1906 consacré à l’émancipation laïque, Jean Jaurès rappelle que la laïcité en France est sensée unir un peuple au-delà de toute confession et querelle idéologique, y compris d’appareil politique. En affranchissant une société de toute idéologie religieuse, c’est-à-dire de toute une déclinaison ou de tout un codex moral et social prétendument ancré dans une révélation transcendantale, les députés de la IIIe République française avaient aussi voulu exclure toute instrumentalisation possible du religieux par le politique. Les cas de manipulation rhétorique et politique de ce type se sont souvent traduits par l’instrumentalisation de la figure de l’étranger comme incarnant un danger possible pour la nation. Ce mécanisme appartient très spécifiquement aux régimes totalitaires et plus particulièrement aux gouvernements fascistes (ou aux appareils politiques et gouvernements populistes tendant à l’être) qui ont instrumentalisé les dimensions religieuse et ethnique (qu’ils confondent souvent) pour les décliner sur les territoires des valeurs morales, de l’économie, et de l’idéologie nationaliste.

Avec la chute du mur de Berlin et l’effondrement du bloc soviétique qui incarnait une alternative ou un contre-modèle au capitalisme libéral du monde occidental, nous avons vu par le biais de l’économie, et donc du libéralisme à épithète libéral, le monde s’uniformiser progressivement dans ses modes de production et de consommation. Les lois et les valeurs (dites universelles et héritées des Lumières) sensées unifier une nation au-delà de toute différence et idéologie, et plus particulièrement le principe de laïcité, se sont retrouvées comprimées dans l’étau des rapports de forces et de compétition politique. Dans l’incapacité de proposer ou de réviser plus drastiquement les problèmes économiques et sociaux que nous rencontrons en relation avec le système qui régie nos sociétés (l’économie libérale et ses conséquences), beaucoup d’hommes et de femmes politiques en sont venus à faire du clientélisme populiste sous couvert de laïcité. Ainsi, les anciens réflexes qui ont toujours prévalu dans l’histoire des sociétés humaines, consistant à stigmatiser une ou plusieurs minorités pour lui faire endosser la responsabilité d’un problème ou les désignant comme étant à l’origine de ce problème, se sont de nouveau manifestés en temps de crise économique. D’aucuns cherchent à présenter en conséquence l’Islam comme un contre modèle de valeurs et d’organisation sociale, tirant les musulmans de France, ou leur plus grande majorité, sur un territoire non-laïc justement, sous couvert de respect de principe de laïcité. Cette peur de l’Islam a aussi probablement à voir avec une France qui (comme le récent voyage de François Hollande en Algérie l’a démontré) n’assume toujours pas son passé colonial qui impliquait purement et simplement une politique d’occupation de territoires étrangers, de domination culturelle et ethnique, ainsi qu’une politique d’apartheid, avec pour but un enrichissement économique. La figure de l’étranger en tant que danger ou menace potentielle est en France, il convient de l’avouer, dans l’inconscient et l’imaginaire contemporain associé au musulman, voir même à l’arabe, et ceci plus fortement depuis les attentats du 11 septembre 2001 à New York, ou encore ceux de Londres ou de Madrid en 2004 et 2005. Les dernières campagnes présidentielles conduites par la droite française n’ont fait qu’attiser ce sentiment d’étrangéisation du musulman en France, qui pourtant est sensé vivre dans un Etat laïc, c’est-à-dire affranchi de toute stigmatisation religieuse, et encore plus évidemment ethnique. Pourrions-nous en conclure que la laïcité en France est devenue un vecteur de racisme et d’islamophobie? Probablement oui.

La laïcité est une chose extrêmement simple. Il s’agit de la séparation de l’église et de l’Etat. Il ne s’agit pas de la division d’une nation entre bons et mauvais français. Il ne s’agit pas de dénoncer une personne qui souhaite pratiquer de façon plus ou moins ostentatoire sa religion, ou de légiférer sur le port du voile (hijab), lorsque ce dernier est librement porté par une personne. Ceci serait une entrave aux libertés individuelles. On ne légifère pas sur des tenues vestimentaires. Il ne s’agit pas de marquer des frontières idéologiques ou culturelles au sein d’un pays pour rappeler, par exemple, les origines chrétiennes de la France, ni même l’importance du prêtre face à l’enseignant d’une école laïque et républicaine. Si nous nous référons aux derniers sondages d’opinion qui ont été effectués par des quotidiens et des instituts politiques, nous constatons une méfiance croissante, voire même un rejet de la part de nombreux français à l’égard de l’Islam. La laïcité, telle que nous avons toujours prétendu l’exercer, a-t-elle réellement opéré? A-t-elle été le vecteur d’un plus grand degré de tolérance, ou même d’indifférence à l’égard de ceux et de celles qui sont tout naturellement libres de pratiquer la religion qui est la leur ? Les pays anglo-saxons prônant un autre modèle, multi-culturaliste et pluriethnique, ne connaissent pas comme nous ces débats sur le port du voile, sur l’identité nationale, ou encore ces campagnes médiatiques au sujet du problème que représenteraient les musulmans et l’Islam qui est pourtant la deuxième religion du pays. N’a-t-on pas, derrière de fausses intentions républicaines et un discours prétendument laïc, instrumentalisé les passions et ravivé les sentiments xénophobes à l’égard d’une religion que l’on ne cesse de décrier comme étant intolérante, misogyne, souvent trop violente et radicale ? Les Unes d’hebdomadaires tels que Le Point ou L’Express l’année passée ont ému les médias étrangers outre-Atlantique et partout ailleurs en Europe. L’on y voyait l’échec de nos élites à appliquer les principes culturels et politiques que nous prétendons être nôtres et incarner.

La vraie question que la plupart de nos politiques n’ont cessé, de fait, d’esquiver en stigmatisant l’Islam et les ghettos, c’est la raison de la constitution de ces ghettos, et l’échec flagrant de notre modèle d’intégration social. Il faudrait interroger ce qui a favorisé la constitution de ces ghettos, leurs composantes sociale et économique. Ces français d’origine étrangère, souvent issus du Maghreb et de l’Afrique-subsaharienne, sont toujours pointés du doigt à cause de leur lieu d’origine, de leur adresse, de leur prénom, de leur nom de famille ou des préjugés liés à la couleur de leur peau. L’égalité des chances et d’accès aux savoirs n’est pas la même dans notre république. C’est un mensonge. Il serait faux d’affirmer le contraire, car les conditions sociales, économiques et culturelles de ces français sont tout à fait différentes. Quant à ceux qui réclament l’assimilation de ces derniers à « notre » culture comme un bien qui serait paradoxalement exclusif et universel (un peu à la façon de ces religieux qui prônent des vérités révélées qui ne sont que des intolérances, des fins de non-recevoir), nous devrions leur demander s’ils accepteraient, par exemple, la cohabitation d’une famille française d’origine malienne ou tunisienne sur leur palier, que cela soit dans les ghettos huppés du XVIe arrondissement, de Neuilly, comme dans les banlieues défavorisées de Sarcelles, Saint-Denis ou Sevran où l’on pourrait aussi leur proposer de vivre durant quelques mois pour qu’ils commencent à comprendre enfin ce qui s’y joue réellement. Certains français dits de souche ou « d’origine », pensent-ils au fond d’eux-mêmes appartenir à la même humanité que ces dits étrangers ? C’est-à-dire capables de les reconnaître comme leurs semblables, leurs concitoyens, comme leurs frères et sœurs, au-delà de toute considération ethnique et religieuse, pour revenir aux fondements mêmes de la première République. D’aucuns pensent qu’il conviendrait à ces « immigrés » de s’assimiler à nos valeurs. Ils se trompent. L’assimilation consiste en un écrasement de la mémoire et des origines de l’homme et de la femme venant d’ailleurs pour vivre ici. Cette richesse culturelle est une force, elle n’est pas une faiblesse, à plus forte raison dans un monde ouvert et global dont les libéraux ne cessent pourtant de faire la promotion économique, tout en esquivant sa dimension culturelle, et sociale.

Que penser des invectives de certains, tel que M. Copé, lorsque ces derniers parlent de l’enfant musulman qui vole le pain au chocolat de l’enfant blanc, chrétien, qui dans l’imaginaire hexagonal moyen incarne ce que l’on pourrait vulgairement nommer le bon petit français. Le bon petit blanc face au vilain bougnoule ? Le simple fait que certains de nos élus utilisent ces méthodes immorales de mise en opposition des différentes communautés d’une même nation, n’est-il pas la démonstration même que le principe de laïcité n’est non seulement pas intégré, mais ouvertement foulé du pied par nos responsables politiques, comme le discours du Latran, prononcé par l’ancien Président de la République, ou la fin de la dernière campagne présidentielle de 2012 en ont fait la preuve ? Ne tournons-nous pas le dos au réel, c’est-à-dire au visage véritable de la France du XXIe siècle, qui est sans équivalent dans notre histoire, comme s’il s’agissait là d’un déni du réel? Une France pluriethnique dont la couleur de la peau, les origines, la langue, la mémoire et l’imaginaire ont tout simplement évolué et se sont étendus ? Le simple fait de penser en opposant majorité et minorités, n’exprime-t-il pas un malaise profond dans notre société, alors même que toute société est par définition l’expression du cumul des minorités et individualités qui la constituent, sur la base d’un contrat social commun que nous respectons? La récente publication des caricatures de Charlie Hebdo, qui s’est assuré par là même une campagne promotionnelle sans commune mesure, a-t-elle contribué à créer un débat de fond utile sur la laïcité, ou  n’a-t-elle tout simplement fait que renforcer les rancœurs et l’incommunicabilité entre des hommes et des femmes de confessions différentes, mais pourtant tous français dans leur grande majorité? Le Front National lui-même, revendiquant pourtant ses racines chrétiennes et construisant toute sa politique et rhétorique sur la cristallisation de l’étranger comme un problème majeur, ne prétend-il pas être aussi laïc et républicain ? Nous aurions peut-être envie de leur répondre, à l’image d’un Pierre Desproges, qu’il y a peut-être tout simplement trop d’étrangers partout dans le monde, et que ceci est un grave problème…

Rappelons-nous des récents débats ayant eu lieu dans un pays en proie au doute, doute politique, identitaire et économique, doute sur son avenir, sur ce qu’il pense être et ce qu’il est aujourd’hui réellement. En parlant de laïcité, peut-être avons nous commencé à parler de tout autre chose, et peut-être conviendrait-il enfin de nous confronter avec courage à la réalité de notre histoire et aux possibles échecs qui furent et sont les nôtres à réaliser un idéal identitaire et universaliste à la hauteur duquel nous ne sommes pas, à nos propres yeux comme aux yeux du monde. La montée du racisme et de l’islamophobie la plus banale en est peut-être l’une des expressions (par exemple l’occupation de la mosquée de Poitier par des jeunes extrémistes de droite). Les médias français présentent la plus grande partie du temps un islam fasciste et radical, et l’on rabaisse toute une communauté religieuse vivant paisiblement sa foi à l’image de quelques fanatiques avec lesquels ils n’ont rien à voir. L’islam et la façon de vivre, de comprendre et de pratiquer cette religion est très diverse et polémique au sein même du monde musulman.

L’ignorance de l’autre et de soi-même, le déni du réel et du passé sont probablement les thématiques sous-jacentes qui se cachent dans nos faux débats franco-français sur une laïcité mal comprise et mal vécue, qui permet aujourd’hui de honnir l’étranger en s’en cachant; alors même que ce dit étranger, n’est ni plus ni moins que l’un des nôtres.

Un commentaire

  1. A l’époque où la loi sur la laïcité a été promulguée ,c’était pour éviter des conflits religieux » entre les trois religions principales en France.Les catholiques les protestants et les juifs; Aujourd’hui il y a une religion » nouvelle qui est l’islam.Cet accord est donc déstabilisé.
    Peut être faudrait il revoir le texte et l’améliorer ou carrément en proposer un autre.Le FN se revendique chrétien mais il ne l’est pas.Un chrétien,définition disciple du Christ est pratiquant alors que la chef de ce parti ne l’est pas.Elle est catholique de tradition se définissant comme catholique de parvis,et non pas catholique de foi.C’est un peu la même chose pour les musulmans,un vrai musulman est pacifique et pratiquant,musulman veut dire pacifié,les autres ne sont musulmans que de nom ou sont tout simplement arabes et païens voire idolâtres.Donc pour établir une nouvelle laïcité il faudrait prendre en compte toutes les diverses formes de religions qui existent.les chrétien pratiquants et les chrétiens non pratiquant,les juifs pratiquants et les juifs non pratiquants etc.. et adopter un texte qui convienne à tous.