La démission d’un pape ne devrait pas nous étonner. La démission, étymologiquement, c’est l’abaissement, c’est l’affaissement. « Dé » marque l’idée d’un mouvement de haut en bas, et la « mission » c’est le renvoi : celui qui démissionne est donc celui qu’on envoie en bas. Y a-t-il plus fidèle à l’exemple de Jésus que d’être renvoyé en bas, que d’avoir opéré un mouvement qui part du haut pour revenir en bas ? D’autant que Benoît XVI est un spécialiste du Christ. C’est sa grande affaire. Le pape ultime, le pape parfait n’est pas celui qui meurt dans sa fonction, autrement dit celui qui, depuis la terre, rejoint le ciel. Non : c’est celui qui démissionne, qui tombe au bas, qui revient sur la terre, qui est totalement ancré sur le plus bas possible de la terre.

Tel est le mystère de la démission : une descente vers les profondeurs de la terre, non une ascension vers les lumières du ciel. Benoît XVI va devoir vivre autrement, ce sera sa résurrection : en dehors de l’Institution. Nu, démissionnaire, affaissé : ébranlé. Il se dénude, il renonce. C’est un chemin christique, un pas fondamental vers sa propre foi, loin du clergé. La foi véritable n’habite pas dans l’Eglise : mais en soi, au plus profond, tout en bas de soi, dans la démission qui conduit au plancher de l’être. Son corps lui appartiendra de nouveau, progressant vers la mort, portant les dangers de l’humaine condition, avec sa masse, sa pesanteur : la pesanteur recouvrée de sa grâce. Le christianisme ne se réduit pas aux communautés : communier avec soi, dans le dialogue avec sa propre face, vivre cette évidence – se rencontrer.

« Seigneur, réparez le mal que j’ai fait et complétez le bien que je n’ai pas fait ». Pour s’endormir, avant de s’en aller ailleurs, observer le pape suivant en train de compléter ce bien qui n’a pas été fait. S’abandonner, une dernière fois, au monde physique et lourd, aux instances de l’anonymat, aux explorations de la banalité. Approuver, aux abords de la mort, le patrimoine commun des habitudes, de la solitude, de la vieillesse atroce, des promenades dernières. Ne solliciter que sa propre personne, délestée des représentations du moi social, refaire œuvre commune avec son isolé destin, comme tout le monde. Se préparer à la dissolution de la chair dans l’oubli. Tranquillement. Beaucoup jouir de l’oxygène. Et qui sera son prochain ?