La fête de Gatsby fut exquise et fort bien ordonnée. Quelque chose, dans l’air, de fitzgeraldien, cette mélancolie vaporeuse, ce luxe et ce désespoir en sourdine, une vague langueur des smokings songeurs. Sous le ciel profond d’une baie de Cannes magnifique, Leonardo Di Caprio, que l’on ne vit que quelques secondes, fit pourtant le bonheur des heureux élus qui picoraient là champagne et perles de bonheur, et tout, depuis le clair de lune jusqu’au scintillement parfait des regards, permettait à cette nuit de resplendir avec une tendre profondeur. On trouvait encore, derrière un violon ou l’épaule d’une femme, Monica Bellucci, Brad Pitt, Steven Spielberg, et, de mémoire de festivalier, la magnificence et la galanterie n’avaient jamais paru avec tant d’éclat que dans les dernières heures bleutées de cette nuit-là ; en un mot comme en cent, c’était, assurément, une des plus belles soirées du Festival de Cannes, une de celles qui justifie à jamais un déplacement en avion, la location d’un costume neuf, un ticket de vestiaire tout à fait exorbitant.

Quelle soirée magnifique.

Je suis arrivé à Cannes précisément le lendemain de la fête Gatsby.

Ce jour-là, il pleuvait. Les gens avaient une gueule de bois terrible. Je n’avais pas pris de pull. On se serait cru à Nantes. Sous Jean-Marc Ayrault.

Comment vas-tu me demanda alors mon vieil ami Félix L., camarade d’hypokhâgne, devenu compagnon de cet infra-festival, cet hypo-Cannes.

Je lui dis qu’on avait déjà vu arrivée plus grandiose. Cette fête, là, Gatsby, manquée de si peu.

Pas grave !, me répondit-il.  Tiens,  justement ce soir, c’est la soirée Desplechin. Prends un nœud papillon, et allons-y.

Mouais. Tant qu’à choisir une soirée «Cinéaste français pas terrible mais qui plaît à Télérama», j’aurais préféré  la soirée de François Ozon. Au moins, chez François Ozon, il y aurait eu la plus belle actrice révélée à Cannes depuis bien longtemps : Marina Vacht. Alors que chez Desplechin, il n’y a que des anciens méchants de James Bond recyclés en dépressifs (Mathieu Amalric, Benicio del Toro). Or, je n’aime pas tellement qu’on fasse du mal à Daniel Craig, comme ça, gratuitement.

Mais bon.

J’acceptai tout de même, et tandis que Félix allait voir un film japonais (aller voir un film ? japonais ? à Cannes ?), je décidai d’aller, en pèlerinage mélancolique, sur les lieux de la soirée Gatsby, à la recherche éperdue de mes spectrales années folles, sur la grève où le jonchement des rires passés me transperça le cœur.

Une fois achevée ce recueillement gatsbyen, encore plus déprimé, encore plus trempé par la pluie, je suivis Félix dans la soirée Desplechin, abattu que j’étais à la simple idée de devoir parler à des gens qui trouveraient cette soirée-ci moins bien que celle de Gatsby. D’ailleurs, ne comptez donc pas sur moi pour vous raconter ce qui s’est y passé, chez Desplechin. Oh ! Je sais bien que c’est un vieux truc de chroniqueur culturel, raconter ses soirées à Cannes pour faire oublier que l’on n’est pas allé voir les films, mais enfin, moi, je ne raconte pas d’autres soirées que celles où Léonardo Di Caprio a sûrement dû faire des blagues énigmatiques mais hilarantes, Spielberg dansé le fox-trot en riant, et la farandole scintillante des robes légères, constellé le parquet de la salle du bal rugissant de plaisir, dans un étourdissement de clinquant, de fortunes étranges et de paillettes d’or fin. Ah… Gatsby !

Bref, j’ai passé l’essentiel de la soirée Desplechin à bouder dans mon coin.

C’était nul.

Les mojtos étaient chauds.

Mathieu Amalric s’est resservi trois fois du gin-tonic. La musique : carrément épouvantable. J’ai taché ma chemise. Et Thierry Frémeaux devrait freiner sur les macarons, si vous voulez mon avis.

J’en étais là, quand un drôle de type m’a abordé. Il avait l’air passablement saoul. A première vue, c’était exactement le genre de pseudo-mondains qui s’incrustent, dans les soirées, sans qu’on les ait invités. Je les déteste, ces types.

– Est-ce que cette soirée ne vous plaît pas ?, me demanda-t-il, un peu hargneux.

Je crois que ma retraite spirituelle vers l’empyrée céleste, brillant, et infiniment gracieux de Gastby le mettait en rogne. Ma sécession Long Island le renvoyait vers sa propre stupide satisfaction d’être là. Il insistait :

– Parce que, vous savez, vous n’êtes pas obligé de rester.

Ah ! Ce n’est pas à la soirée Gatsby que je me serais farci ce genre de traîne-buffet. Mais quel casse-pieds ! Non, chez Gatsby il y aurait eu, simplement, Audrey Tautou au cœur fébrile, des cascades de jeunes filles en fleur, du champagne froid mais non glacé, la farandole des âmes cristallines sous un lustre impérial…

– Vous savez, répondis-je, je suis triste. En deuil. J’aurais voulu être à la soirée Gatsby.

– Mais pourquoi ?

– Je ne sais pas. Je suis journaliste. Je dois raconter ce qui se passe à Cannes. Et cette soirée-ci est nulle.

– Mais enfin, fît-il d’un air amusé. C’est très chic, ici. C’est une belle soirée. Vous auriez eu un  sujet formidable (je me laissai convaincre). Tenez (il baissa la voix), je vais vous donner un scoop. Daniel Auteuil a embrassé une journaliste italienne. Benicio del Toro a raconté en portugais sa première nuit d’amour. Il y a eu une danse des canards d’où Isabelle Huppert n’est pas ressortie grandie.

– C’est vrai ?

Il recula d’un mètre.

– Peut-être. Mais l’important n’est pas là. Vous pouvez tout inventer. Personne ne sait jamais ce qui s’y passe, au final, dans les soirées à Cannes.

Il n’avait pas tort. C’était un bon sujet, même si ce n’était pas Gatsby.

Mais, d’un autre côté, je repensai aussitôt au charme gracile, aérien, des danseuses de Mister Gatsby le Magnifique, flamboyant et inconsolé. Je revoyais Emma Watson s’amuser devant la mer infinie et les palmiers courbés. Revenait à moi le fracas des coupes évasées et des redingotes blanches. Ah ! Pourquoi êtes-vous donc enfuies, rugissantes Années Vingt ! Quelle soirée cannoise, cette « Gatsby Party ».

Sans hésiter, je lui dis tout le mal que je pensais du cinéma français en général, d’Arnaud Desplechin en particulier,  et de cette affreuse soirée, soit dit en passant.

Il y eut comme un blanc.

– Savez-vous qui je suis ?, me demanda-t-il (il avait vraiment bu, ses propos étaient à peine cohérents – mais quand me lâcherait-il donc ?).

– Non, et je n’ai pas envie de le savoir (Non mais franchement. Chez Gatsby, ce serait passé autrement, c’est moi qui vous le dis.  Aucune chance de croiser ce genre de crétins).

– Je suis Arnaud Desplechin, mon vieux.

Alors là, c’était le pompon. Vous voulez rire ? Je veux dire : je sais très bien à quoi ressemble Arnaud Desplechin. Tout le monde connaît sa tête, à ce foutu type. Hein ? Pas vrai ? Bon. Tenez, encore l’autre jour, je disais à mon frère : tiens, penche toi un peu, ah oui, c’est ça, tu ressembles à Desplechin. Non mais je vous jure. Cette soirée était destinée à être minable. Les gens n’ont aucun savoir vivre, de nos jours.

Finalement, je me suis fait expulser par deux types en costume, sous les ricanements de l’autre ivrogne, qui leur dictait ses ordres.

Il était minuit vingt-cinq.

Il pleuvait toujours.

Félix m’a demandé pourquoi je m’étais disputé avec Arnaud Desplechin.

Je suis rentré à l’hôtel. Il n’y avait pas de chauffage.

De toute façon, si vous voulez mon avis, les soirées à Cannes, ce n’est plus ce que c’était.

D’ailleurs Benicio del Toro est plutôt décevant, en vrai. Et il a grossi. Beaucoup.

2 Commentaires

  1. HELLO;BIEN ECRIT AVEC UNE DOSE DE CYNISME,UNE TRACE DE LARME,UN RIRE ETOUFFE.

    J’AI AIME VRAIMENT;MAIS MOI JE SAIS QUE SCOTT EST PARTI DEPUIS LONGTEMPS LASSE,DE TOUT CELA;

    BIEN A VOUS.BEATRICE DREYFUS.