J’ai toujours pensé que les grands succès du cinéma français étaient révélateurs des tendances profondes qui animent la société.
Je crois ainsi que La Grande Vadrouille permettait un nouveau regard sur la Guerre et annonçait la fin du Gaullisme, que Trois Hommes et un Couffin entérinait l’arrivée au pouvoir des femmes, que Les  Choristes reflétait un besoin de retour au passé et à des valeurs traditionnelles et, bien sûr, que le fabuleux succès de Bienvenue chez les Ch’tis était la réponse, en 2008, des Français, au référendum de 2005 par lequel ils avaient refusé le projet de Constitution Européenne, référendum qui ne fut suivi d’aucun effet.
Je pense même que les vingt millions d’entrées du film – un tiers des Français, et même plus si l’on considère que les jeunes enfants et les personnes très âgées ne vont guère au cinéma – comportaient une part d’adhésion aux idées d’un film qui disait, en gros, que mieux valait vivre dans son coin de terroir, y parler son patois et manger du maroilles, que de se faire absorber par un univers mondialisé, qu’il soit européen ou international. Avec, en prime, un hymne au statut de fonctionnaire – Kad Merad et Dany Boon y étaient postiers – à l’heure de la RGPP – la Révision Générale des Politiques Publiques, qui supprime un fonctionnaire sur deux –, prônée par Bruxelles et l’ensemble des partis politiques français.
Or, je crois que les élections européennes, parce que, finalement, les Français n’y voient pas beaucoup d’enjeux directs – ils pensent que Bruxelles est loin, trop loin… – sont, elles aussi, révélatrices de ce que pensent, en profondeur, les « gens ». Qu’elles disent les grands mouvements souterrains qui traversent l’opinion.
Et si l’un permettait d’expliquer l’autre ? Si le cinéma décryptait ce qui se cachait derrière un vote : en l’occurrence, le succès terrifiant du vote Front National le 25 mai dernier. C’est ce que je voudrais tenter de dire ici.
En effet, le Front National n’est pas le seul à connaître un succès inattendu en cette fin de printemps. C’est aussi le cas d’un film : Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?, qui va allègrement vers les dix millions d’entrées, et sans doute plus.
Dix millions d’entrées, c’est deux fois plus que le nombre de voix qu’a obtenu le Front National aux dernières élections. Or, que montre ce film, que de nombreux journaux ont présenté comme « un phénomène de société » ? Un couple français traditionnel, joué par Chantal Lauby et Christian Clavier – qui plus est le presque sosie et meilleur ami de Nicolas Sarkozy – effrayé que ses quatre filles épousent un Noir, un Juif, un Arabe et un Chinois, mais qui finit par l’accepter de bon cœur.
On est, en apparence, en totale contradiction avec cette vague de fond pro-Front National : celui-ci fait des scores de plus de 30% chez ces « jeunes » qui forment la grande majorité des spectateurs d’un film comme Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?
Mais peut-être faut-il justement dépasser les apparences et tenter de comprendre ce qui se trame derrière cette nouvelle adhésion à un film. Un constat d’abord : que les Français ont peur, dans un premier temps, de l’arrivée de ces « étrangers » – même s’ils sont, en l’occurrence, parfaitement français – qui s’introduisent, si l’on peut dire, dans le corps social. Mais, qu’en même temps, ils finissent par l’accepter, et même à en profiter. On oserait même dire : à en jouir.
Comme si le rejet de l’autre n’était qu’une étape : la part de Mal qui est en chacun d’entre nous, et que, juste après, il y en aurait une autre : celle qui consiste à accueillir les étrangers, aussi différents soient-ils. Une vraie tradition (française) dans un pays où l’identité n’est peut-être pas si malheureuse que ça.
Ce n’est sans doute pas un hasard si, durant cette dernière campagne électorale, le Front National a si peu parlé d’immigration mais beaucoup plus de « Bruxelles » ou de la misère sociale. Certes, la lutte contre les immigrés est dans l’ADN de ce parti et il n’a sans doute plus besoin de prononcer le mot pour que l’on sache qu’il y fait référence. Mais, alors qu’il ne sait plus lui-même si son ennemi principal est musulman ou juif, et qu’il navigue à vue entre l’antisémitisme de Dieudonné et de ses sbires, et la haine de l’Arabe des nostalgiques de l’Algérie Française, le Front National est peut-être en perte de vitesse dans cette haine de l’autre qui a, si longtemps, été son fonds de commerce.
Cela pourrait être rassurant.
Mais rien ne dit que le Front National n’aura pas l’intelligence, si le mot a un sens en la matière, de se reconvertir sur un autre front : celui de la misère sociale. Comme ses ancêtres, les partis fascistes des années 30, ceux de Mussolini, de Jacques Doriot ou de Hitler. Un front – sans jeu de mots – qui a, malheureusement de beaux jours devant lui, si les partis politiques traditionnels n’en prennent pas la mesure.
Raison de plus d’être vigilant.