Quels sont, selon vous, les problèmes qui nuisent à la liberté d’informer en Russie ?

J’identifie trois problèmes majeurs. Le premier est celui de l’impunité lors des tabassages ou, pire, des meurtres d’opposants et de journalistes. Le plus souvent, les assassins ne sont pas punis et les commanditaires de ces violences politiques jamais inquiétés. Cela contribue à créer un climat de terreur et pousse logiquement au second problème : l’auto-censure.

Par rapport à la censure classique, comment fonctionne l’autocensure dans les médias russes ?

Il n’y a plus, à proprement parler, de censure en Russie. Personne ne vous dit de ne pas interviewer telle personne ou bien de ne pas inviter telle autre à signer un texte dans vos colonnes. C’est plutôt l’autocensure qui règne… Dans ce cas, les journalistes éprouvent une certaine peur à évoquer certains sujets, ils font eux-mêmes le tri entre ce qui leur apportera des problèmes et ce qui est susceptible de « passer » auprès du pouvoir. Même chose avec les sources…

Et le troisième problème ?

L’idéologisation du journalisme. Progressivement, les médias russes sont devenus des outils de propagande et de promotion politique utilisés par un camp, ou un autre. En fait, chacun les utilise pour défendre ses idées. Il n’existe pas en Russie une télévision comme on peut la voir en France. Le niveau de ce qui est diffusé est assez affligeant, on ne voit sur nos écrans que de mauvais films ou des shows racoleurs : ça se résume assez bien par « du pain et des jeux » ! Autre chose : il n’est pas rare que les infos trouvées et diffusées par les médias russes servent ensuite aux services secrets… Même chose pour la presse écrite. Et lorsque des titres comme Novaïa Gazeta ou bien The New Times font bien leur travail, ils sont accusés d’être des journaux d’opposition et sont immédiatement décrédibilisés par le régime. Cette situation perverse est liée à la question du financement de nos médias. En Russie, il y a une sorte d’interdiction implicite de financer les médias indépendants. Ainsi, Le New Times ne capte pratiquement aucun annonceur. De même, lorsqu’on invite l’opposant Alexeï Navalny à s’exprimer à la télévision, on prend le risque de perdre une grande partie des revenus de la publicité. C’est un cercle vicieux.

Selon vous, où se situe la frontière entre le journaliste indépendant et le propagandiste ?

Toute la question est d’être professionnel. Pour prendre l’exemple de la radio Echo de Moscou où j’officie, nous essayons, à chaque fois, de faire s’exprimer les « pro » et les « anti » et d’interroger les témoins et acteurs directs des faits que nous traitons. C’est quand il ne suit plus ces règles simples que le journaliste devient propagandiste. Cela n’empêche pas, à titre personnel, d’avoir ses propres opinions et d’apprécier un politicien de gauche ou de droite. Mais dans le cadre du travail, ces considérations ne doivent pas interférer.

Un des enjeux est aussi celui de l’accès à l’information, même en régions…

La question de l’accès à l’information sur tout le territoire russe est en effet très importante. Pour commencer par une anecdote, on peut par exemple raconter que l’Echo de Moscou a récemment perdu ses fréquences dans plusieurs états russes. Des alternatives existent cependant : les paraboles offrent désormais l’opportunité de capter tout un éventail de chaînes moscovites et Internet est également un allié capital en ce qui concerne l’accès à l’information.

Concrètement, comment se matérialisent les pressions exercées contre les journalistes en Russie ?

Il existe plusieurs formes de pressions. La première est économique, nous en parlions avec la désertion des annonceurs. La seconde se matérialise, par exemple, lors du changement de propriétaire d’un titre de presse ou d’une radio. C’est ce qui est notamment arrivé au journal Kommersant lors de son rachat par Usmanov (entrainant des départs ainsi que d’importants changements éditoriaux, ndlr).  Il y a enfin les agressions physiques, fréquentes en régions, qui vont du tabassage au meurtre…

3 Commentaires

  1. Sommes nous bien sûr que nous ne pourrions pas titrer la même chose en France ? (Si on se limite aux « grands médias » ?)

  2. Vous feriez bien de vous pencher sur la propagande des médias français avant de critiquer ce qui se fait ailleurs…