Bon, on ne va pas, puisqu’il est tombé très très bas et qu’il lui offre une belle et bonne autoroute, laisser le « débat » sur l’identité nationale, aussi miné soit-il, au Front National et, pas davantage, à ces « idiots utiles » qu’ont joué (malgré eux ?) les sieurs Sarkofeux et Heurtesson, soucieux Ô combien, à quelques mois des régionales, de siphonner de nouveau l’appoint frontiste, et offrant (à leur corps défendant, vraiment ?) à chère Marine, cher Bruno et cher Jean-Marie des verges pour nous faire battre tous autant que nous sommes.

Identité. « Vue de l’intérieur, l’identité n’est rien », disait Nathalie Sarraute. Nul, en effet, n’a d’identité, génériquement. C’est un mot vide de contenu, une pure abstraction. Chacun, en revanche, a des appartenances de toutes sortes, dont il hérite, s’affranchit ou pas, d’autres qu’il se donne librement, et qui, mises ensemble, le constituent, serait-ce contradictoirement. Mon identité, qui, génériquement, n’était rien, est la somme de ces appartenances. Appartient-il à l’État de se mêler d’elles, c’est-à-dire de se mêler de mes croyances, de mes idées, de ma représentation de moi-même et des autres, de ma représentation des Français et de la France ? Non. Domaine privé. Encore moins, quand l’intrusion dans mes appartenances est confiée… aux préfets, c’est-à-dire au bras séculier, policier, du Pouvoir, ces mêmes préfets qui décident qui, des postulants à la nationalité, est ou n’est pas français, délivrent ou non des permis de séjour, expulsent à l’occasion. On aurait pu penser que le débat, touchant à l’histoire, à la langue, à la citoyenneté, au civisme, à la culture, son organisation ait été au moins confiée à une émanation ad hoc de l’Éducation nationale ou une Commission de Sages. À tout prendre, des citoyens dont le savoir et sa transmission sont le métier semblaient plus qualifiés à tous points de vue pour conduire un débat à visée (officiellement…) pédagogique qu’un préfet. Non, des préfets et rien d’autre ! La pédagogie préfectorale, vous connaissez, vous ? Passons…

Reprenons. L’identité ne se décrète pas, se nourrit de mes diverses appartenances, historiques, culturelles, linguistiques et autres. Quant à faire identité « nationale », c’est-à-dire française, cela signifie que les dites-appartenances, quelle qu’en soit l’origine, se jouent, se nouent, se fabriquent en France ou, ce qui revient au même, dans un rapport étroit à notre pays et notre langue. Elles sont, elles seront « made  in France ». Genre « marque déposée ». Un Français, c’est quelqu’un de fabriqué en France, de « made in France », un artefact humain, ses appartenances seraient-elles, hier, avant-hier, issues, venues d’ailleurs. Le jazz, le rock, une fois « made in France » sont devenus français  (Johnny pas français?). L’art nègre a produit le cubisme ; le français est farci d’anglicismes devenus de parfaits mots hexagonaux  (wagon, pas français?) L’islam ­– puisque, sous couvert de débat général, c’est bien de lui, ce grand méchant loup, dont il s’agit avant toute autre chose –  qui se fabrique, cahin-caha, en banlieue depuis un demi-siècle, est devenu, à son tour, un produit (de plus en plus) français. Cela « commence » étranger, cela devient français. L’aurait-on, avec le temps, oublié ? Venus eux aussi d’ailleurs, comme tout ou presque (de Rome, en l’occurrence), le christianisme gallican, la langue française, ces deux piliers « latins » de notre fameuse identité nationale, sont passés par là, par cette moulinette, cette alchimie. C’était latin, ça s’est marié (non sans heurts) au celtique gaulois, ça a donné, au cours des siècles, des idiosyncrasies chaque jour plus françaises. Eh, oui, tout comme les objets, comme les marchandises, les choses humaines –  et cela, plus que jamais, à l’heure de la mondialisation – circulent, s’importent, vont et viennent ailleurs, s’invitent sans l’être, s’acclimatent, s’ancrent, muent. Les appartenances fluent, refluent, se crispent, se mixent, se mélangent, s’échangent, s’impurifient, se cosmopolitisent. Regardez les États-Unis (et regardons, tout autant, la France). De même que la part arabe de millions de Français issus du Maghreb se francise et s’imprègne de la culture dominante chaque jour (par choix, par contrainte ou par la force tranquille des choses et du temps),  une part de nous va peu ou prou, avec les années, s’« arabiser ». Qu’on se rassure ici ou là : sachez, chers amis du Front national – qui vouliez tant, jadis, que l’Algérie (et tous les Algériens) soient français –  que vous n’en mourrez pas. Peut-être même, qui sait ?, vous en porterez-vous mieux…(Non, Jean-Marie, ne nous fais pas un arrêt cardiaque !).

Venons-en à «la fierté d’être français », nouvel impératif catégorique exigé des jeunes Beurs et autres Français peu « de souche », alias les nouveaux « arrivés » (en seraient-ils à la troisième génération…) Quand on cherche un travail ou un logement,  qu’on vient de Clichy sous Bois et qu’on s’appelle Mohammed, on rencontre parfois quelques menus délais, difficultés et problèmes, quelques muettes rebuffades. Difficile de se sentir pleinement français quand on n’est pas tout à fait reconnu comme tel ; difficile d’éprouver de la fierté à être tenu pour un demi-Français.

Alors quelle est la meilleure identité nationale « possible », dans ce creuset, ce melting-pot qu’est, de longue date et chaque jour désormais davantage, la France ? Ce n’est certainement pas partager un passé rien moins que commun pour une partie de la communauté française. Comment un Français d’origine arménienne, arabe, juive d’Europe centrale ou polonaise, vietnamienne, africaine, pourrait-il se sentir français en faisant sienne, en toute priorité, une histoire française multi-séculaire qui ne concerne sa famille et lui-même que depuis quelques décennies ? Certes, pas besoin d’être français « de souche » pour vibrer avec Fernand Braudel à l’évocation de la Révolution française, à un poème de Hugo, etc. Mais le socle le plus sûr pour un partage de la France comme idée identitaire reste le vouloir-vivre ensemble, le bon vieux contrat social à la Rousseau (de plus en plus mis à mal, il est vrai, par la marchandisation généralisée des rapports sociaux, le déclin de l’école, la privatisation croissante de l‘État et des services publics, et le chômage de masse).

Enfin, plutôt que de demander cet ancrage identitaire, savant, aléatoire, dans la « chair » historique de nos fondements culturels, forcément discriminants, à tous les « arrivés » d’hier et d’avant-hier, le pari sur une identité française ouverte, pas frileuse, doit être fait sur l’avenir, sur notre communauté non d’histoire, de passé, mais de destin. C’est-à-dire l’Europe. Plutôt que de stigmatiser tels ou tels Français pour leur peu de «francité », mais, en vérité, pour leur origine et leur confession, et de vouloir imposer par le haut une identité française qui ne peut être qu’individuelle et à la carte, quid de cette nouvelle identité à construire, l’identité européenne ? C’est à la construction de cette identité-là, à laquelle, parce qu’elle est neuve, riche d’avenir, presque totalement ouverte et, pour l’heure, non-polémique (elle le deviendra, et ce sera très bien), qu’il faut convier ceux qui, par défaut, ont « mal à la France », ceux qui en sont les mal-aimés (et, bien entendu, le lui rendent tout autant) et tous ceux pour qui être français va depuis longtemps de soi, sans qu’il soit besoin d’en « débattre ».

Bref, arrêter, comme le demande SOS Racisme et mille autres (dont, à sa façon, et sans le dire, Alain Juppé) ce débat biaisé, fliqué, sur l’identité française, qui fait tant plaisir à Jean-Marie et sa grande fille, et engager enfin les actions croisées, intra-européennes, qui nourriront cette part de nous qui aspire – jusqu’à présent dans le vide et dans l’abstrait –  à devenir européenne.

4 Commentaires

  1. @ Pôle en Ski. Pourquoi ce propos vous choque t-il? ce n’est pas un jugement de valeur, c’est une réalité. C’est la démonstration de la différence entre le normatif et le positif. D’un point de vue normatif, il serait bien que l’histoire de France soit faite sienne par tous et qu’ainsi, elle genère un lien commun entre toutes les personnes vivant sur le territoire Français. Mais la réalité est là pour montrer que il est difficile pour des gens dont le passé est bien plus charger de souvenirs, d’anecdotes familialle bref de culture, en provenance de leur pays d’origine de se sentir Français.

    Cette difficulté n’est pas l’apanage des communautaristes. C’est simplement celui des personnes à cheval entre deux cultures. Tous les métisses, tous les immigrés et leurs enfants de 1ère 2ème etc génération.

    Il semble que le problème est en parti du au fait que la culture est réfléchie comme une entité unique. « Qelle est l’identité Française qui conviendrait le mieux pour que l’on puisse y intégrer une majorité ? »

    Cependant cela ne peut évidement que provoquer de levées de boucliers. On impose pas une culture. Si une personne étrangère choisi la France pour y vivre. Certes elle est obligée de la respecter et de vivre selon les principes de base les plus importants de celle-ci. Mais ce n’est pas quelquechose que l’on peu faire rentrer de force ou contraindre à aimer. La culture est tout de même liée à la découverte, à la curiosité.

    Chacun devrait être à même de se fonder sa propre identité nationale, simplement par son expérience de la vie au sein d’un pays. Le temps est le meilleur créateur d’identité nationale. Un moyen simple pour adopter une culture et par là même se fondé sa propre identité nationale, est de s’y sentir bien, d’y vivre d’y travailler, ressentir les possibilités d’avenir pour ses proches. Tout simplement y voir un futur. Lorsque l’on vient d’ailleur et que le sentiment qui domine est l’incertitude, il est encore moin aisé de se situé dans une société.

    Bref…

    Au revoir

  2. « L’islam ­– puisque, sous couvert de débat général, c’est bien de lui, ce grand méchant loup, dont il s’agit avant toute autre chose – qui se fabrique, cahin-caha, en banlieue depuis un demi-siècle, est devenu, à son tour, un produit (de plus en plus) français. »

    Il suffit de faire un tour sur l’observatoire de l’islamisation en France pour voir que rien n’est malheureusement moins sûr en fait, désolé de décevoir mais il faut commencer par voir la vérité en face et la diagnostiquer correctement pour pouvoir écrire de tel généralité sur un ton désinvolte.
    C’est toujours le même problème très franco-français de la méconnaissance la plus totale du monde arabo-musulman et de sa composante antijuive, anti-laïque, anti-occidentale, liberté féminine …anti pas mal de chose en fait.
    Il sont pas anti-cons par contre et c’est bien dommage !

  3. Arguments surprenants… La « volonté de vivre ensemble » chère à Ernest Renan ne pourrait plus être d’acualité.

    Votre propos « Comment un Français d’origine (…), arabe, juive d’Europe centrale ou polonaise, (…), pourrait-il se sentir français en faisant sienne, en toute priorité, une histoire française multi-séculaire qui ne concerne sa famille et lui-même que depuis quelques décennies ? » me choque au plus haut point.

    Etre francais c’est faire sienne cette histoire de France et effectivement l’intégrer en premier lieu à son identité. N’en déplaise aux communautaristes arabes ou juifs (pour reprendre 2 de vos exemples).

    Vos propos me font prendre conscience de l’urgence de ce débat en espérant que l’Identité Nationale en sorte renforcée et que le caractère laïc du pays soit définitivement ré-affirmé.

    En espérant qu’un jour kippa et tchador soient interdit dans la rue, comme tout autre signe religieux

  4. Cher Herzog, il aurait dû y avoir rencontre, connaissance, respect et partage de nous, de notre culture, de notre histoire, de toute la complexité et richesse qui constituent notre « Je » de Français et Européens.
    On l’attendait, on l’espérait fortement dans ce renouvellement du pacte et lien social, plus intégré et ouvert au monde, à cette Europe que nous construisons sur le ruines de celle des Nations, à la place d’un héritage d’identités sans êtres humains.
    On aurait aimé partager collectivement les nouveaux défis et décliner idéalement celui qui a pu lancer Obama aux Américains, dans un notre « oui, nous pouvons » qui dépasse les frontières. Non, ça n’est plus un rêve de la France d’aujourd’hui, car de toute évidence le mépris, le déchirement communautaire, la xénophobie, la persécution, l’exclusion, la stigmatisation à « la racaille » étrangère a pris le devant de la scène et tourné le rêve en cauchemar.
    Nous sommes plongé désormais dans un réveil agité et nous nous demandons comment est-ce possible d’en être arrivés là, à qui la faute ?
    Les sarkofeux bien sûr, des préfets, le policiers et autres fusibles derrière. Mais est-ce que ça ?
    Je note que la volonté est la même de celle de l’Italie de Berlusconi, de son ami au gouvernement, le Bossi, ce Haider italien chef de file d’un parti xénophobe, la Ligue du Nord.
    Qu’ entendons nous autre que Famille, Patrie, Eglise ? Des thèmes récurrents de notre temps, les symboles mêmes du Mouvement Pour la France, à l’image de son chef de file l’anti-européen Philippe de Villiers, aujourd’hui bien intègré dans les rangs du parti au pouvoir.
    Peut-on encore, comme il le propose d’ailleurs ce jour-ci le conseiller du Président, persister dans ce débat identitaire désormais devenu rance pour le seul plaisir des amis du Front National ? Ca devient franchement insupportable. Il ne reste qu’espérer qu’il soit évacué rapidement et sans autre conclusion par une porte dérobée de la République.