Depuis l’été 1975 et ma rencontre avec François Truffaut lors du tournage de L’Argent de Poche, j’avais envisagé le cinéma comme la synthèse parfaite de mes trois passions : la littérature (le texte et la dramaturgie), la photographie (l’image et le cadre) et la musique (la bande-son) sans me douter que trente-cinq ans plus tard, il émanerait un projet personnel… directement lié à François et à notre collision improbable : l’histoire d’un petit garçon inconnu qui rencontre un metteur en scène célèbre… Ou pour citer l’ami américain et professeur de cinéma à L.A, Robert Mc Kee (script doctor et coach d’écriture) adepte de la storyline minimaliste :

– When a nobody boy meet a great film maker …

Il y a des maturations dignes de grands crus vinicoles…
Mais revenons à la genèse : lors du premier rendez-vous chez Truffaut, dans sa thébaïde de la rue Robert Estienne, Les Films du Carrosse, (en hommage à Jean Renoir comme ici, La Règle du Jeu ?), j’avais découvert son bureau-royaume-bibliothèque et cette conspiration facétieuse et envahissante du papier – sous toutes ses formes – roman, essai, journal, lettre, script, cahier, revue, bloc-notes, photo, annuaire, ticket de cinéma… qui tapissait ses murs, ses chaises, sa cheminée, et occupait également ses tiroirs , ses poches, ses mains ..
Voilà, la base première de son inspiration, de sa respiration, le vrai déclic de son imaginaire : le livre et l’écrit. Mais jamais de romans contemporains ! Truffaut ne les lisait pas ; il chérissait les auteurs de son enfance et affectionnait le mythe des écrivains morts ou moribonds, c’est-à-dire très âgés et déjà oubliés, ceux dont les nécrologies – imprimées depuis des lustres dans les rédactions – friseraient à peine les cinq lignes.
Comme si, à l’exemple de ses semblables (Godard, Rivette, Chabrol …) nés au début des années 1930 et donc, adolescents de l’après-guerre, l’essentiel de la littérature avait déjà été créé, livré, révélé, inventé…
Ce sentiment étant aussi largement partagé par les musiciens de la même génération tel le compositeur Michel Legrand, qui estimait qu’après le jazz et ces harmonies complexes et triomphantes, le pauvre rock n’roll de 1954 et la pop des sixties n’étaient que du bruit et du déchet (même les Beatles… sic !). « La messe est dite ! » constatait Truffaut et sa bande des futurs Cahiers du Cinéma. Le spectre des grands écrivains avaient définitivement refermés la page et clôt le chapitre ; pour écrire, il fallait donc réinventer une écriture, provoquer la rupture ou se taire définitivement : pourquoi pas le cinéma ?

Dans son ouvrage paru en 1997, Les Écrivains ratés de la Nouvelle Vague, Godard l’analyse ainsi : – « J’ai essayé d’écrire, je n’ai même pas fini la première phrase ; alors, j’ai fait du cinéma ; car quand on a vu des films, on s’est senti enfin délivrés de la terreur de l’écriture ».
La révolution culturelle s’est donc opérée du côté de la pellicule et la bande des Cahiers s’est engouffrée dans le canyon friable et poussiéreux où végétait le vieux cinéma d’antan et ses éléphants en technicolor pour y installer un nouveau monde des images, léger, brutal, direct, hors la loi…

En 1975, j’étais un gamin inculte et désinvolte. Avant de serrer la pince de ce François, je connaissais surtout le Truffaut – celui de Vélizy 2 – Le vendeur de plantes et des pots de fleurs… J’ignorais l’oeuvre de ce dernier, visionnant plutôt les films américains de l’époque, la mode était au catastrophisme en Sensurround (L’aventure du Poseidon, Soleil Vert, La Tour Infernale) et les long métrages français qui squattaient les écrans français, entre Claude Lelouch et l’incontournable Belmondo.

François m’a illico remis les pendules à l’heure ! Il était temps, non ?

– Que lis tu en ce moment, m’a-t-il demandé à brule pourpoint ; j’ai répondu scolaire : Le Roi des Aulnes de Michel Tournier !

Il n’a pas réagi alors j’ai enchaîné : et les albums du Lieutenant Blueberry de Charlier & Giraud…

– Ah oui, la bande dessinée, le far west, c’est un bon sujet…

Fin de la discussion. En revenant plusieurs fois, chez le père d’Antoine Doinel, j’avais espionné plus attentivement l’antre du maître : que lisait-il, qui étaient ces écrivains favoris, comment ordonnait-il sa bibliothèque, que contenaient ces dossiers et ces scripts anotés ? Que cachaient-ils comme secret ?

J’ai compris plus tard que la matrice de ces scénarios tenait parfois en deux lignes, extraites d’une lecture ou d’un fait divers : on a retrouvé un enfant sauvage sans doute recueilli par une meute de loups (L’Enfant Sauvage). Une femme a tué son mari qui était l’amant d’une hôtesse de l’air (La Peau Douce). Parfois (souvent ?) pour étoffer une scène, il utilisait l’extrait d’une lettre ou les confidences d’une amie, actrice, maîtresse :

– Hier avec mon copain, on est rentré tard et on mourrait de faim ; dans le frigo vide, il ne restait plus que les petits pots de compote, de légumes, destiné à notre bébé ; tant pis, on les a tous dévorés… sans hésiter! (Domicile Conjugal).

Un jour où je l’avais croisé rue Marbeuf, et comme je me plaignais de ma carrière d’acteur qui piétinait, il m’avait offert le plus judicieux conseil de ma vie :

– Bruno, n’attendez pas le rôle de votre vie, il ne viendra jamais… écrivez-le !

Le précieux message s’était évaporé entre mes oreilles car je restais focalisé sur une blessure toujours béante… Pourquoi, jadis, François me tutoyait et maintenant que j’étais jeune homme, il me vouvoyait ?
Aujourd’hui, je pense à lui et profite de la naissance de ce blog pour partager avec le lecteur et François Truffaut (qui je l’espère, me voit de là-haut) le nouveau projet d’adaptation et de réalisation au cinéma, de mon dernier roman « Je N’ai Pas de Rôle pour Vous » (éditions Robert Laffont).
Je vous raconterai chacun des épisodes de ce futur projet et de son évolution, les rencontres, les étapes, les conseils (les bons et les mauvais) les espoirs autant que les déconfitures… ce sera l’aventure d’un film.
J’y reviendrai, donc…

CAPTURE_D'ÉCRAN[1][1]
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Un commentaire

  1. Salut, mon cher Bruno, et bienvenue au Club.
    Je t’embrasse.
    Gilles H.

    P.S. : A tout hasard, tu n’aurais pas un rôle pour moi dans ton prochain film ( si possible, un mec couvert de gonzesses, s’il te plait, Bruno, je vieillis terriblement et les jeunes filles se font rares) ? A défaut, je peux faire aussi le metteur en scène, et, sais-tu, je me débrouille très bien à la caméra (du moment que le mode d’emploi ‘est pas écrit en japonais.; mais, là encore, je peux prendre, si besoin, des cours en accéléré ; tu le sais, je suis super-rapide). Je compte sur toi, mec.