Angot à ONPC ! Il a suffi que la rumeur s’ébruite pour mettre la twittosphère en ébullition. Curieuse France et contradictoires élites. Dans notre bon vieux pays de culture où l’on s’enorgueillit de ne surtout pas posséder de télé, les samedis soirs cathodiques sont visiblement sacrés. Le mercato des journalistes y est ainsi observé, commenté, critiqué avec une passion rare. Laurent Ruquier le sait. En jouant avec les codes du milieu, en substituant une journaliste pure sucre, Vanessa Burgraff, par un écrivain majeur, Christine Angot, l’animateur-producteur a joué sur l’effet de surprise et de déstabilisation. Un joli coup qui appelle plusieurs réflexions. Que voici. Pour apprécier à sa juste valeur les nouvelles fonctions de l’auteure d’Une semaine de vacances et d’Un amour impossible, il convient de regarder dans le rétroviseur. A l’époque des écrans pesant une tonne, bien avant Netflix et l’apparition de la TNT, on se régalait des entretiens coquins de Thierry Ardisson lequel demandait, le samedi en deuxième-partie de soirée, si «sucer, c’est tromper ?». Mythique. On s’en souvient peu mais, à cette époque, Laurent Ruquier était déjà dans les parages, dans le rôle du discret sparring-partner de l’homme en noir. Enchaînant les moments d’anthologies avec son lot de pétages de plomb, ses montages-découpages pas toujours honnêtes, son «Magnéto Serge!» récurrent et sa science du buzz avant même que le buzz n’existe, Tout le monde en parle est entré dans la légende. Regarder France 2 après vingt-trois-heures revenait alors à se retrouver comme aux Bains Douches, sa petite personne immergée dans le tout-Paris, lunettes noires sur le nez, assis sur une banquette moelleuse entre une bimbo aux seins refaits, le récipiendaire du Goncourt, une ministre sur la sellette et un bandit jet-setter. Autrement dit, la nuit dans toute son imprévisibilité et son excitation. C’était en 1998, il y a mille ans… Grâce à Ardisson, toute une génération éprouvait de chez elle l’atmosphère interlope des boîtes de nuit, ses codes rieurs, son curieux melting-pot. A force, la stratégie du scandale a montré ses limites… Bouté hors du service public par Patrick de Carolis, Ardisson s’en est allé. L’ex-pubard devenu présentateur se retrouve aujourd’hui sur C8, coincé entre Natacha Polony, Gilles-William Goldnadel et Jeremstar (un énième décervelé issu de la téléréalité). Crash en perspective…

 

Si le concept Tout le monde en parle s’est étiolé, la case laissée vacante par Ardisson demeure, quant à elle, le joyau de la grille de France 2. Un horaire relancé et revigoré par le génie populaire de Laurent Ruquier. En phase avec une audience balançant tantôt du côté de l’ouverture made in Charlie Hebdo, tantôt du coté de la réaction pantouflarde, l’ancien chansonnier s’est imposé. Mieux, son On n’est pas couché s’est mué en empire. Habilement pourtant, tandis que la mode est à la surexposition narcissique façon Hanouna, l’enfant du Havre a préféré se réfugier derrière un duo de chroniqueurs voire – lorsqu’il officie sur les ondes – derrière sa bande d’amis. Utile quant il s’agit de nourrir le débat tout au long de l’année, malin lorsqu’il s’agit de durer ! Avec les années, l’émission a enfanté de créatures devenues stars (Léa Salamé, Nicolas Bedos, Audrey Pulvar) et parfois de monstres à la curieuse trajectoire (Eric Zemmour). Chacun leur tour, ces figures désormais connues du très grand public ont scindé la France en deux camps, celui des pro et les antis. Qu’elle plaise ou divise, ONPC ne laisse personne indifférent. C’est cette émission puissante que rejoint Christine Angot. Et il ne serait pas étonnant que le franc-parler de l’auteure, son regard perçant et ses choix politiques tranchés y fassent des étincelles. Plus qu’un moment fort dans sa carrière publique, c’est un nouveau pouvoir qu’Angot la chroniqueuse va expérimenter : celui de la prescription. Grand messe télévisuelle au pouvoir bien réel, le talk-show qu’elle rejoint est de ces rares émissions capables de booster les ventes de livres, de fabriquer un nom et de détruire une réputation. A l’heure où l’on estime la télévision dépassée par les autres écrans, dont Youtube et la VOD, On n’est pas couché rassemble 1,26 millions de téléspectateurs en moyenne chaque semaine, soit 19% de part d’audience. Si les chiffres déclinent, ils n’en restent pas moins conséquents mais surtout suffisamment bons pour laisser à Laurent Ruquier une certaine marge de manœuvre. Et justement, l’envie de ce dernier était d’instiller de la nouveauté. Après une overdose politique due à la dernière élection présidentielle, l’objectif était d’installer une intellectuelle capable de débattre d’égale à égale avec Yann Moix. Ce sera Angot ! Un choix intéressant, d’autant plus fort qu’il remet la littérature au pouvoir. L’évolution est sensible. En dix années, ONPC est passé d’un couple d’éditorialistes (Zemmour-Naulleau) à un duo d’écrivains. Puisque son succès n’est plus à démontrer, Laurent Ruquier utilise désormais son talk-show comme d’un instrument pour promouvoir le débat d’idées. Dans une France qui ose à nouveau, voilà une jolie ambition. De celles qui pourraient réinstaller Saint-Germain-des-Prés devant le poste de télé ? Réponse à la rentrée !

 

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