«Un Espace Sacré», l’installation de l’artiste brésilien Ernesto Neto, située dans le «Pavillon des Chamanes» du site de l’Arsenale, est devenue, lors de cette 57ème édition de la Biennale d’Art de Venise, «Viva Arte Viva» dirigée par Christine Macel, un centre de rituels chamaniques amérindiens Huni Kuin. En 2013, Ernesto Neto a été bouleversé par l’expérience de l’Ayahuasca[ref]L’ayahuasca est un breuvage à base de lianes consommé traditionnellement par les chamanes des tribus indiennes d’Amazonie, utilisé pour sa capacité curative associée aux croyances et pratiques locales.[/ref] chez les Huni Kuin d’Amazonie: de cette rencontre naîtra une œuvre marquée par un engagement total pour ce peuple et sa culture. A son invitation, un groupe d’Huni Kuin de la région d’Acre (Brésil) ont partagé leur mythologie, leur mystique, leurs combats, sous la vaste tente en crochet. Plantée à même un sol jonché de plantes, la tente est une réplique de leurs maisons de réunion rituelle, au centre de l’installation immersive Amazonienne. Chants, prières, témoignages et débats sur les enjeux de cette culture en sursis ont investi «l’Espace Sacré» quotidiennement. Et au delà de l’appropriation d’un espace artistique en un espace rituel collectif, avec la performance de la «Danse du Boa» des Huni Kuin dans les Giardini de la Biennale, Ernesto Neto a lancé un cri d’alarme pour la survie des cultures amérindiennes d’Amazonie, et de la planète, sur la plus grande scène artistique internationale.

Ernesto Neto. Photo : Dominique Godrèche.

Dominique Godrèche : Pourquoi avoir invité des Huni Kuin sur le site d’un «Espace Sacré»?

Ernesto Neto : Lors de mon séjour chez eux, il y a quatre ans, j’ai été avalé par le Boa: l’esprit de la Connexion, de la Terre, le Conducteur, celui qui dans les histoires des ancêtres Huni Kuin représente le maître, car il détient le savoir. J’ai été absorbé, bouleversé par cet univers. Il ne s’agit donc pas d’un choix; ma vie est désormais consacrée à cette conscience, et à leur cause. Généralement, la communication s’opère par la culture. Mais les Huni Kuin, eux, vivent une relation constante avec le sacré. Et c’est par le sacré que nous atteignons la vérité. L’art inclut cette dimension; mon travail a toujours été lié au sacré. Mais j’ignorais cette force, cette relation à l’environnement, à la terre-mère, où tout est lié. Les Huni Kuin vivent dans l’ici et maintenant, un espace où le présent, le passé et le futur se conjuguent, le commencement et la fin sont unis.

D.G. : Comment les Huni Kuin sont-ils considérés au Brésil ?

E.N. : On ne sait rien d’eux, on pense même qu’ils n’existent pas, alors qu’ils font partie de notre culture. Mais leur présence commence à susciter l’intérêt, notamment avec la journée des Amérindiens, le 19 avril. C’est une opportunité de rencontre, et cela est nouveau. Dans le monde de l’art, aussi, on remarque des créations inspirées par leur culture.

D.G. : Est-ce votre premier engagement artistique en faveur de cette culture amérindienne d’Amazonie?

E.N. : Non, je travaille sur ce thème depuis 2014, mais c’est la première fois que j’implique des Huni Kuin à la Biennale de Venise. La tente, adaptée à l’architecture du site de l’Arsenale, est inspirée par leur maison rituelle, un lieu de partage, d’échanges, et de cérémonies: nous amenons ici une cellule de vie, l’ADN du Boa et de la Terre. Je souhaitais que les gens aient la possibilité de faire cette rencontre.

D.G. : Votre peinture de visage est-elle liée à leurs rites?

E.N. : Oui, je porte le symbole de la géométrie sacrée que nous percevons lorsque nous prenons l’Ayahuasca; elle représente une protection.

D.G. : Quel est le plus grand défi des Huni Kuin aujourd’hui?

E.N. : Ils doivent survivre en communauté, en étant en contact avec le monde non indien; cela est difficile. Il leur faut trouver des ressources pour survivre et, à cause de la déforestation, s’adapter à un monde qui ne dépend plus uniquement de la forêt, en affrontant les violences du gouvernement. Nous devons donc les soutenir, et respecter leur savoir. Car avec l’Ayahuasca, entre autres, ce sont des guérisseurs qui protègent la planète.

D.G. : Avez-vous été initié à leurs rites?

E.N. : Oui, et de cette initiation et née notre amitié. Ce sont mes professeurs: avec leur médecine sacrée, et particulièrement avec l’Ayahuasca, ils m’ont initié à une connexion spirituelle avec la nature. Il est essentiel que leur savoir pénètre les esprits, nous indianise. Car leur rapport à la vie est plus sain que le nôtre, et peut nous venir en aide socialement et écologiquement: les Huni Kuin sont le peuple le plus spirituel que j’ai connu, et cette dimension est déterminante pour notre relation à nous-même, aux autres, et à notre survie. Je fais le vœu que la relation des Amérindiens à la nature se transmette, transforme le monde, pour qu’advienne une société belle, humaine, où nous n’ayons plus à réfléchir aux droits de l’Homme. Car le fait que nous soyons obligés d’y penser prouve que le monde est malade: les droits de l’Homme n’existent pas dans la forêt.

 


Dans « L’Espace Sacré» d’Ernesto Neto, José de Lima, leader d’une communauté Huni Kuin et représentant des affaires Amérindiennes auprès du gouvernement d’Acre (région brésilienne), où résident 12.000 Huni Kuin, a témoigné de leurs combats et espoirs, à l’invitation d’Ernesto Neto. Les Huni Kuin, menacés par la déforestation, victimes de violences, tentent désespérément de préserver leur mode de vie, leurs territoires, leur philosophie environnementale. Porte parole Huni Kuin et réalisateur de documentaires, José a émis le vœu que leur présence à la Biennale éveille l’opinion internationale aux enjeux de leur survie.

José de Lima. Photo : Dominique Godrèche

Dominique Godrèche : Quelle place occupe l’Ayahuasca chez les Huni Kuin?

José de Lima : La société est déconnectée de la nature, qu’elle continue de détruire. En ré-instaurant une connexion à la nature grâce à l’Ayahuasca, notre médecine permet une guérison collective.

D.G. : Les missionnaires n’ont-ils pas essayé de vous évangéliser, et d’éliminer ce rite?

J.L. : En effet… Et cela continue en ce moment même à la frontière du Brésil avec le Pérou. Mais nous restons vigilants, et dans la région du Rio Jordão, où je vis, nous avons demandé aux missionnaires de partir, de façon pacifique mais ferme. Et ceux qui tentaient de rester à proximité de nos villages ont fini par s’en aller. Aussi, depuis 1994, il n’y a plus de missionnaires dans notre région; ce qui n’est malheureusement pas le cas d’autres communautés.

D.G. : Quels sont vos problèmes de territoire?

J.L. : Nous devons défendre nos droits territoriaux contre les agro-entreprises, pour empêcher leur expansion, car nous subissons des pressions des législateurs et du gouvernement brésilien contre lesquelles nous luttons en permanence. Et la presse locale ne prête aucune attention à nos déclarations. Aussi, espérons-nous être écoutés par la presse internationale; cela nous aiderait.

D.G. : Quel est votre message?

J.L. : Nous sommes heureux, à l’occasion de cette Biennale, d’obtenir une reconnaissance de notre culture, de la transmettre, et de pouvoir évoquer la question de nos droits, qui sont en train de régresser: je remercie Ernesto de nous offrir son soutien et de nous avoir invités, car l’art et la culture font progresser la société. Il est important pour nous de pouvoir présenter notre philosophie, nos inquiétudes concernant la forêt dans laquelle nous vivons et que nous essayons de protéger et d’aborder les questions de démarcation des territoires et de génocide. Pour survivre, il nous faut affirmer le respect de nos droits. Nous avons besoin du soutien des autres peuples pour cela. Aussi, je vous en prie: aidez-nous à continuer de protéger de la nature.

 

 

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Ernesto Neto, "Un espace sacré", Biennale d'Art de Venise, 2017. Photo : Dominique Godrèche
Chants-huni-kuin-dans-la-tente-de-Ernesto-Neto-par-Dominique-Godreche
Ernesto Neto, "Un espace sacré", Biennale d'Art de Venise, 2017. Photo : Dominique Godrèche
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Ernesto Neto, "Un espace sacré", Biennale d'Art de Venise, 2017. Photo : Dominique Godrèche
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Ernesto Neto, "Un espace sacré", Biennale d'Art de Venise, 2017. Photo : Dominique Godrèche
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"Montain", texte de Ernesto Neto, "Un espace sacré", Biennale d'Art de Venise, 2017. © Dominique Godrèche
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"Listen", texte de Ernesto Neto, "Un espace sacré", Biennale d'Art de Venise, 2017. © Dominique Godrèche
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Ernesto Neto. Photo : Dominique Godrèche.
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José de Lima. Photo : Dominique Godrèche