L’analyse du  « Monde », 20 septembre 2019.
Cette fois, le vrai-faux suspense est terminé. Deux ans après son échec à la présidentielle de 2017, et alors que 2022 n’est que dans trois ans, François Hollande l’a dit dans un tweet, à la fois sobre et sans appel : « Je suis candidat à la présidence de ma famille politique ». François Hollande candidat à la tête du Parti Socialiste ?  C’est à la fois une grande nouvelle et une demi-surprise. Grande nouvelle, car voilà qui rebat les cartes entières du jeu politique, à la fois à gauche, où le parti socialiste, justement, est dans un marasme sans nom après le calamiteux congrès d’Avignon. Et aussi à droite, où – c’est le moins que l’on puisse dire – la majorité est embourbée dans l’absence de résultats du gouvernement, et n’attendait donc que le retour de son ennemi préféré. Mais François Hollande candidat, c’est surtout une fausse surprise,  car depuis son échec au premier tour de l’élection présidentielle, et la deuxième victoire de Nicolas Sarkozy, François Hollande n’avait qu’en tête l’idée de revenir. Par orgueil, bien  sûr, lui qui estime avoir un bon bilan, comme l’avait martelée sa fameuse anaphore en forme de politique-fiction, ce « Sans moi Président » qu’il avait égrené lors des meetings de campagne de 2017. Par opportunisme politique aussi, car le Parti Socialiste est sans véritable chef depuis le séisme du 25 Avril et le duel droite-extrême et droite du second tour. Si l’on refait le film  du post-hollandisme, la guerre fratricide Valls-Montebourg,  qui a culminé au congrès d’Avignon (le pire depuis celui de Rennes en 1990) a dévasté les militants. On s’en souvient : ce congrès « de la reconstruction », dans la tranquille cité des Papes, seule victoire socialiste de l’hécatombe municipale, a vu les Montebourgeois accuser les Vallsistes de tricheries, quand ces derniers plaidaient devant l’opinion la mauvaise foi de l’Ex-ministre du Redressement Productif, qui voulait s’emparer d’un parti qu’il avait quitté, avec fracas, en 2017. La côte de popularité des deux  ex chevau-légers du hollandisme en a, en tous cas, dangereusement pâti. Et l’intérim actuel, façon Casque Bleu de l’ONU, à la tête du parti, assuré par Monsieur Jospin, s’il a rassuré les militants après l’épisode d’Avignon, n’a, semble-t-il, pas convaincu les Français. Le Parti Socialiste a donc un besoin urgent d’un chef, ne serait-ce que pour canaliser l’opposition au sarkozysme. Qui pour l’incarner?  Martine Aubry, soupirent ses partisans, « attend avant de se décider », avec sa proverbiale bouderie, qui, décidément, ne la quitte pas. Pour le reste,  personne, à gauche, ne semble assez expérimenté pour tenter l’aventure. Il en résulte un vide politique sidéral, et, donc, une fenêtre de tir inespérée pour Monsieur Hollande.
Dès lors, en effet, pourquoi ne pas retenter l’épopée glorieuse, lorsque, du haut de ses 3% (peu ou prou la côte de popularité de M. Hollande en 2017), l’ancien premier secrétaire du parti socialiste avait remporté la primaire, puis l’élection présidentielle ?  Dans notre façon, très française, de faire de la politique, les retours ne sont jamais impossibles. Et à 66 ans, François Hollande est un jeune sexagénaire de la vie politique française. Même si l’ancien président avait proclamé « vous n’entendrez plus jamais parler de moi », la petite musique du « retour » a, de fait, commencé dès les lendemains de la défaite. Un jour c’est Monsieur Sapin qui, au micro de Jean-Pierre Elkabbach (revenu lui aussi de la retraite pour remplacer son successeur trop inexpérimenté), en appelle au « seul grand leader de notre parti ». Plus tard, c’est le Club des Amis de François Hollande, qui, malgré un effectif réduit de deux membres (Monsieur Jouyet et Monsieur Sapin), se réunit en congrès extraordinaire, à l’automne 2018. La petite phrase de Najat Vallaud-Belkacem (députée de Lyon et actuelle candidate à la tête de la nouvelle super-région Rhône-Alpes-Poitou-Alsace) sur « une période où, au moins, l’on créait des postes dans l’Education Nationale » a fait réfléchir à gauche autant qu’elle a fait ricaner à droite, où l’on renvoie bien vite M. Hollande a son bilan. Il n’empêche. François Hollande, qui, avec son brio et son humour légendaire, anime désormais ponctuellement une chronique diplomatique sur France 3 Limousin, capitalisant sur son expérience de chef de guerre, trépignait. Le Journal du Dimanche enchaînait, ces derniers mois, sondages après sondage où l’on apercevait un certain frémissement. Et puis, il y a eu ces déplacements, lors de la tournée du one-woman-show de Madame Gayet (comédienne et compagne de M. Hollande), où l’Ex-Président, chaque fois, ne manquait pas de signer des autographes. Lorsque, en juin,  l’ancien hôte de l’Elysée, sur le marché de Tulle, a lâché au micro de RTL, un furtif mais fracassant « Mon ennemi, c’est le silence », chacun a su à quoi s’en tenir.
Paradoxalement, c’est à droite que le retour de François Hollande était le plus attendu. Nicolas Sarkozy, embourbé à mi-quinquennat dans une impasse politique, entre promesses non tenues et résultats qui ne se voient pas encore, est au plus bas dans les sondages. Depuis la fin de l’état de grâce, le chef de l’Etat est à court de solutions. « C’est vrai qu’on est dans un corner » avoue-t-on à l’Elysée.  Changer, une nouvelle fois, de Premier ministre ? Après la démission de François Baroin, que certains perfides à l’UMP ont appelé le « Ayrault » de droite pour une certaine tendance au ton monocorde, et la solution mi-figue mi-raisin incarnée par Laurent Wauquiez (à la fois auto-proclamé fidèle lieutenant et concurrent sérieux pour 2022), les voies de recours ne sont pas légions. Leur absence commence même à inquiéter dramatiquement la garde rapprochée sarkozyste, face à des députés UMP troublés par l’absence de prise d’un président démonétisé. « Il faut que Sarko se représidentialise » estime-t-on ainsi chez certains ministres très proches. D’autant que, même à 80 ans, Alain Juppé reste en embuscade. Jean-François Copé, lui, proclame sur tous les tons qu’il ne vise qu’à prendre la relève en 2027. Il n’empêche : le feu brûle en sarkozie, et le retour de François Hollande, propice à ressouder la gauche, est la première bonne nouvelle d’une rentrée très franchement délicate.
Revenir, certes, mais pourquoi, et comment ? « La fenêtre de tir n’est pas énorme », reconnaît, lucide, Jean-Yves Le Drian. Après la stratégie dite des « pigeons voyageurs » (envoyer des très proches porter sa bonne parole dans les médias), l’ex-chef de l’Etat, « en pleine forme », « amaigri, changé »,  comme le souligne son entourage, pourrait surprendre. Il s’est entouré de la jeune génération hollandaise, Emmanuel Macron en tête, pour renouveler ceux que l’omniprésence médiatique des « hussards » aurait pu lasser. Le fidèle Bernard Cazeneuve pourrait devenir  secrétaire général du Parti. « C’est une option comme une autre, rien n’est tranché » relativise-t-on chez les hollandais. Le candidat lui, comme à son habitude, laisse dire et temporise d’une façon très… hollandienne. Chez les commentateurs, on observe avec un rien d’ironie cette chronique d’un retour annoncé « C’est une bonne nouvelle pour la gauche, il faut que cela devienne une bonne nouvelle pour la France. Et réciproquement. » écrit ce matin Laurent Joffrin, dans son premier éditorial comme nouveau rédacteur en chef du Nouvel Observateur (M. Joffrin a démissionné de son poste à Libération à la fin de l’année 2018). «  Le retour après la déroute, le vrai modèle de Hollande, c’est plus Mitterrand 74 que Sarkozy 2017 » estime pour sa part Christophe Barbier dans les colonnes de « L’Express ». En face, Marine Le Pen se frotte les mains. François Bayrou, lui, pense que cette fois, le duel annoncé de Sarkozy et Hollande lui donnera, enfin, toute sa chance. Quant à Jean-Luc Mélenchon, revenu de ses échecs, il veut proposer une alternative « populaire » en vue de 2022. La politique française est décidément pleine de surprises.