Dans une récente interview du Point, le non-médiatique et maudit Michel Onfray digressait sur quelques colonnes à propos de sa vision de la gauche. L’interview était titrée : « Cette mafia qui se réclame de la gauche… » (comprendre : lui n’en est pas). Et de livrer cette confidence : « Je ne me sens pas proche de BHL ou d’Alain Minc, ni de Jacques Attali qui, me dit-on, sont de gauche. Faudrait-il que je me sente proche pour cela d’intellectuels de droite ? Qui sont-ils d’ailleurs ? Concluez si vous voulez que je préfère une analyse juste d’Alain de Benoist à une analyse injuste de Minc, Attali ou BHL et que je préférais une analyse qui me paraisse juste de BHL à une analyse que je trouverais injuste d’Alain de Benoist… Les Papous vont hurler ! » Manuel Valls, comme Jean-Marie Le Guen, ont condamné hier, aux micros de différentes radios, ces propos, arguant du relativisme moral de Michel Onfray. Laissons l’écume médiatique. Allons en profondeur de l’argument d’Onfray. Mettons de côté la part de provocation du philosophe, le côté grenade dégoupillée, le tressaillement euphorique digne d’un coyote de dessin animé, les mains frottées, la mine gourmande, qui glisse un paquet de dynamite avant que n’arrive l’oiseau supersonique. Ce que livre, dans le fond, Onfray c’est le Point sortant le jeudi, jour de marché dans de nombreuses villes de France – une acmé de la pensée humaine, du genre :  il y a de la vérité partout, ce qui est bien vrai, il y a des braves gens dans tous les partis, on peut dire ce qu’on veut, il faut de tout pour faire un monde, mieux vaut du vrai à du faux et un tiens à deux tu l’auras, pierre qui roule n’amasse pas mousse, pluie à Noël, neige à la Saint-Marcel, je vous le dis, tout augmente et il n’y a plus de saisons. Au fond, après Sade (ce démon, cet atroce, ce totalitaire) et Cervantès (Sancho Panza, ce voyant, cet astre, ce maître incompris), Michel Onfray se propose de revisiter une autre philosophie, ni les hédonistes, ni les anarchistes, mais bien les Inconnus (et leur immortel chanteur révolté Florent Bruel qui, lui non plus, solitaire ténébreux et inconsolé, n’avait pas peur d’affronter la mafia de gauche et osait déclamer : « et c’est pour ça que je vous le dis / et même si j’y risque ma vie / vous les politiciens vous êtes vraiment très méchants / à part François Mitterrand qui est un bon président / Charles Pasqua / qui a pas toujours fait n’importe quoi / Giscard et Lecanuet / ils ont quand même leurs bons côtés / et pour Chirac il faut dire aussi / qu’il a fait beaucoup pour Paris / quant à Jean-Marie Le Pen / il dit pas que des conneries »).
Plus sérieusement, a-t-on, avec Michel Onfray le droit d’être surpris ? Peut-on, pour ses lecteurs, ses lecteurs de longue date, s’étonner de l’avis d’Onfray, quant à savoir comment juger un philosophe, peut-on sursauter de cette apologie du tri, de la nuance, de la dissection des textes, au scalpel du bon sens, sans les ornières de l’idéologie et au seul mérite de la pertinence ? Oui, il y a une cohérence entre ces propos du Point et l’oeuvre d’Onfray car son ode à la lecture fine, à la tolérance heuristique, à l’effeuillage minutieux d’une vie ou d’un livre, pesant au trébuchet de la morale et de la conscience, ce qui doit être gardé, discuté, prolongé, chez un penseur majeur, cette façon (si Michel Onfray, michelonfrayeusement michelonfrayenne) de, faisant fi des préjugés, remisant l’unilatéralisme stupide qui jetterait honteusement chez un grand auteur, un géant malaimé de la pensée mondiale, le bébé avec l’eau du bain, rattraper le vrai encapuchonné dans sa carapace d’erreurs, cette façon de toujours, se faisant avocat et procureur, sauver, chez un monstre sacré de la conscience humaine (Freud, Sartre, Alain de Benoist) pourvu que le propos soit vrai, ce qu’un jugement convenu, un préjugé, ou son éthique bien-pensante auraient d’abord expédié avec dédain, oui, la lecture contradictoire, honnête, loyale, n’est-ce pas là toute la méthode, bien connue, publiquement connue, de Michel Onfray ? Et Dieu sait si cet homme traqué, privé (une semaine sur deux !) de Ce Soir Ou Jamais, qui ne publie que dans un exemplaire du Point sur cinq, l’a payé cher, dans Saint-Germain-des-Prés, cette mafia, ce cloaque où, chacun le sait, il n’allait que sous la contrainte déposer ses manuscrits chez Grasset. Allons allons, ne faisons pas les candides. Nous savions bien qu’après avoir voulu, contre tous, sauver un peu du sulfureux Freud jeté aux oubliettes pour des détails insignifiants et par pure idéologie, et où pourtant il pourrait très bien y avoir, (moins que chez Alain de Benoist, certes, mais tout de même) des « analyses justes », et après en avoir fait pareillement avec Sartre, Kant ou le christianisme, Onfray, le bien connu pragmatique bonhomme, qui n’a jamais d’apriori, s’attaque à d’autres auteurs. On peut seulement se demander pourquoi « la droite » applaudit un homme qui la réduit, intellectuellement, à Alain de Benoist, (puisque à la question « qui sont-ils ? » Onfray n’a pas d’autres noms à l’esprit), faisant de ce dernier un penseur qui surpasserait Joseph de Maistre, Raymond Aron, Tocqueville, Burke, Taine… C’est comme réduire le conservatisme à Jean Royer ou le socialisme à Charles Hernu. Si j’étais « la droite », je serais vexée. En d’autre siècles, certaines nations ont déclaré des guerres pour de moindres insultes.
Disons pour conclure que Michel Onfray a parfaitement le droit de contester le monopole intellectuel aux auteurs qu’il cite. La légitimité de la gauche, l’incessante dispute pour son auto-définition, le conflit pour savoir qui a droit de cité sous cet honorifique parapluie, tout cela a commencé avec Robespierre et les Hébertistes et ne s’arrêtera probablement pas avec Michel Onfray et Benoît Hamon. Néanmoins, quand on lit l’interview de Michel Onfray, qui fait une anti-définition, nommant tout ce que la gauche n’est pas pour lui (donc ni « La gauche mondaine, parisienne, celle de Saint-Germain-des-Prés » ni « La gauche caviar de BHL » ni «  La gauche tellement libérale qu’elle défend la vente d’enfants en justifiant la location d’utérus des femmes pauvres pour des couples riches » ni « La gauche de Pierre Bergé qui estime que louer son ventre, c’est la même chose que travailler comme caissière » ni encore « La gauche qui préfère avoir tort avec Robespierre, Marx, Lénine, Staline, Mao, Khomeyni plutôt que raison avec Camus »  ni non plus « gauche de Libération qui, le 20 janvier 2014, justifie la zoophilie et la coprophagie avec la philosophe Beatriz Preciado, chroniqueuse dudit journal » ni même « la gauche qui fit de Bernard Tapie son héros et un ministre », c’est à dire ni la gauche bobo, ni la gauche communiste, ni la gauche libérale, ni la gauche islamiste, ni la gauche bien pensante, ni la gauche zoophile, ni la gauche Mitterrand, ni la gauche marxiste, ni la gauche Sarkozy…), en lisant cette énumération (non exhaustive), on a un peu l’impression de ces enfants absorbés dans ce fameux jeu de société où l’on choisit un personnage, s’affrontant, face à face, en posant des questions pour deviner Monsieur X : qui est-ce ? répète-t-on à chaque tour, est-ce un homme (on retire les sexe faible, tac tac les petits portraits s’abattent), a-t-il une moustache (on enlève les imberbes, tac tac les vignettes tombent à terre), des lunettes (les myopes sont dehors), etc, et s’il ne reste qu’un, et bien c’est celui-là. Michel Onfray, avec son « qui est-ce ? » pour trouver la vraie gauche élimine beaucoup de candidats, et finit très étrangement par tomber sur lui. C’est tout de même plus pratique. On peut dire que la définition de la gauche pour Michel Onfray commence à Michel et s’arrête à Onfray. Pour reprendre ses termes, quand on est une « mafia », l’avantage, c’est que l’on n’est pas seul. Commence s’appelle une idéologie qui n’a qu’un seul membre ? Une obsession ? Une prophétie ? Un jour les pharisiens de l’ancienne gauche se convertiront à Michel Onfray, et enfin le monde ira mieux.