Quand Marine Le Pen invente le petit four crématoire
En ce mois d’avril 2015, les masques sont enfin tombés. Le parti de la morale, le gardien sourcilleux des moeurs politiques françaises, celui qui combat pour la grandeur de notre nation contre les valets du mondialisme, le Front National, tête haute et mains propres, est apparu sous son vrai visage. Comment jusqu’alors contredire ses dirigeants quand ils fustigeaient une classe politique obnubilée par les postes et les honneurs ? Le Front National, depuis trente ans, ricane sur ceux qui exercent les fonctions de responsabilité. Suave mari magno, comme on disait jadis : qu’il est doux de voir ses adversaires se naufrager, quand on reste soi même tranquille, sur les rivages paisibles de l’apostrophe, du blâme et des propos de meeting. On voulait prendre le Front National en défaut d’arrivisme, on était bien en peine. On comprenait bien, pourtant, en voyant le regard de Florian Philippot, comment il aurait pu défendre n’importe quoi, la cause de la France ou celle du centrisme indépendant, n’importe quoi en fait, mais tout pourvu qu’il devienne élu, toucher enfin ce monde du luxe administratif, des huissiers et des ministères, des papiers à en tête et des chauffeurs à casquette, des sous mains en cuir et des tapis républicains. On soupçonnait, mais sans preuve !, la façon dont ce parti, supposément les jansénistes de notre classe politique, allait, une fois au pouvoir, se transformer et devenir la pire engeance des cyniques ministériels, les plus roublards et claniques des décideurs publics, les parangons hors catégorie de l’entre soi idéologique. Mais Marine Le Pen, cette si géniale stratège, vient de commettre sa plus grande erreur. Les images consternantes de sa soirée de Time Magazine sont la preuve, la trahison de sa véritable nature, ce qu’on appelle de tout temps, assez peu originalement, l’arrivisme et la concupiscence. C’est un aveu : le Front National n’aime pas la France, il est accro au pouvoir.
Car, que voit-on, quand le grand magazine américain, symbole de la jet-set, invite la présidente du Front National sous ses ors ? On voit une Marine Le Pen, avec la candeur du ravissement, se précipiter dans l’antre de la puissance, de l’argent, de la notoriété, y glapir de contentement avec son compagnon. Voici à quoi ressemblera le gouvernement frontiste si un jour, 2017 ou 2022, le FN conquiert la présidence : des sourires carnassiers, des mines lumineuses, des dents de loups à l’idée de se voir en haut de l’affiche. Voici la vraie nature de nos père-la-vertu, les Savonarole de la vraie France : la complaisance, l’infinie jouissance de sa propre importance. Marine Le Pen a inventé l’extrême droite caviar. Le national populisme Louboutin. Le souverainisme champagne. En finir avec le règne de Bruxelles, et commencer celui de Broadway. Comment, sans mourir de rire, peut-on contempler la procureure professionnelle de l’entre soi dîner avec Kanye West et les publicitaires branchés ? C’est le patriotisme dollar qui brille. Une certaine idée de la France, et des robes de gala, le mélange de Clovis et du jet lag, le mariage du sacre de Reims avec Vanity Fair. Qu’est ce qu’une nation ?, demandait Renan. Marine Le Pen vous répond après les hors-d’oeuvre. Répétons le : le Front National vous trahira. Regardez le sourire, dans sa robe de soirée, de Madame Le Pen, et imaginez combien lui importe votre retraite, votre loyer, vos soucis. Votre bulletin de vote, c’est simplement son carton d’invitation dans le monde des puissants.
Mais, au fond, en quoi ces images sont-elles importantes ? D’abord, on pourrait se gausser de la contradiction. Fustiger, en France , le règne des bobos de Saint-Germain et arpenter les pince-fesses de New York, cela rappelle cette maxime de la Bible, une histoire de paille dans l’oeil du voisin et de poutre dans le sien. Remarquons que cela doit faire souffrir, une poutre fichée dans son oeil. A croire que l’éborgnement, chez les Le Pen, se transmet avec les gênes.
Mais le plus important est ailleurs. Ce qui s’est passé lors de cette soirée de Time Magazine, c’est la démonstration que les Le Pen, père ou fille ou nièce, se contrefoutent de l’avenir des Français. Que leur hargneuse soif de revanche les mènera inévitablement à ce genre de masturbation égotique, d’onanisme paparazzé, doublé d’un clanisme absolu. Marine Le Pen et Louis Aliot, nos deux adolescents au bal du lycée, ont été d’une sincérité presque touchante : voilà leur but, flâner, ravis et vengés, sur les tapis rouges. Tout le reste, les promesses et les idées, ce n’est que de l’habillage et de la démagogie. Les Le Pen en soirée ? Les petits fours crématoires. Travail, famille, paillettes.
Ainsi, contrairement à ce que disait François Hollande, le Front National ne parle pas comme un tract du Parti Communiste : il agit comme un apparatchik du Parti Communiste. Il parle du peuple pour se goberger d’honneurs, il s’engraisse de ses rentes, il sombre dans le contentement de soi, le copinage en smoking, l’autosatisfaction replète. Regardez encore une fois le sourire sur tapis rouge de Madame Le Pen, avant de voter pour elle. Au moins vous voilà prévenu.

2 Commentaires

  1. Brillant !
    « And now the end is near / And so I face the final curtain… »

  2. j’aime : les petits fours crématoires, travail, famille, paillettes, la soif de revanche, j’adore cet article, hélas les gens sont aveugles