« Or, qu’est-ce que la poésie, sinon l’intuition du possible ? » lance Elie Faure, dans sa magistrale Histoire de l’Art. Il en va de même en amour, quand le sexe devient poétique, il laisse entrevoir du possible. Une autre vie possible, des plaisirs et des peines insoupçonnés, de la tristesse entremêlée de lassitude, de bonheur, de désespoir parfois… Une gamme d’émotions nouvelles qui vient colorer les formes qui nous entourent, les mots que l’on prononce, changer nos perceptions et rendre réel ce qui n’était que virtuel. Seuls les gestes poétiques peuvent contredire ceux qui parlent encore et toujours de misère sexuelle et de désastre amoureux (Alain Badiou dans son dernier livre). Sans doute faut-il réinventer l’amour, mais si la tâche est sans doute plus urgente aujourd’hui qu’hier (après les désillusions de la libération sexuelle), elle n’a sans doute pas vocation à aboutir —mais uniquement à être relancée à chaque génération.

Hier soir, je rejoins Camille au Café de Flore qui m’a appelé plusieurs fois, pour que je vienne la sauver d’un diner qui s’éternise avec un ami qu’elle n’a pas revu depuis l’enfance et qui, avec l’heure avancée, se lance dans une drague aussi audacieuse que conventionnelle. Mon arrivée déclenche son départ rapide et sans aucune gêne. A ma surprise, elle m’annonce qu’elle lui a glissé ses clefs d’appartement pour qu’il l’attende chez elle. « Sa conversation était vraiment trop ennuyeuse, je lui laisse une chance au lit… » — Geste fantasque et poétique dont Camille a le secret.

J’interroge Camille le lendemain sur sa nuit improvisée. Elle semble l’avoir déjà oubliée. « Piètre amant » me dit-elle. Puis dans un éclat de rire : « le plus drôle, c’est qu’après, je lui ai demandé ce qu’il aimait le plus… ce qui comptait le plus en amour… Et là, sans voir aucune perversité dans ma question — chose dont il semblait totalement dépourvue — il s’est lancé au milieu de la nuit sur un fatiguant discours sur la fidélité alors qu’il était encore en train de tromper sa femme ! »

Sur ce terrain de la fidélité, les hommes ont souvent tendance à se raconter des histoires. Ils peuvent soutenir avec conviction et apparente franchise que la fidélité est la valeur cardinale de l’amour, et s’en prévaloir avec fierté dans leur discours, alors que leur vie de séducteur plus ou moins glorieuse ne cesse de les contredire. Il y aurait chez l’homme cette propension à séparer le sexe de l’amour, d’en faire deux régions séparées comme l’âme du corps. Et de penser que ce qui est vrai pour l’homme ne l’est pas pour la femme dont les émotions (la poésie ?) viendraient plus facilement indifférencier les deux réalités, celle du désir physique et celle des émotions amoureuses. Comme si la femme ne pouvait pas « baiser pour baiser ». Comme si elle était cet échange constant entre le corps sexuel qu’elle transformerait aussitôt en amour dés qu’elle jouit du corps de l’autre (homme ou femme d’ailleurs), et qu’inversement, seul l’amour véritable ou fantasmé lui permettrait d’avoir accès au corps de l’autre (et à sa jouissance). D’où la jalousie terrible, criminelle, de l’homme envers la femme (qui ne pourrait jouir sans s’abandonner, donc sans aimer…).

D’un coté donc le geste poétique et plein d’imprévu de Camille : « Voici mes clefs… attends-moi dans mon appartement …». De l’autre un mauvais discours… Discours qui a sans doute comme unique vertu pour l’homme de se défaire un peu de sa culpabilité. Et plus profondément peut-être de chasser l’angoisse que le geste libre d’une femme comme Camille peut susciter au profond des contradictions masculines : et si ma femme faisait comme ma tendre amie d’enfance que je viens de baiser… Et si elle avait la même légèreté, la même perversité poétique qui me dépasse, le même détachement en matière sexuelle, est-ce que je le supporterai ? Comment ne pas voir dans ce discours nocturne déplacé le besoin immédiat de se prémunir contre l’infidélité féminine, c’est-à-dire contre le désir de la femme, contre sa sexualité… autrement qu’en implorant au milieu de la nuit, et dans les bras d’une autre, la ritournelle enfantine de l’amour absolu.

7 Commentaires

  1. Mon chéri, je ne répond pas a tes questions…..
    Que veut tu que je dise :_de Camille qui préfère voir un homme ennuyeux que de rester avec toi ….ou du moins essayer….
    _ ou de cet homme qui a pu tirer son coup..gentiment et en plus, il a put disserte sur son sujet favori : la fidélité….
    Aidez-moi….. je me perd encore une fois….

  2. Bien écrivain…..
    Tu n’as pas fait tes études pour rien …
    Toujours de la thématique, des discussions de philo….. et ton sujet préfère le sexe…..
    L’infidélité, la jalousie, le plaisir en dehors du lit conjugal….
    mérite a eux seuls des pages et des pages de dissertations…
    AVANT TOUT JE NE VOUDRAIS TROUBLER UN PASSER SANS PRÉCISION DE LA PART DE SON AUTEUR OLIVIER ZAHM……
    Mais cet homme est un génie, il excelle dans plein d’études philo… histoire, communication… Ne lui quittons pas le savoir ……
    Quand a ces réflexions stupides sur ses amours libres, il est le seul a en juger et son amie….
    Bien sur , la question serai….
    A-t-il était un jour fidèle? dans le sens ou chacun veut bien Interprétée….
    La vie vaut telle des sacrifices, des hypocrisies……
    ou être grandi justement par le faite de s’afficher tel qu’on est……
    Désolée, je suis pour une vie à la mesure de chacun…..
    Que chacun suit son chemin en ouvrant bien ses yeux….

  3. Perverse Camille et son dîner de con,

    La fidélité à une seule personne, c’est la propriété privée appliquée aux sentiments, I.e. un aspect de l’ego, l’ego aimant : « tu dois avoir des sentiments, mais QUE pour MOI ».

    La fidélité à une seule personne est aussi un dogme religieux censé refléter, symboliser, la fidélité au divin dans les religions monothéistes chrétiennes (il existe aussi des religions monothéistes tolérant la polygamie, je n’en suis d’aucune).

    On respecte donc surtout la fidélité à une personne par goût pour la propriété (de soi) privée qui flatte l’ego, par mysticisme religieux, avec ou sans culpabilité judéo-chrétienne.

    On la respecte accessoirement par goût pour la sécurité, le confort, certains même la respecte par paresse (c’est la pire des raisons, car dans ce cas, ils ne font honneur ni à la paresse ni à la fidélité, ils passent à côté de la vie 😉

    Je crois que Léo Ferré disait : le problème avec la morale, c’est que c’est toujours la morale des autres ».

    Passé ces considérations théoriques, la fidélité est une chose merveilleuse : c’est littéralement « avoir foi ». Le problème est que certaines religions monothéistes compliquent tout en privatisant la fidélité, (je sais, la privatisation est à la mode, et ce n’est peut-être pas innocent) : elles vous disent comment être fidèle, c’est à dire à une seule personne. Je regrette, mais cette unicité, ne va pas de soi, n’est ni automatique, ni évidente.

    En 1994, j’ai rencontré la « femme de ma vie ». En 1995, trois semaines après notre mariage, elle décède dans mes bras d’un arrêt cardio-pulmonaire. En 1996, je rencontre également la « femme de ma vie » (une autre évidemment 😉 mais comment l’appeler autrement !!!) lors d’un stage de clown (clown intérieur, pas « de cirque »).

    Me voici donc, depuis 1996, avec deux (au minimum car je ne compte pas les 1ers amours de jeunesse vécus avec l’intensité des 1ères fois, perdus et gravés à jamais), deux « femmes de ma vie ». L’une est morte me direz-vous ? Qu’à cela ne tienne ! Elle compte pareillement toutes deux dans mon cœur. Si par un miracle de la médecine, de la génétique ou du divin, la première revenait, je lui exprimerais mon amour de la même façon qu’avec la seconde. Nous forniquerions joyeusement avec cœur, corps et âme.

    Et je ne choisirais pas l’une plus que l’autre. Ni ne souhaiterais que l’une se retire. La fidélité dans tout ça ? L’idée réductrice de la fidélité à une seule personne ne s’adapte pas à la réalité de la vie. Et il y a bien des cas autres que le mien. Je me déclarerais corps et âme fidèle aux deux, mon général ! Alors évidemment, les filles vont me répondre que je ne tiens pas compte de la volonté de mes compagnes, que peut-être cela ne leur plairait pas, que forcément, l’une des deux voudrait disparaître de la relation, etc. Vous n’en savez rien, pas plus que moi. Nul ne connait ses limites, alors autant ne pas en arborer à l’avance. Je souhaite simplement à celles que j’aime – et au-delà à toutes les femmes – autant de plaisirs et de bonheur qu’à moi-même, mais je ne peux les forcer à adhérer à mes convictions.

    La vraie fidélité, à mon sens, se mesure sur la durée, et non pas aux nombres de personnes « destinataires » de cette fidélité. Que l’on soit fidèle à une ou plusieurs personnes, pfft, la belle affaire ! Ce sont des hasards numériques qui ne prouvent rien. La vraie fidélité, idéale – utopique pour la majorité d’entre nous (?) – se mesure dans le temps : toutes les femmes que j’ai aimées, je les aime et les aimeraient toujours. La vie, matériellement, nous sépare, mais peu importe, cela est insignifiant face à l’intensité que je ressens de tout temps pour chacune d’elles. Je voudrais pouvoir prendre soin d’elles, les servir pour l’éternité… et réciproquement !

    Voilà ce que je dirais sur le lit de Camille après l’amour. J’aime tenter de « faire » l’amour, I.e. lier le corps et l’âme. Mais je n’aime ni baiser, ni me faire baiser, encore moins deux fois de suite… comme l’ami d’enfance de la perverse Camille.

    Mais bon, partant du principe universel selon lequel on n’offre aux autres que ce qu’on a à s’offrir à soi-même, Camille doit beaucoup souffrir.

    fidel gastro

    PS : mon pseudo traduit juste l’effet que produit régulièrement notre époque sur mon transit.

  4. Je suis une inconditionnelle de Purple Diary, et c’est vrai que parfois je me suis demandée comment il gérait son couple avec « Natacha » comment elle vivait la liberté affichée d’Olivier. Ce texte me donne une réponse. Je vous envie.

  5. C’est bien vache votre histoire. « Voici mes clefs… démarre la voiture que j’arrive » lui fait votre Camille. Le mec lève le camps et disparaît dans la nature. Pas fameux, vous conviendrez, comme résultat d’une drague serrée c’est franchement nul.
    Que votre amie n’ait pas l’air d’être tombée envoûtée sous le charme c’est une évidence que le mec, terré dans l’appartement, a tout le temps de réaliser.
    Elle monte ou pas cette …bonne femme, ce sûrement une pensée qui l’a transpercé dans l’attente. Qu’est-ce qu’elle fout, putain ? Enfin t’es la, lui fait le mec, peut être même remonté, à la vue de Camille.
    C’est sur qu’à ce point il baise un fantôme dans le vide. Comble de l’histoire notre chère Camille, qui à l’évidence n’a pas ressenti grand chose, ne se prive pas de prendre à son tour un plaisir en enfonçant un peu plus son coup :
    « Chéri, qu’est-ce que tu aimes le plus… ce qui compte le plus en amour pour toi ».
    A pleurer, le mec retient ses larmes, pense à sa mère, à la femme, au foyer, aux valeurs sûres d’une vie rangée et sort sa connerie : la fidélité.
    Le tac au tac d’une vengeance ? Peut être, celle d’un chien en tout cas.

  6. Ah Anna, ma belle (je suis généreux et laisse le bénéfice du doute à toutes les filles que je ne connais pas encore…) tu veux jouer des citations? Bon, puisqu’Olivier Zahm a voulu lancer la chose dès sa première phrase, suivons-le. En voici une – en réponse à la tienne:
    « Il y a des femmes dont l’infidélité est le seul lien qui les attache encore à leur mari. » Ah, ah, ah!
    Sinon, sympa de voir que le mec de Purple tient un blog ici… J’aime bien le magazine et j’aime bien ce site, ça tombe bien!
    Seule chose: le blog est un peu vide, franchement… En tout cas, je n’ai trouvé qu’un seul article. Or « MISCELLANÉES », au pluriel, laisse entendre, espérer, la présence de plusieurs posts… Ça viendra, j’espère.
    En tout cas, le type qui est en photo sur le net avec toutes les mannequins en vogue ne pourrait, en toute logique, faire l’éloge de la fidélité… C’est, par contre, inattendu de voir qu’il y a une pensée philosophique derrière tout ça. Tant mieux! Je reviendrai en espérant que le S de Miscellanées sera justifié…

  7. C’est vrai que l’infidélité n’est pas perçue de la même manière chez l’homme… Allez, une citation pour la route:
    « La différence de l’infidélité dans les deux sexes est si réelle qu’une femme passionnée peut pardonner une infidélité, ce qui est impossible à un homme. » Stendhal