Il y a un an presque jour pour jour, c’était la révolution du Maïdan à Kiev.
Depuis des mois, des centaines de milliers de gens se relayaient jour et nuit sur cette place gigantesque, au cœur de la capitale ukrainienne, pour en finir avec un régime corrompu à la botte de Moscou.
Sous un froid sibérien, tassés dans un immense périmètre protégé par des montagnes de pneus et de sacs de neige en guise de barricades derrière lesquelles les sinistres Berkout du régime aux abois attendaient leur heure, tentes, guitounes, cabanes de fortune, cabines de travaux publics, roulottes, cuisines roulantes, abritaient un stupéfiant capharnaüm de jeunes, d’étudiants, de garçons des rues, de groupes d’autodéfense improvisés, de Cosaques du Don en grand uniforme, de juifs orthodoxes, de Tatars, de retraités et de simples citoyens – tous appuyés par des bataillons de vieilles babas ménagères, de médecins en blouse blanche, que venaient encourager popes, poètes de nuit, militants politiques, syndicalistes ralliés à la révolution et mille bénévoles de toutes sortes.
Ravitaillé jour après jour par la population de Kiev, un gigantesque village au cœur de la ville résumait les espoirs d’un peuple.
Chaque dimanche, de tout Kiev affluaient les citoyens et les familles pour écouter les orateurs se succédant sur la tribune centrale du Maïdan, pour chanter les hymnes populaires, reprendre en un chœur immense les slogans du jour, être là. Cent mille, deux cent mille, trois cent mille et plus. Chaque dimanche, c’était la mer. Le 21 février 2014, ce serait une mer de sang.
Ce dimanche de janvier 2014, nous étions, quelques Français, invités sur le Maïdan. Un orateur, son discours fini, se dirigea vers nous, se présenta : « Petro Porochenko », laissa sa carte et disparut. Mon ami Bernard-Henri Lévy prit à son tour le micro devant la foule, dit son admiration pour le courage et l’endurance du Maïdan, salua ce combat de tout un peuple, parla de la Révolution française, transmit le salut de la France. Des centaines de milliers de voix montèrent de la place, scandant : « Slava Ukraïnia ! Merci la France ! » Un pacte était scellé. Avec quelques autres à Paris, BHL se fera l’avocat inlassable du Maïdan. On connait la suite. BHL accueillant à Paris Porochenko et le boxeur Klitschko, candidats à la Présidentielle après la chute de Ianoukovitch. Puis les emmenant à l’Elysée. Puis, quelques semaines plus tard, inspirant à François Hollande, à la veille du soixante-dixième anniversaire du Débarquement en Normandie, l’idée d’inviter Porochenko devenu entretemps Président du pays. Puis, dernièrement, lançant avec Georges Soros l’idée d’un Plan Marshall pour l’Ukraine. Et puis, plus récemment encore, à la veille de la rencontre de Minsk, accompagnant Porochenko dans le Donetsk où les séparatistes et leurs amis Russes venaient de faire un nouveau carnage.
Bref, la cause ukrainienne a eu, depuis un an, peu d’avocats aussi constants que Bernard-Henri Lévy. Et c’est sans doute en pensant à cela que, samedi prochain, pour la commémoration du premier anniversaire de la Révolution du Maïdan, le Président Porochenko a invité BHL à jouer lui-même, sur la scène de l’Opéra de Kiev le personnage d’Hôtel Europe, la pièce qu’il écrivit en désespoir de cause, qu’interpréta Jacques Weber à la rentrée au théâtre de l’Atelier et qui est un long cri de dépit et d’amour à l’attention d’une Europe tombée en déshérence, gagnée par le doute, gangrénée par les populismes et la montée de l’antisémitisme, et qu’il appelle à être fidèle à ses grands géniteurs du passé, de Goethe et de Husserl à Vaclav Havel, aux bons fantômes de Zweig, Sakharov, Semprun et Camus.
L’Ukraine est aux avant-postes de l’Europe. Face à la Russie de Poutine et à ses ambitions impériales, sa survie est en jeu. Les accords de Minsk n’ont rien réglé. De son sort dépend le nôtre. C’est cela que BHL ira dire, seul en scène, à nos amis européens de Kiev, un an jour pour jour après le triomphe, payé au prix du sang, du Maïdan, et en hommage à ses morts.