Monsieur Frédéric Mitterrand,

Je vous écris d’un pays où l’homosexualité, comme d’autres « tares indélébiles de la créature homo sapiens déviant du Créateur » est passible de la peine capitale.

Je vous écris d’un pays où son Président, porté au pouvoir par un coup d’État, affirme que l’homosexualité n’existe pas chez lui.

Je vous écris d’un pays où les homosexuels non existants, selon le Président, se prostituaient sous le pont Mir Damad de la Capitale jusqu’en 2006[1].

Je vous écris d’un pays où les récits de vie de ces homosexuels acculés à vendre leur cul au risque de claquer leur chienne de vie au bout d’une corde, vous arrachent les tripes.

Je vous écris d’un pays où la pédophilie est institutionnalisée, où la Loi dite Divine permet le mariage /viol des fillettes dès l’âge de neuf ans lunaire (huit ans et quelques mois).

Je vous écris d’un pays où l’on trouve des centaines de veuves âgées de 12 ans, selon une des députées du Parlement dit islamique[2].

Je vous écris d’un pays où le tourisme sexuel – comme le tourisme tout court – est inexistant mais où le trafic de jeunes vierges vers les pays du Golfe rapporte des millions aux mafieux du pouvoir.

Je vous écris d’un pays où les potentats éliminent purement, simplement et massivement prostituées, petits trafiquants drogués, voleurs de bicyclettes et autres victimes des fléaux sociaux, considérées comme source et racine du Mal.

Je vous écris d’un pays où la femme « adultère » enterrée jusqu’à l’aine est lapidée avec des pierres ni trop grandes, ni trop petites, jusqu’à ce que mort s’ensuive dans la souffrance qu’exige l’expiation du « péché » ![3]

Je vous écris de ce pays où sévit la barbarie dévoilée de son hidjab mais où  se chantent encore les versets du Prophète des Poètes, qui, dans une langue somptueuse, dénonce le mensonge, l’hypocrisie et la morale immorale d’opportunistes bigots,  l’armée de l’ombre des tyrannies.

« Va’ezan kin djelvé dar méhrab-o manbar mikonnand,

tchon bé khalvat miravand an kar-é digar mikonand »[4]

(Les prêcheurs qui brillent du haut des perchoirs, des chœurs et des cryptes,

S’adonnent dans l’intimité à tout ce qu’ils dénoncent).

Je vous écris de ce pays où les héritiers de Hâfez, une jeunesse à mains nues, combat la morale immorale du tyran qui flagelle, lapide et tue en direct dans les rues.

Je vous écris d’ici, car vu d’ici, l’affaire de « La Mauvaise vie » de l’écrivain ministre, paraît d’une insoutenable indécence.

Vu d’ici, les procès cafouilleux et la cacophonie bien pensante de là-bas font rire jaune.

Si la petite « mariée » de neuf ans, la veuve de douze ans, l’homosexuel prostitué de seize ans, la jeune « adultère » condamnée à la lapidation…  Tous ceux et celles qui n’ont jamais droit au chapitre pouvaient seulement vous parler.

S’ils le pouvaient d’ici, ils vous conteraient alors en détail les mille et une mauvaises vies de leurs dirigeants qui violent un peuple au sens propre et au figuré. Oui, si seulement ils pouvaient parler… Ils le feraient sans même vous demander pourquoi et comment ceux qui hurlent au scandale, pointant du doigt votre « Mauvaise vie » en papier, ne disent mot sur leurs vies de chair et de sang que l’on fauche dans la fleur de l’âge.

Ils ne vous demanderaient pas pourquoi et comment les théocrates législateurs de la pédophilie légalisée furent reçus – et si besoin le seront encore dans l’avenir –   dans les palais présidentiels de cette France laïque et républicaine sans pour autant enflammer la capacité d’outrance de tous ceux qui s’égosillent contre vous aujourd’hui ? Ils ne vous demanderaient pas pourquoi et comment, en matière de droits de l’Homme et de dignité humaine, il existe mille poids, mille mesures selon les circonstances.

Non, ces questions sinon stupides du moins naïves et enfantines ne sont plus à l’ordre du jour de là où je vous écris.

Je vous écris précisément de ce pays, mon pays, que j’habite de cœur depuis mon exil parisien, car il m’inspire plus que jamais dans sa douleur.

Car enfin, comment aurais-je pu vous écrire de la France ? Ma pauvre France, devenue mièvre pour avoir perdue sa douceur. Ma pauvre France qui de sa fière révolte ne garde que l’arrogance. Ma pauvre France, devenue frileuse et qui troque ses valeurs fondatrices contre des cache-misères idéologiques, puritanisme, obscurantisme, absolutisme de bon aloi ; les ismes détestables des bien-pensants.

Depuis longtemps déjà, je n’habite plus cette France, mais je resterai à jamais l’exilée du français.

Cette lettre persane, écrite en français, est le témoignage de la solidarité d’une écrivaine iranienne s’adressant à l’homme de lettres et non pas au politique, ministre de la Culture.

Lettre d’amour d’Iran, l’amour d’un peuple martyrisé par les faux dévots, l’amour  pour la liberté dans son sens le plus noble, la liberté qui ne souffre plus les hypocrisies assassines. Lettre d’amour d’Iran pour l’auteur d’une Lettre d’amour de Somalie, livre qui m’avait profondément touchée et dont l’impact est toujours vif comme un souvenir éblouissant. Une empreinte de lecture. Un texte poignant dans sa sincérité sur le sentiment amoureux et le mal d’amour.

Je vous devais donc cette lettre persane  – également ou peut-être essentiellement –  comme réponse tardive à votre Lettre d’amour de Somalie. Vous le savez, on ne peut pas être, ou devenir homme ou femme de lettres sans transparence. Être nu ou plus exactement se dénuder dans ce flux perpétuel du rêve éveillé et accoucher sa vérité.

À ceux qui n’ont visiblement rien compris à votre « Mauvaise vie » car ils ne savent pas plus lire que vivre – l’un étant la condition sine qua non de l’autre – je conseillerai de lire votre Lettre d’amour de Somalie. Ils n’auront sûrement pas l’illumination mais, peut-être, l’humilité de concevoir ce qu’exige le Verbe de l’écrivain…

Quant à l’affaire Polanski, rappelons la phrase clef des dernières interviews  accordées aux médias américains de la jeune mineure de l’époque, aujourd’hui une femme mûre, « ce sont les médias et tous ceux qui se sont servis de mon histoire qui ont ruiné ma vie… ».

Post-scriptum : Enfin, si un jour je décidais d’écrire de mon pays d’adoption, la France, au ministre de la Culture française, et non plus à l’écrivain homme de lettres, je lui dirais sans l’usage de la langue de bois, qui n’a jamais été mon fort, tout ce qui me désole eu égard à la politique culturelle française. Mais chaque chose en son temps…

Sincèrement vôtre,

Fariba Hachtroudi


[1] Voir À mon retour d’Iran. Seuil 2008.

[2] Voir : Les Femmes Iraniennes, 25 ans d’Inquisition islamique. Hydre Edition.

[3] La taille des pierres pour la lapidation est codifiée par l’article 104 du code pénal islamique.

[4] Hâfez