Olivier Py est désormais parti de l’Odéon. Avant de prendre, en 2013, la direction du Festival d’Avignon pour la programmation de l’année 2014, il va se lancer dans la grande course des metteurs en scène de son envergure, invités à proposer des créations, notamment d’opéra, partout sur le circuit européen.

Il écrira aussi, sans doute, avant de revenir enfin, après quelques mois d’errance, chez lui – en Avignon. Et d’inventer les manières de faire de la cité du Vaucluse bien plus qu’une simple capitale de l’art dramatique – le cœur battant de la réflexion du vivace aujourd’hui, dont le théâtre constitue la mise en forme sensible et fulgurante.

Il a pris la route, sur le chemin qui le mènera à la Cour d’Honneur du Palais des Papes, où il s’est déjà tant illustré.

Il serait possible de se tourner entièrement, d’un seul mouvement, vers le futur. Envisageable, aussi, de revenir sur les conditions pour le moins problématiques qui le virent quitter son office de directeur de l’Odéon pour aller ailleurs. Et, pourquoi pas, de donner voix aux rumeurs qui courent sur la politique à venir du Théâtre de l’Europe.

Mais là n’est pas le sujet. Car Olivier Py, loin de l’illusion d’une part, de la médiocrité de l’autre, a offert au public un magnifique bouquet final – un double feu d’artifice imprévu pour un départ déplaisant.

En mars, il a présenté coup sur coup deux spectacles extraordinaires, qui doivent être lus comme un manifeste des chemins qu’il s’apprête à emprunter.

Le premier est Die Sonne, une pièce qu’il a écrite et mise en scène. Traduite et jouée en allemand, elle résulte d’une collaboration avec la Volksbühne de Berlin: Frank Castorf a mis en scène une pièce française, avec des acteurs français – La Dame aux Camélias, d’Alexandre Dumas Fils. Olivier Py, pour sa part, s’investit dans l’univers germanophone – qu’il connaît bien, par ses mises en scène d’opéra.

Die Sonne est une grande et belle pièce de théâtre. Elle témoigne, par son ampleur – trois heures de spectacle environ –, de la foi qu’a Olivier Py en la création dramatique.

On y retrouve les obsessions de l’auteur qu’il est surtout – sexuelles, poétiques, théologiques, antiques, méditerranéennes. Lui-même soutient, dans la présentation qu’il livre du spectacle, s’identifier au personnage du poète qui se donne à l’amour du Faune Axel, créature dionysiaque inspirante et inspirée qui se cache sous le métier d’acteur. Olivier Py, poète, encore et toujours? Victime endolorie d’une passion dévorante pour l’énergie d’un monde qui existe en dehors de lui, un monde qu’il ne saurait s’approprier sans l’anéantir?

Pourtant, Olivier Py est aussi Axel. Il est aussi ce jeune homme qui danse nu – comme lui-même l’a fait, dans la Cour d’Honneur -, ou, du moins, être ce jeune homme est son idéal dangereux, perturbateur, un idéal qui l’invite à créer. Certes, il est un “poétaillon” de théâtre, mais aussi et surtout le chantre de l’inspiration de la vie. Or que se passe-t-il à la fin de Die Sonne? Axel revenu à lui-même, revenu à la jeunesse de Dionysos, décide que le théâtre ne suffit plus, qu’il faut aller dans le monde – et bien sûr, la référence au Zarathoustra qui, comme disait Nietzsche, “alla parmi les gens” (“ging unter den Leuten”) est évidente.

La démesure créatrice d’Olivier Py est un écartèlement: d’un côté, il est homme de théâtre, il est le poète dramatique, qui écrit pour la scène, cette scène même de l’Odéon où le spectacle a été présenté. Mais il est aussi un Axel masqué, dont le masque, à force d’être effleuré, manipulé, risque bientôt de tomber.

Deuxième spectacle – dernier spectacle : la reprise du personnage de Miss Knife, légendaire tour de chant d’Olivier Py travesti. Le spectacle est éblouissant. Il l’est par la maîtrise vocale de l’interprète – n’oublions pas qu’Orphée est aussi un des modèles du poète de théâtre. Il l’est par la poésie des textes. Il l’est enfin par le jeu amusé avec le code du spectacle de drag queen: Olivier Py en reprend les lazzis, les plaisanteries érotiques, mais leur imprime une profondeur métaphysique. A l’ampleur de sa création répond la légèreté du concert – un concert de deux heures, tout de même.

Or le spectacle de Drag Queen est aussi un jeu avec l’extérieur – avec le concert. C’est aussi le moment où Olivier Py touche à l’idée d’une création totale: écriture, chant, interprétation physique. Or cet idéal du Gesamtkunstwerk wagnérien pose les fondements d’une conquête du monde.
Car c’est là que se joue la tension dans le devenir d’Olivier Py: poursuivre dans la mise en scène, l’écriture, le jeu – le monde du théâtre, où il excelle, et où même ceux qui n’apprécient guère sa voix utopique ont fini par en reconnaître la légitimité, la possibilité d’être. Ou entrer dans le monde.

Ses interventions pour le Huffington Post français, sa participation récente aux Inrockuptibles, avec un article sur la politique culturelle de Nicolas Sarkozy, témoignent de sa volonté d’entailler le monde réel, de nouer l’inspiration recueillie au contact de la fiction à la matérialité politique de l’univers contemporain.
Son recueil d’articles politiques, à paraître chez Actes Sud en juin, sous le titre Cultivez votre tempête, exprime également sa volonté de prendre parti, en se fondant sur un savoir différent – celui de l’artiste, le sien.

Shakespeare mettait dans la bouche de McBeth la fameuse phrase: “le monde entier est une scène”. Le microcosme se retrouvait dans la totalité de l’univers. Olivier Py, parti de son royaume, semble bien désormais prêt à entreprendre la conquête du monde.

Un commentaire