Qui n’a pas vu le Champ-de-Mars plongé dans le noir et soudain s’illuminer par la grâce de centaines de milliers d’écrans de téléphones mobiles brandis par une foule chantante et chaleureuse ne sait probablement pas ce que le mot fraternité veut dire.

Le « Concert pour l’égalité » qui s’est tenu à Paris ce 14 juillet appartient bien sûr à l’histoire de SOS Racisme qui en était l’organisateur, mais plus certainement encore à l’Histoire qu’à SOS Racisme.

Difficile de déterminer si c’est SOS qui a inventé ces gigantesques happenings festifs ou l’inverse : place de la Concorde au mois de juin 1985, cinq cent mille personnes assistaient au baptême de l’association. Le 14 juillet dernier, nous étions un million ! En 26 ans, le public de SOS Racisme s’est multiplié par deux sans prendre une ride.

Il n’est pas interdit de se demander quelle autre association en France avait la capacité de mobiliser en si peu de temps autant d’énergies militantes, artistiques, politiques et syndicales ? Il faut bien sûr distinguer les généraux de « l’armée des potes » à qui l’on doit cette gageure : Guillaume Ayné qui a fédéré les partenaires associatifs et syndicaux, l’irremplaçable Steevy Gustave qui a assuré avec David Pierre-Bloch, une relève artistique de premier plan – Yannick Noah, Bénabar, Michel Delpech, Nolwenn Leroy, Grégoire, Joyce Jonathan etc. – mais aussi Layla Rahou, Flora Saladin, Loubna Méliane et tant d’autres, anonymes et humbles de Paris et des comités de province qui ont permis à cette entreprise impossible de devenir un événement exceptionnel à tous points de vue.

Cette foule nombreuse venue chanter sa joie d’être ensemble était étonnamment paisible. Il n’y eut ce soir-là au Champ-de-Mars aucun incident à déplorer. Qui aurait pu croire qu’il résulterait de l’un des évènements les plus importants jamais organisés un jour de fête nationale, l’un des 14 juillet les plus calmes dans la capitale ?

Voilà pour l’exploit. Mais il n’est rien si l’on oublie qu’il procède d’un miracle républicain. Car ce concert n’aurait jamais dû avoir lieu.

Il avait été expliqué aux responsables de SOS Racisme que le 14 juillet était traditionnellement célébré le 13 au soir par un « Bal des pompiers » donné à la Bastille et que cette tradition était tellement ancienne que nul ne savait quand et par qui elle avait été instaurée. Combien de réunions, d’argumentaires, de notes, de mails a t-il fallu pour que Dominique Sopo, Président de SOS Racisme fasse partager cette lubie : et si en 2011, le 14 juillet se fêtait le lendemain et en plus grand ?

La Ville de Paris s’est laissée convaincre en posant dans un premier temps une condition : rien sur le Champ-de-Mars! La préfecture craignait des incidents et la direction des parcs et jardins redoutait la dégradation de ses pelouses. Et pourtant, Bertrand Delanoë, Maire de Paris, faisant fi de tous les obstacles et toutes bonnes raisons de procéder comme à l’accoutumée a accepté de confier l’évènement festif du 14 juillet à SOS Racisme et en prime, au Champ-de-Mars ! Il est vrai que tout au long de ce cheminement l’association s’est découvert un avocat acharné auprès du Maire en la personne de Pascale Boitard, son adjointe en charge de l’intégration des étrangers non communautaires.

Il serait faux cependant de limiter ce Concert à une fête, même d’une ampleur inédite. Il s’inscrivait au contraire dans le contexte lourd d’un an et demi d’amalgames, d’insinuations et de coups de boutoirs contre les minorités dans notre pays. SOS Racisme avait d’ailleurs annoncé la couleur : « ce concert est fait pour tous ceux qui pensent que les enfants d’immigrés sont des Français à part entière, que la femme est l’égale de l’Homme, que les pauvres ne sont pas des parasites, que les homosexuels ne sont pas des déviants et que les jeunes ne sont pas synonymes de racailles ou de branleurs mais qu’ils sont l’avenir de notre pays ».

Surgi de nulle part à la manière d’un écho lointain qui se rapproche, le concert est devenu au fil des jours et des réseaux un totem que l’on se chuchote, un mot que l’on se passe. Une clameur venue du 14 juillet 1935 peut-être, lorsqu’à l’appel de la Ligue des droits de l’homme, les républicains avaient fait le serment de rester unis face aux périls ; serment qui a servi de prélude au Front populaire et aux plus radieux de tous les 14 juillet ?

Car il s’est passé quelque chose d’inattendu au Champ-de-Mars. Une mélopée s’est échappée de la musique de Noah et ses amis : la sensation que la gauche venue par ses représentants les plus éminents et les plus divers comme François Hollande, Martine Aubry ou Eva Joly s’était donnée rendez-vous pour préparer l’avenir ; la certitude surtout, que le sentiment républicain si souvent outragé ces derniers mois était réhabilité par le plus grand nombre tant et si bien que le principal mérite de Dominique Sopo, s’il ne devait en rester qu’un, sera d’avoir fait naître lors d’une belle soirée d’été, le printemps d’espoirs nouveaux pour notre pays.

4 Commentaires

  1. J’aimerais que vous m’aidiez, cher Patrick Klugman, à dissiper tout malentendu entre vous et moi. Si c’est en adversaire que je me suis confié à vous, ce n’est pas dans le cadre des présidentielles mais dans celui des primaires socialistes que je l’ai fait. Et c’est en socialiste que je voudrais étayer ma pensée de quelques questionnements supplémentaires…
    Si monsieur Kempf a raison, si du fait que tous les hommes de la Terre soient au courant des modes de vie de tous les hommes de la Terre on peut conclure de l’existence d’une culture unique de l’humanité, alors, la polygamie et la monogamie comme la lapidation et l’abolition de la peine de mort sont deux modes de vie d’une seule et même culture que rien n’oppose ni n’empêche de coexister, ce qui va permettre à monsieur Ramadan de voter pour monsieur Kempf.
    J’ai besoin qu’on m’explique. Pourquoi faire l’apologie du multiculturalisme au sein d’un monde partageant la même culture? Et s’il est bien multiculturel, comment ces cultures diverses se répartissent-elles d’un bout à l’autre de ce monde? On pourrait imaginer que différents ensembles ethniques assureraient au sein d’une nation la transmission de leurs modes de vie ancestraux à leurs progénitures respectives. On pourrait voir se développer en France, par exemple, une subnation polonaise ayant évolué à distance d’une subnation italienne, l’une comme l’autre poursuivant son Intrahistoire à partir du moment où ses propres pères fondateurs avaient posé le pied sur leur nouveau monde. Chacune de ces subnations aurait ainsi conservé sa propre culture, distincte des autres, cohabitant avec les autres sur un même territoire d’immigration. Cette France multiculturelle, comment s’entend-elle? S’il faut que la culture multiple qui la caractérise procède de l’addition des cultures subnationales qui la composent, un tel tsunami d’immigration aurait pu achever de phagocyter la culture nationale sur laquelle son immeuble de vagues se pose. À moins qu’il n’y ait jamais eu de culture nationale ici même où un méchant Richelieu a unifié des ensembles culturels constitutifs d’autant de subnations au prix d’une oppression sanguinaire dont il devra répondre devant le Tribunal céleste. Alors, le multiculturalisme en France sonnerait le glas de Molière, de Baudelaire, de Proust, de Sarraute, de Dubillard, d’Angot, pour célébrer la résurrection des Ch’tis, des Bretons et des Albigeois, caution indigène des innombrables colonies migratoires à venir. Personnellement, je ne suis pas encore prêt à piétiner Les fleurs du mal ni à les condamner à pousser dans Le petit jardin de Lanzmann, loin des regards qui cherchent à les éloigner d’eux. Placer Baudelaire à l’intérieur d’un terreau subculturel d’influence équivalente à en veux-tu en voilà d’autres, c’est d’une part ethniciser son universalité, c’est aussi ghettoïser sa singularité, c’est enfin refuser son identité.
    Mais il semble que le multiculturalisme ait bien fini de fusionner avec l’individualisme. En somme, c’est l’individu lui-même qui est un être multiculturel. Quel qu’il soit pour soi, libre à lui de se livrer aux autres quels qu’ils soient pour soi. Libre à lui de réceptionner autant de livraisons réciproques. Le lieu de la diversité culturelle doit se limiter au cœur des hommes venus d’ailleurs et sommés en leur convergence de s’inventer une culture commune. La nostalgie que chacun entretient avec les diverses cultures auxquelles se soumettaient les membres de la mixture matrimoniale dont il est issu demeurera une source d’énergie incomparable aussi longtemps qu’elle ne quittera pas l’ensemble de ses nappes phréatiques. C’est un métèque qui vous le dit, une nation c’est une langue et chaque langue a son identité. Un visage composé de lettres, dont le lecteur harassé de fatigue essaie parfois d’en sauter une ligne et s’étonne qu’il se soit aussi vite dérobé à lui.

  2. L’anti-racisme ne peut être qu’un point de départ et sûrement pas un point d’arrivée. Dans le cas contraire, ce sera un échec. Et d’ailleurs : c’est un échec !

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    Parmi ceux qui étaient présents, combien sont victimes jour après jour de racisme et de discrimination : logement, travail, loisirs…

  3. J’étais présent lors des premiers grands concerts de SOS Racisme. Cela reste aujourd’hui l’un des grands moments de ma vie. Au point que ce que j’ai vécu là résonne encore en moi comme l’accord parfait en ré majeur du Magnificat, d’autant plus envahissant qu’il se répand dans le silence interstitiel et ainsi, ne me fait pas y regretter l’absence de l’orchestre et du chœur. Je comprends donc ce que le renouvellement d’un tel événement a pu représenter pour ceux qui n’avaient pas eu la chance de l’avoir vécu. Et maintenant…
    Je suis à fond avec vous, sur le fond. Mais question stratégie, maître, si vous me le permettez, je pense que vous êtes à côté de la plaque. L’extrême droite remonte. Il faut donc la refaire descendre. Et ce n’est pas l’antiracisme qui la fera redescendre puisqu’elle est sourde à son argument. On serait alors tenté de se concentrer sur les Français acquis ou accessibles à notre cause en leur rendant insupportables ces salopards sur le Front desquels nous aurions fait une croix, là même où est enracinée son idéologie franco-française, mais cette façon de l’y voir enracinée me paraît quelque peu maurrassienne… Damned! on ne s’en sort pas, hein? On parle de crispations réactionnaires causées par des revendications au respect des droits civiques. La discrimination à l’embauche : indéfendable. La discrimination au logement : indéfendable. Tout à fait d’accord, les revendications émises par quelques porte-drapeau de la Jihad Piracy de bénéficier de notre liberté vestimentaire néosoixante-huitarde ne furent pas formulées par l’ensemble de nos compatriotes musulmans. Or n’a-t-on pas vu s’emP.A.F.er le haut du panier des arts mineurs, éructant dans son complexe de supériorité adlérien, – pardon! Laure et Alex, j’adjectivais Alfred, – que dénoncer ceci, c’était stigmatiser cela? Que n’avaient-ils dressé leurs petites pancartes contre l’extradition de Francisco Arce Montes au cas où elle blesserait l’amour propre des exilés antifranquistes? «Hou… Hou…» me chanterait la chorale amateur du chauffeur de salle. Grotesque. L’extrême droite est là et bien là, se jouant de vous qui en lepénifiant Sarkozy avez sarkozyfié Le Pen, et ce faisant, l’avez lavée de son péché héréditaire, dépétainifiée. En somme, vous aurez fabriqué l’extrême droite décomplexée. Le Front national n’a plus à porter le fardeau du racisme depuis que grâce à vous, Sarko le porte pour lui. Sarko! son ennemi public n°1 juré! Ou comment aider Le Pen à passer pour la Montebourg de la droite. Son rejet de l’immigration ne se pose plus en terme de racisme, – le raciste, c’est Besson! – mais en terme uniquement de démondialisation. Or la force de cette rivale mimétique de Marianne provient de ce qu’elle sait surfer comme son géniteur, sur une souffrance réelle. Ses arguments fonctionnent auprès des suicidés de la société parce que, certains avaient pourtant essayé de nous prévenir il y a bientôt dix ans, ces derniers des derniers ont le sentiment que sur la liste de nos préoccupations, leurs souffrances passent bien loin derrière celles des immigrés. Ont-ils raison ou tort? On s’en fout, ils le croient. Qui, «ils»? Ne me dites pas que vous n’avez pas reconnu ces salauds de pauvres petits Blancs. Bon, dissocier les pauvres par catégorie ethnique, c’est vrai qu’on a fait plus républicain. Mais qui l’a fait? Car en sautant sur chaque étape d’une politique de régulation de l’immigration, pas très éloignée de celle qu’avait menée notre dernier gouvernement socialiste, pour faire de la critique, parfaitement estimable de ladite politique, une critique d’une toute autre nature, j’entends ici la critique d’un racisme dit d’État, non seulement vous nous forcez à jeter aux orties tout problème annexe devenu insignifiant face à une telle urgence, mais vous faites de ceux qui ne se résignent pas à considérer leurs problèmes comme prioritaires, de monstrueux racistes. Or l’immigration doit être régulée. Or la pauvreté s’accroît un peu plus chaque jour. Or le fait de ne pas se polariser là-dessus et seulement là-dessus, – aparté : si le libéralisme est le problème, ne faut-il pas chercher en lui la solution? – conduit ceux qui en sont atteints à en éprouver de la répulsion non pas pour les Français d’origine étrangère, mais pour le sujet de leur objet hors sujet. Alors seulement se réveille le vieux racisme de papa ou maman, lorsque l’exaspération à l’égard d’un complexe de culpabilité néocoloniale rapportant davantage d’attention à la souffrance du descendant d’un indigène de la république qu’à la souffrance du descendant d’un citoyen prolo ou péquenaud de la même république se transforme en nostalgie pour l’empire colonial dont on oublie de dire que la période où il régna n’entraîna pas la souffrance que des seuls indigènes, eh oui! c’était déjà comme ça, les propriétaires de la France faisaient suer la braie autant que le burnous, la gauche de l’époque le savait, la nôtre doit renouer avec sa tradition. Je la verrais bien s’exprimer partout où la nécessité s’en fera ressentir, par ce qui pourrait être un geste antiraciste d’une grande portée symbolique. Des responsables politiques judéo-français, arabo-français, afro-français, sino-français, allant tendre la main aux mains blafardes de leurs compatriotes fantômes. Un geste et la résurrection.
    Un temps pour la gifle de Virgil Tibbs rendue à MISTfuckingER ENDbastardICOTT. Un temps pour la balle dans la peau de John W. Creasy perçue en échange de la vie de cette mini-femme aux cheveux jaunes, Pita, qui se lèvera demain, toujours vivante, indépassable témoin. Le second temps fut celui de Barack.

  4. C’était un très joli conte pour enfants,
    hélas les socialistes vont droit dans le mur avec ce genre de discours victimaire qui exaspère les français, en plus est ce que c’est la subvention qui doit financer ce genre de concert et ces associations qui racialisent le débat en parlant des français issus de l’immigration. Mis à part opposer les communautés je vois pas à quoi sert sos racisme.