Le nouveau Sultan a-t-il raison de prendre les Occidentaux pour des pleutres amnésiques ? Anticipant la défaite de Donald Trump et un éventuel refroidissement de ses relations avec l’administration américaine, bien qu’elle se soit toujours montrée bienveillante à son égard, la diplomatie turque se livre depuis la fin de l’année dernière à l’un de ses numéros les mieux rodés après la danse du sabre (dont elle vient d’assurer une brillante prestation au Haut-Karabakh) : la danse du ventre. But de cette énième opération de séduction : endormir les esprits et redorer son blason terni par ses agressions guerrières contre les Kurdes et les Arméniens, ses provocations en Méditerranée contre la Grèce et Chypre, son implication militaire en Libye, son prosélytisme islamiste en Afrique, ses liaisons dangereuses avec les djihadistes, son rapprochement avec Poutine, son chantage permanent envers l’Europe et la plongée autoritaire du régime Erdogan. Autant de provocations, dont certaines criminelles, qui à défaut d’avoir déclenché la moindre tempête ont engendré quelques timides questions sur la place de la Turquie dans l’OTAN et dans l’Europe. Parmi elles, celles du président français. Pas de quoi, certes, affoler Ankara. Mais le seuil d’alerte semble toutefois avoir été jugé suffisant pour l’inciter à prendre quelques précautions d’usage, surtout dans le contexte de l’arrivée d’une nouvelle équipe à Washington, réputée moins complaisante à son endroit. 

C’est ainsi qu’Erdogan se livre depuis trois mois à quelques gestes d’apaisement, purement de façade, qui visent tout simplement à faire oublier ses turpitudes, probablement le temps de se reconstruire un semblant de virginité, avant de se lancer dans de nouvelles conquêtes. C’est ainsi qu’il a proposé le 12 janvier de « remettre sur les rails » les relations entre son pays et l’Union européenne. Tout en disant espérer que « nos amis européens montreront la même bonne volonté ». Car bien sûr « la bonne volonté » est toujours du côté turc et la mauvaise à Bruxelles. 

Dans le même ordre d’idées, il n’a pas renoncé à amadouer Emmanuel Macron, qui s’était retrouvé bien seul pour demander des sanctions européennes envers la Turquie ces derniers mois. Après avoir remis en cause « sa santé mentale » en septembre, le Sultan lui a envoyé un nouvel ambassadeur en décembre, Ali Onaner, qui se présente comme un « copain d’école » du président de la République avec lequel il avait fait l’ENA en 2002-2004. Un premier geste, accompagné très vite d’un second : Erdogan a transmis « ses vœux de prompt rétablissement » à son homologue français contaminé par le Coronavirus, allant jusqu’à lui souhaiter, grand seigneur, un « joyeux Noël » et une « bonne année ». Ce qui a eu pour effet immédiat de déclencher une réponse manuscrite chaleureuse de l’intéressée commençant ainsi : « Cher Tayyip, parlons-nous ! À votre disposition pour une visioconférence ».

Avec un « ennemi » aussi déterminé, Erdogan n’a manifestement plus besoin d’« amis ». Et ce ne sont pas les mesures prises par l’Europe pour réprimer les actions « illégales et agressives » de la Turquie en Méditerranée contre la Grèce et Chypre, qui l’inciteront à changer de trajectoire. Qu’on en juge : La réunion au sommet prévue le 11 décembre 2020 pour définir ces « sanctions » s’est contentée « d’interdire de visas » plusieurs responsables de la Turkish Petroleum Corporation (TPAO), dont les avoirs ont été gelés. Un résultat salué par le président français en ces termes : « L’Europe a démontré sa capacité à faire preuve de fermeté à l’égard de la Turquie pour qu’elle mette fin à ses actions en Méditerranée orientale ». On a bien discerné là en effet la légendaire fermeté de Bruxelles… Dans ces conditions, la Grèce a effectivement intérêt à acheter beaucoup de Rafales à la France car, comme pour le Haut-Karabakh il y quelques mois, pour le Rojava il y a un an, ou pour Chypre il y a cinquante ans, on se précipitera moins pour arrêter le bras armé d’un président turc qu’on ne le fait pour répondre à ses politesses. Lesquelles étant, il est vrai, si rares… Ce numéro de charme de l’État turc, quelque peu comique, car reproduit à l’identique après chaque pic de tension, finira-t-il un jour par lasser ? Rien n’est moins sûr. En tout cas pas tant que le vieux continent sera dominé par le conservatisme allemand, historiquement proche d’Ankara, qu’il sera en butte aux tentatives d’entrisme de l’AKP, y compris en France, et que le personnel politique de ses poids lourds comme l’Italie ou l’Espagne, systématiquement pro-Turquie dans les instances européennes, se laissera guider par ses seuls intérêts marchands, ou se fera corrompre comme l’a montré par exemple la condamnation du député européen Luca Volontè à 4 ans de prison le 14 janvier 2021 par un tribunal milanais pour avoir encaissé plus de 2 millions de dollars de pot-de-vin de Bakou, épigone d’Ankara. On le voit, en l’état actuel des choses, le panturquisme a un boulevard devant lui. Y compris dans certaines parties de l’Europe promises, si cela continue ainsi, à devoir un jour danser avec les loups… possiblement gris.

2 Commentaires

  1. C’est un excellent article et j’espère que l’Europe tient compte une fois pour toute la politque d’Erdogan qui souffre d’Egocratie égue.

  2. les occidentaux ne sont malheureusement guidés que par des intérêts à courte vue.
    contrairement à la turquie animée par une idéologie de conquête dont le fondement est le racisme et le djihad