Les révolutionnaires du Maïdan, Kiev, et partout ailleurs en Ukraine, ont gagné. Au prix du sang. Gloire à eux. Leurs morts sont nos morts. Leur sacrifice restera pour toujours dans nos mémoires. Ils sont les frères magnifiques d’héroïsme des révolutionnaires français des Trois Glorieuses de juillet 1830, des barricades de 1848, des Fusillés du Mont Valérien, de tous ceux qui, dans le monde, ont mis l’amour de la liberté et de la dignité humaine plus haut que leur vie.

Ils ont lutté et sont morts pour que l’Ukraine soit libre et indépendante. Ils ont lutté et sont morts pour que l’Ukraine rejoigne la grande famille des pays libres. Ils ont bien mérité de l’Europe, en qui ils croyaient pour l’Ukraine mais aussi, le savaient-ils ?, pour elle-même. Nous, Européens, nous le savons bien, et nous leur en sommes reconnaissants. L’Europe, grâce à eux, à leur combat et leur sacrifice, s’est réveillée de sa léthargie, elle s’est enfin reprise après tant d’atermoiements, de frilosité, tant de Realpolitik. L’Europe fatiguée d’elle-même, l’Europe épicière, l’Europe des comptes d’apothicaires entre Etats membres, a fini par répondre à l’appel du Maïdan. Elle a retrouvé une part de son âme à Kiev. Elle doit maintenant honorer sa dette à l’égard de tous ces vivants et ces morts qui ont combattu pour une certaine idée de l’Ukraine européenne et, par là-même, de l’Europe. Elle doit honorer sa dette européenne vis-à-vis de l’Ukraine,  la même dette d’entrée en Europe contractée à Sarajevo, il y a vingt ans, et qu’elle n’a toujours pas honorée, après ce Grand massacre au cœur du continent qu’elle laissa faire sans broncher ou si peu.

Battre le fer pendant qu’il est chaud. Ne pas laisser les Norpois, les mauvais réalistes, revenir à leurs médiocres calculs et invoquer la nécessité de ne pas « humilier » davantage le Grand Voisin russe et ménager Poutine, quand bien même est-il le véritable responsable de ce qui s’est passé la semaine dernière à Kiev. Passer l’éponge, disent-ils déjà, ne pas crier victoire, sourire de nouveau à Moscou, ne pas inviter l’Ukraine à nous rejoindre « telle quelle », faire traîner les choses en longueur et, pour ce faire,  découvrir subrepticement que les Ukrainiens ne seraient pas si unis que cela, qu’il y a, à les inviter au banquet de l’Europe, risque de sécession de la partie orientale russophone, que le passé du pays de Babi Yar ne serait toujours pas soldé, que l’extrême-droite nationaliste de Svoboda n’est pas indemne d’antisémitisme. Tout cela recèlerait-il une part de réalité, de virtualité, reste que la démocratie, cette longue patience, ce combat du meilleur contre le pire que ne mènent jamais les régimes autoritaires, est le rempart premier aux mauvais génies rémanents, au repliement nationaliste. Sans son appartenance à l’Europe, la Hongrie de Victor Orban serait déjà largement passé au fascisme new look. Se servir ici en France, là en Europe, du discours de servitude qui, à Moscou, dans la bouche d’un Medvedev et de son maître Poutine, se pare d’anti-fascisme et se réclame de la Grande guerre patriotique pour dénoncer une Ukraine bientôt livrée à la « pornographie européenne et au mariage gay », est une saloperie pure et simple, doublée d’une escroquerie. La propagande schizophrène du Kremlin ne doit pas nourrir le repliement européen, son égoïsme par temps de crise.

L’Ukraine vient de passer son brevet de démocratie au prix fort. D’autres preuves viendront. Ne faisons pas attendre l’Ukraine. Ancrons-là dès maintenant à l’Europe. A la Tentation de l’Occident, à Kiev, à tous ces Européens de bonne volonté, l’Occident doit répondre par la main tendue.