« PIC-NIK » de Fernando Arrabal , mise-en-scène de Brahim Barkati.

Festival international du théâtre de Béjaïa

avec la troupe du théâtre de la ville russe de Sotchi.

« Le monde est fou » pour les faiseurs de guerre dit le poète, mais dans sa folie guerrière faudra-t-il le montrer ridicule, le tourner en dérision et le mettre à nu pour l’installer face à ses aberrations.

C’est ce qu’a voulu faire Brahim Barkati dans Piquenique, un spectacle théâtral qui remet au goût du jour une pièce, mise sur pied en 1952 par Fernando Arrabal, qui dégouline d’absurde. A commencer par le titre.

Qu’en ne se méprenne pas, ce n’est surtout pas l’histoire d’une joyeuse sortie pour pique-niquer au milieu des pâquerettes d’une paisible campagne. Piquenique est faite de guerre et de destruction, d’aveuglement et de bêtises humaines. Algérien, enseignant le théâtre en Russie depuis 2008, Brahim Barkati l’a faite jouer jeudi dernier au Festival international du théâtre de Béjaïa avec la troupe du théâtre expérimental de la ville russe de Sotchi. Tout, ou presque, est absurde dans les situations de guerre représentées sur scène. Sur le champ de bataille, le soldat qui a pris les armes est gardé dans son innocence d’enfant que gronde encore sa maman qui arrive, avec son époux, pour pique-niquer sur une zone de guerre.

On le veut sot. Le prisonnier qu’il a capturé ne l’est pas moins. Un homme est venu chez lui pour lui demander d’aller en guerre contre l’ennemi. Il n’a rien trouvé de mieux que de lui demander la permission d’emmener avec lui… sa fiancée. De telles situations prêteraient à rire mais, sur ce plan, elles n’ont pas été d’un effet apparent sur la salle, et ce, pour au moins deux raisons qu’il faudra chercher dans la langue et le jeu des acteurs. La pièce a été jouée en russe avec un sous-titrage en français, parfois approximatif et truffé d’erreurs de langue. A un moment de l’échange de propos entre le soldat et ses parents, l’écran en fait une traduction très sommaire pour informer qu’en ce moment il s’y déroule une «discussion autour de la famille et des amis».

Le public est, du coup, laissé dans l’ignorance du contenu de l’échange.
Il est à la marge. Le metteur en scène a fait un effort de traduction notable, mais celle-ci péchera aussi par son manque de synchronisation avec le jeu des comédiens, ce qui a parfois fait que la salle a pris connaissance de certaines répliques et actions avant même qu’elles aient été exécutées sur scène. L’expression du visage des comédiens a parfois manqué d’émotion pour un public habitué à plus de mimique, de gestuelle et d’ardeur méditerranéennes, véritables stimulateurs que nous avons bien vus d’ailleurs dans les pièces algériennes et égyptiennes.

Mais on pourrait convenir que Piquenique n’est pas tant faite pour faire rire que pour interpeller sur la bêtise de l’être humain et ses absurdités. L’absurde est poussé jusqu’à, par exemple, supplier le prisonnier à accepter de se prendre en photo et à ouvrir un parapluie pour se protéger des bombes. Mieux, des secouristes se montrent déçus de ne pas trouver de cadavres à transporter sur leur civière. Toute cette dérision et cette ironie travaillent pour ridiculiser les forces de mal et les belligérants, qui ne savent pas pourquoi ils sont ennemis.

Ce condensé d’absurdités n’a été qu’un préambule pour appeler à refuser de prendre les armes et stigmatiser les faiseurs de guerre et les manipulateurs des opinions qui font des peuples une chair à canon. Il y a un souhait à faire régner la paix de par le monde, mais les appels sont inaudibles, y compris celui qui se dégage de la pièce à travers de la musique et une danse de l’amitié. Et si les canons venaient à se taire un jour «que feront les généraux et les caporaux ?». «On leur donnera des guitares et des castagnettes», propose la pièce. Mais le monde est autiste.

Kamel Medjdoub el Watan Magazine