Comment saluer la mémoire d’Olivier Corpet ? Je ne saurai me contenter de dire qu’il fut un collaborateur précieux et un ami. 

Nous garderons de lui le souvenir d’un homme brillant, engagé, cultivé. D’un homme dont les combats, les idées et l’engagement profond en faveur de la culture française forcent l’admiration. D’un homme dont l’empreinte est aujourd’hui ineffaçable. 

En relisant son ouvrage relatant la belle aventure de l’Institut Mémoire de l’Édition Contemporaine, je n’ai pu m’empêcher de sourire au récit qu’il fait de son propre éveil au monde des Archives. Il raconte que son premier souvenir d’un contact avec des documents historiques est survenu quand, enfant, il dessinait sur des partitions originales d’Emmanuel Chabrier. Imaginez, le père du premier fonds d’archives éditoriales et littéraires de France, qui confesse avoir détruit des précieux manuscrits hérités de son arrière-grand père ! En racontant cela, il ajoutait que ses propres recherches lui avaient démontré que ce souvenir était faux, fabriqué de toute pièce par sa mémoire. 

Ce seul « non-souvenir » d’enfance nous dit beaucoup de l’œuvre d’Olivier. L’importance de collecter, réunir, et mettre dans des conditions de conservation optimales les manuscrits et archives littéraires. L’importance de l’archive surtout, le document écrit restant d’une valeur inestimable pour saisir l’esprit du temps et de l’instant présent, là où la mémoire orale nous joue souvent des tours par son caractère malléable. 

L’Institut Mémoire de l’Édition Contemporaine, l’IMEC, fondé en 1988 sera son plus beau leg. En 25 ans de direction, il a réussi le tour de force de s’imposer comme le dépositaire de mémoire, le garde des sceaux, le légataire zélé des Lettres françaises. Rien ne le prédisposait en apparence à cette destinée. Chercheur en économie, contributeur et membre actif à la revue Autogestion, à Libération et fondateur de la Revue des Revues, sa plume a accompagné depuis les années soixante-dix l’effervescent bouillonnement du monde des idées. 

L’IMEC s’est fait à petits-pas, au prix de grands efforts, de recherches passionnées et de débats enflammés, grâce à sa patience bienveillante et déterminée. 

Pour avoir été Ministre au moment du lancement de ce projet, et avoir partagé comme président de cette Institution les cinq dernières années qu’il passa à la piloter, je peux témoigner de son succès et de son talent à la barre de ce paquebot qu’il dirigea un quart de siècle durant. 

Il aurait été mieux placé que moi pour décrire les avaries auxquelles il a dû faire face, des menaces de coupes budgétaires au grand déménagement à Caen. D’aucuns lui avaient prédit – une nouvelle fois – un naufrage, il a finalement offert à son institution la respiration nécessaire à son épanouissement. Sur cette période, peut-être la plus riche et la plus agitée de sa vie, je laisse place à ses mots : 

« Vingt-cinq années de passions et de difficultés, d’émotions et d’arguties pour convaincre des déposants, des chercheurs et des administrateurs de tout poil et tout niveau, qu’ils avaient bien fait de placer leur confiance en ce projet. Vingt-cinq années pendant lesquelles il a fallu maintenir le cap, ruser et s’entêter tout à la fois, pour éviter les chausse-trappes et les faux débats, pour lutter sans cesse contre les « àquoibonnistes » et contre la résignation, pour résister aux normes officielles et aux opinions courantes, pour défendre avec force, et parfois avec audace, les choix qui ont été les nôtres. Plus le temps passait, plus apparaissait l’incongruité de notre existence, en même temps qu’augmentait la force d’attraction de ce que nous avions créé ». 

Belle leçon de vie que ce bilan de carrière, pour celui qui, tel un joaillier, aura su faire de ses Archives l’écrin des plus belles plumes du siècle, de Marguerite Duras à Jean Genet en passant par Irène Nemirovsky et Louis Althusser.

Il manquait à la Littérature française, pourtant auréolée d’un rayonnement immortel et de quinze Prix Nobel, un lieu de mémoire, de conservation et de rencontres. Je crois pouvoir dire, sans exagération ni emphase, qu’il a su avec l’IMEC lui offrir le temple – ou plutôt l’abbaye – qu’elle était en droit d’exiger. 

A ceux qui le questionnaient sur ses espérances pour l’avenir de l’institution, il répondait avec humilité n’en être « ni le propriétaire ni le légataire ». A nous, alors, de remplir ce rôle, afin d’honorer de la plus belle des façons possibles sa mémoire et de poursuivre son œuvre.

A Olivier, mon ami, je souhaiterai dire une dernière fois ma fierté de vous avoir connu. A sa famille et à ses proches, je veux dire toute mon affection. Je vous souhaite beaucoup de courage.