Depuis vingt ans, les éternels aspirants déçus au statut de conseiller du Prince et au magister médiatique qui irait avec, s’en prennent avec une régularité de métronome à celui qui, à leurs yeux, symbolise ce tant désirable statut et occuperait indûment la place : BHL. Pour cet « ôte-toi de là que je m’y mette », et recueillir au passage quelques miettes d’une notoriété toujours manquante en déboulonnant la statue qu’ils lui érigent par ce même mouvement, ces procureurs aux mains très blanches dénoncent dans ce qu’ils nomment le Bernard-Henri-Lévisme le pouvoir d’influence exorbitant prêté à ce mauvais génie de nos gouvernants.

Gouvernants qui, en effet, succomberaient, quinquennat après quinquennat, avec une révérence falote, à ses commandements interventionnistes de par le monde au nom du bien des peuples et de l’impératif moral.

Et Bernard-Henri Lévy mué en dangereux chaman ensorcelant sans coup férir, à grand renfort de Kant, Levinas et Malraux, ces piètres géopoliticiens que seraient, de Mitterrand et Chirac à Sarkozy et Hollande, nos faibles et malléables Présidents, ontologiquement en panne de politique extérieure : à ceux-là, ce ministre sans titre des Affaires étrangères de la France ferait miroiter virilité, tribune onusienne, grande politique, gloire et maîtrise du monde ; avant, choses faites, de s’en laver les mains quand les vents se font mauvais, ainsi qu’en Libye.

Dernier venu dans cette petite cohue : Jean-Christophe Rufin, ex-Médecin du Monde, ex-Action Contre la Faim, ex-négociateur manqué avec l’exquis Karadzic, en poste sous Sarkozy au Sénégal, et présentement Académicien français. Et toujours à l’affût. Aujourd’hui, dans le journal d’Eric Fottorino, « Le 1 », Jean-Christophe Rufin s’en prend donc à BHL, diatribe titrée avec une espérance gourmande : La fin du Bernard-Henri-Lévisme.

Passons en revue les diverses philippiques jean-christophe-rufinennes adressées au supposé grand Manitou des engagements français (toujours foireux, cela va sans dire) sur la scène mondiale.

— Il désignerait, cette belle âme, « les bons et les méchants » « dans des régions où s’affrontent surtout des salopards ». Grand crime, en effet, contre l’esprit que de différencier, à l’aveugle selon notre procureur, assiégeants et assiégés à Sarajevo, Kadhafi et les insurgés libyens de Benghazi promis haut et fort à des rivières de sang par le fils du dictateur, le massacreur Assad et les résistants d’Alep, j’en passe et des meilleurs. Mais tous également des salopards, vous dis-je !

— Pire encore, BHL doux rêveur aux yeux clos s’interdirait « toute description détaillée des atrocités commises de part et d’autre ». Eh oui, résistants et bourreaux – que voulez-vous, chers amis, telle est la nature humaine en guerre – : tous pareils, même combat, mêmes méthodes et atrocités, avers et revers de la même médaille, frères ennemis, combat de nègres dans un tunnel, etc. Eternel renvoi dos à dos des « protagonistes ». Vieil air pourri.

— Stratège en chef s’imposant aux diplomates et militaires – toujours réticents, cela va de nouveau sans dire –, BHL recommanderait à la hussarde des interventions militaires « quand il est clair qu’elles ne peuvent conduire qu’à des catastrophes. » Je suggère aux états-majors de nos armées de demander à notre sur-voyant avant toute projection de nos forces s’il est clair ou non qu’elles vont à la catastrophe. Un tel homme n’a pas de prix. Que de pertes en hommes et en matériels n’eût-il évité dans le passé, que de défaites, de désastres, que de vaines conquêtes. Faites qu’un tel homme demain existe. Le futur comme un boulevard.

— Même antienne sur le plan politique. « On ne doit prendre la responsabilité d’abattre un régime que si l’on sait par quoi il sera remplacé. » Je suggère à tous les dirigeants tentés de secourir tel peuple martyr de demander à la pythie Rufin par quoi tel régime dictatorial sera demain remplacé. Nous Français n’y avons pas moins que d’autres échappé : l’Histoire enseigne que le chaos, souvent, succède à la tyrannie dont il est le malin produit tant elle a fait table rase de toute société politique préexistante. Quand se soulève enfin la chape, la démocratie ne tombera pas d’emblée du ciel. Débuts balbutiants, chaotiques, pleins d’allers et retours. Nous Français, encore une fois, sommes bien placés pour le savoir. Mais jeter la pierre aux Libyens au sortir de quarante ans de dictature ne mange pas de pain.

— Vous allez aimer le distinguo : « Empêcher un dictateur de massacrer sa propre population est une chose. Détruire un Etat en est une autre. Le renverser est une toute autre entreprise. » Comment empêcher le dit-dictateur de massacrer les siens sans le renverser ? En lui donnant une bonne fessée, et en lui recommandant d’être gentil à l’avenir ? Kadhafi, Assad, soyez cool, s’il vous plaît. Bon, c’est une idée à creuser…

— « Détruire un Etat ». Parce qu’il y avait un Etat sous Kadhafi ? C’était Kadhafi l’Etat, et lui seul. Pas d’institutions, rien. La seule loi était le bon plaisir du tyran. Et quand il y a un Etat, et quel Etat !, l’Etat de Saddam Hussein ou Assad, détruire cet Etat meurtrier de son propre peuple c’est libérer celui-ci de la tyrannie, de la torture, du gazage et des bombes.

— Pour finir, là, miracle : le Jean-Christophe-Rufinisme rejoint une désillusion que BHL et d’autres n’ont pas caché, en ce qui concerne la Libye: « On ne peut « libérer » un pays qu’en étant prêt à accompagner dans la longue durée sa reconstruction ». On taira ici les projets en faveur d’une Administration libyenne qui furent soumis en vain à tel ministère parisien au lendemain de la chute de Kadhafi.

Moins sectaires que son auteur et d’esprit non-fossoyeur, souhaitons longue vie au Jean-Christophe-Rufinisme et à son prêchi-prêcha « réaliste » au bon vieux parfum hexagonal des Intérêts-d’abord-de-la-France. Amis syriens, à bons entendeurs, salut !

Pour nous : internationalisme pas mort.

Un commentaire

  1. Bonsoir, Gilles,
    et bravo.
    Ta réplique est très drôle,
    curieusement presque plus amusée qu’indignée,
    or le texte de l’académicien est carrément répugnant.

    je t’embrasse,
    Michel