Depuis des mois, l’Etat islamique (EI) se rend coupable d’actes de violence terribles. L’exécution de James Foley marque-t-elle un tournant dans l’horreur ?

BERNARD-HENRI LÉVY. Un tournant, je ne sais pas. Car il y a tout de même eu, il y a douze ans, le cas de Daniel Pearl. Et, en Irak même, ces dernières semaines, toutes ces décapitations, crucifixions, mutilations sexuelles de yézidis et de chrétiens. Mais un sommet, oui, sûrement. La mise à mort, la mise en scène, la mise de ces images, en direct, sur Internet, tout cela soulève le cœur et marque un saut dans la cruauté mondialisée.
Vous avez consacré un livre au cas de Daniel Pearl. A quoi correspond, selon vous, ce recours à la décapitation ?

J’ai passé des mois au Pakistan à identifier les assassins de cet autre journaliste qui ressemblait à Foley comme un frère et qui s’appelait Daniel Pearl et à passer au crible leur discours. L’idée était très claire. Traiter sa victime comme une bête. L’égorger comme on égorge un animal. Le vider de son humanité en même temps qu’il se vide de son sang. Et puis, il faut imaginer la lame qui cherche, qui tâtonne, qui s’y reprend à plusieurs fois avant de trouver le point où elle pourra trancher : il y a aussi, dans tout ça, dans ce cérémonial abject, la volonté sadique que la victime vive sa mort, en face, et dans la pire des souffrances.
Une telle mise en scène ne peut que susciter l’indignation générale dans le monde. Que vise l’EI à procéder ainsi ?

Il faut croire que l’indignation n’est pas aussi générale que cela. Ou que les dirigeants de l’EI pensent qu’il y aura, dans le monde, nombre de pervers et de salopards pour trouver normal, voire héroïque, de tuer un homme ainsi. Quand je travaillais sur le cas de Pearl, j’avais déniché, sur des marchés ou dans des boutiques de Karachi, des vidéos de la décapitation mises en vente au même titre que les cassettes de Ben Laden ou du matériel de propagande d’Al-Qaïda. Il y a, hélas, un marché pour ça. Et le calcul de ces gens, de ces apôtres d’un mal siglé XXIe siècle, est de faire des nouveaux émules en leur offrant un nouveau modèle de terreur, une nouvelle arme. Effroi, mode d’emploi : c’est insensé, mais c’est ainsi.
L’Etat islamique représente-t-il un plus grand danger qu’Al-Qaïda, quand elle semblait toute puissante ?
Bien entendu. Ne serait-ce que parce qu’il est en train de se tailler un territoire, un vrai, avec ce potentiel financier, pétrolier, militaire. Et puis il y a ce vieux rêve qui date de la secte des assassins, puis des Frères musulmans pronazis, et que ces jihadistes de troisième génération sont en train de réaliser à marche forcée : l’éradication des chrétiens sur la dernière terre au monde où l’on parle encore la langue du Christ. Si on laisse faire cela, si on n’entre pas en résistance, c’est un désastre incalculable pour la civilisation et pour le monde.

Que peuvent faire les grandes puissances ?

Ce qu’elles ont commencé à faire : intervenir militairement, et sans états d’âme. Mais pourquoi seulement les grandes puissances ? Est-ce que ce n’est pas aussi, sinon d’abord, l’affaire du monde arabe ? Et cette grande conférence à Paris que vient d’annoncer François Hollande, pourquoi ne pas y inviter les Qatariens, les Saoudiens, les Emiratis, d’autres encore qui formeraient, sans délai, et à notre initiative, le noyau d’une coalition militaire mettant fin au califat des meurtriers ? Ces pompiers pyromanes ont, avec l’Iran, joué avec le feu de l’islam radical et du jihadisme. Il est temps qu’ils prennent leurs responsabilités. Il en va, aussi, de leur propre survie.

La livraison d’armes aux Kurdes et les frappes aériennes, est-ce suffisant ?

Commençons déjà par ça. Mais vraiment. Pas seulement en belles paroles. Et, encore une fois, au coude-à-coude avec les pays de la Ligue arabe. On verra bien, à ce moment-là, si c’est suffisant ou non.

La communauté religieuse musulmane doit-elle faire plus pour condamner ces exactions ?

Oui. De Ryad au Caire et à Paris, de hautes autorités spirituelles ont condamné cette barbarie qui déshonore l’islam. Mais ces foules qui défilaient, hier, pour la Palestine et pour Gaza ? Qu’attendent-elles pour redescendre dans la rue et prendre la défense de leurs frères chrétiens, yézidis et musulmans menacés d’extermination au nom du drapeau noir qui flotte sur les charniers de l’ancienne Ninive ?

2 Commentaires

  1. BHL faut que arreter la drogues ya eu trop de mort depuis …et il.en va de la sexurite national allez met toi au subutex et le monde pourra respirer….

  2. On voudrait parler mais on n’y arrive pas. Il n’y a rien qui sorte. On s’est identifié à la tête du martyr et non à celle de son bourreau. On a la bouche ouverte, face au vain horizon. Et puis, on ne voit plus rien. Ou autre chose. Quelque chose qui passe au-dessus de la tête de ceux qui ont les pieds en terre. Ils ont les yeux fixés dedans. On n’en est plus là. On les laisse là où ils sont. Là où ils en sont. À eux de se démerder avec nos sangs mêlés. À eux de s’emmêler les pinceaux mille ans de plus, prenant leur pataugeoire pour les temps messianiques. On ne veut plus en parler. On ne veut plus leur parler. On ne veut même plus parler. On ressent la même chose que Christine Angot face à la déshumanisation de Christiane Taubira. Et puis on se pousse au cul. Comme Christine Angot. On se dit que le feu de Foley ne doit pas s’éteindre aussi vite que cela. Et qu’il va requérir un coup de pouce de notre part si l’envie lui en prend, s’il nous saisit le souffle en sorte que la justice aille parachever ce qu’elle a initié. Lui, qui était convaincu que l’œil du reportage privait la ténèbre de sa couverture fut, pour comble de sadisme, contraint, sans que l’ignominie ne lui servît de rien, à lire, avant sa mort, une chanson que nos faux frères, bien plantés dans le charnier des idées underground croustillées de paillettes, n’ont pas pris la peine de décomposer. L’Épître aux Illettrés enjoint les concitoyens de l’homme qui a perdu la tête à se soulever contre le régime de son «vrai meurtrier». Le coupable de cette atrocité dont nous devons admettre que les fous de hallA, — litt. Situation (arabe); par extension, Grabuge, — ne l’ayant pas commise, ne devront pas en subir les effets légitimes c’est donc — roulement de zarb — «le gouvernement américain», dont les frappes aériennes auraient — roulement de zarb — «enfoncé le dernier clou dans son cercueil»; 1 cercueil et non 2; notons que la décollation de James Foley aura précipité sa recollation dans l’esprit divisé des sectateurs de l’Un. James ne voulait pas être devenu l’événement masquant le monstre du réel qu’il avait pour mission de montrer à tous ceux qui l’avaient mis au monde. Il aura fait bien plus qu’il n’eût jamais osé imaginer : révéler le dualisme des Templiers verts. Au même moment où, indirectement et temporairement pour cause de retournement temporaire, la République islamique s’interroge sur le bien fondé d’une coalition qui la condamnerait à combattre l’ennemi juré de son ennemi juré, les supporteurs des alliés de l’État islamique font parler les armes iraniennes. Pas inutile d’attirer Ali «Staline» Khamenei sous la bannière étoilée. Encore moins d’en tirer la conclusion suivante que les sujets rejetés du Grand Roi ont non seulement étudié Hérodote mais s’attendent à ce que l’objet de leur inversionnisme se fasse décimer, hoplite après hoplite, dans un détroit des Thermopyles en béton armé. ÇA, l’entité qu’ils cherchent à désentifier est mieux placée que quiconque pour le VOIR. Vingt-cinq siècles se sont entassés depuis Léonidas. Elle peut les observer, les étudier, les délimiter selon leur tempo propre, et ce grâce aux balayages de son géoradar dernier cri. Comment peut-on rompre onze cessez-le-feu et passer encore pour l’agressé? Le blocus, évidemment! Le blocus inhumain. Il disparaîtrait avec la reconnaissance par les cryptonassériens d’un État hébreu souverain. Il disparaîtrait avec la poursuite du processus de paix. Or le Hamas craint pardessus tout de voir la paix s’installer à Gaza. Tout comme l’État islamique d’Irak et du Levant et bientôt du Couchant, il est bien décidé à préempter la Lutte finale au nom de tous ces cons de damnés. Intéressons-nous à eux. Prouvons-leur qu’à l’inverse de leurs chefs, nous autres, l’Autre, n’avons pas la prétention de nous immiscer dans la double hélice et d’en redresser l’impeccable torsion. Le connard se reconnaît au fait qu’il se croît capable de tout engendrer. Saquons-le. Le fruit pourri de sa semence n’est pas une fatalité si la fatalité n’est pas une réalité. Aussi. N’ayons plus peur des corps primaires dans lesquels nous dûmes r/entrer à la naissance. En ce que. La capacité de résistance au mauvais penchant procède elle aussi d’une inclination. Ce qui a fait la force d’un Charles de Gaulle, ce fut d’abord son intuition de la défaite inévitable du mal. Ensuite, sa foi dans le principe de l’alliance durable. Enfin, sa force d’incarnation. Le restaurateur de nos libertés réussit à convaincre ses alliés qu’il incarnait une France qui n’existait pas, la France de l’après-guerre. Lui, que l’on a perçu après mai 68 comme un homme dépassé par les événements parce que coincé dans le siècle qui l’avait vu naître, était tel qu’il l’avait toujours été. Un homme revenant du futur avec l’avenir en tête. Et puis, un autre héritage, et non des moindres, que nous lègue le grand absent de Yalta. Contrairement au moule de statue dans lequel se coule le constructeur de la centrale nucléaire de Bouchehr et consolidateur du Boucher de Damas, le fondateur de la Ve République ne s’est jamais discrédité par un pacte de non-agression soviético-nazi. Gaffe! Si le 22 février 2014 fut, pour Euromaïdan, une sorte de Libération de Paris, que les alliés de Porochenko soient bien conscients que c’est le 8 mai 1945 qui décida du maintien, dans les chroniques du XXe siècle, du 25 août 1944 en tant qu’élément fondateur.