Hier soir, notre pays a donné une leçon au monde. A l’heure où celui-ci se ferme sous le poids des peurs, la France a élu à sa tête le candidat de l’ouverture et de la confiance.

La fin de la partition classique entre gauche et droite est entérinée. Ce simple fait est historique. Si l’on ne prend en compte que notre pays, cela ne signifie évidemment pas qu’il n’y aura plus de conservateurs, de libéraux, de sociaux-démocrates, mais plutôt qu’une chance leur est donnée de travailler ensemble pour le bien commun : il existe un certain nombre de questions où la diversité des sensibilités doit devenir une source d’entraide, de dialogue et de combativité, plutôt que de futiles oppositions. Au détriment de l’intérêt supérieur du peuple, les vieux partis n’en finissaient pas d’imposer leurs querelles vétilleuses ; les guerres picrocholines remplaçaient tout débat d’idées sincère et constructif. Personne ne pensait que cela pût finir, tous croyaient d’ailleurs l’entreprise d’Emmanuel Macron vouée à un cuisant échec, mais voilà, comme l’a rappelé hier au Louvre le président élu, ils ne connaissaient pas la France.

Le Général De Gaulle relevait lors d’une célèbre interview réalisée entre les deux tours de l’élection présidentielle de 1965, que la France, dans la mesure même où elle ne se réduit à aucune de ces deux tendances se doit de conjuguer le mouvement et la tradition, la gauche et la droite. C’est dans ce but qu’il avait établi la Constitution de la Ve République, propre à ôter l’Etat à la discrétion des partis. En ce sens, Emmanuel Macron est peut-être depuis De Gaulle lui-même le premier président gaullien. De 1905 à la Résistance, de la défense de Dreyfus à l’Union Sacrée, de l’instauration de la Sécurité sociale à la fondation de la Ve République, c’est dans cette autre grande tradition française, celle du rassemblement, qu’il a en effet voulu se situer. Plus lointainement encore, nous pourrions mentionner ces grands moments où le désir de cohésion l’a emporté sur des dissensions meurtrières, l’Edit de Nantes, les lendemains de la Fronde ou la synthèse napoléonienne : la France est grande à la fois de sa diversité, géographique, politique ou spirituelle, et de l’unité, simul et singulis, qu’elle réussit à en exprimer.

Il faut parfois hélas pour qu’elle y arrive un moment de crise tel que les atermoiements partisans passeraient pour criminels : nous y sommes, l’effondrement moral, les menaces économiques, la terreur et le retour du fanatisme religieux requéraient une solution radicale. Deux candidats se sont affrontés, chacun défendant l’idée qu’il incarnait ce sursaut nécessaire. C’est celui de la liberté, de l’ordre juste, de l’amour de soi et des autres, qui l’a emporté face à la morbidité nationaliste.

La grandeur d’Emmanuel Macron a éclaté hier de plusieurs façons. Et c’est tout d’abord la conscience dont il a su témoigner, de ce que plus d’un tiers des citoyens, et davantage même si l’on tient compte des abstentionnistes, ne l’avaient pas choisi. De ce que certains ne lui avaient accordé au surplus qu’un réticent suffrage : «Ils ont exprimé aujourd’hui une colère, un désarroi, parfois des convictions. Je les respecte. Mais je ferai tout durant les cinq années qui viennent pour qu’ils n’aient plus aucune raison de voter pour les extrêmes.» Le salut républicain adressé à sa rivale, pourtant d’emblée critiqué, avait dans ce contexte tout son sens : il avait accepté de débattre avec Marine Le Pen, reconnaissant par là qu’elle n’était pas arrivée par hasard au second tour de cette élection – comme ce pouvait encore être le cas de son père en 2002 ; n’était-il pas dès lors obligatoire d’envoyer à ses électeurs un tel témoignage d’accueil ? Si les réponses du nationalisme et du souverainisme sont, on le sait, désastreuses, les questions qui en poussent certains à s’y fier peuvent être légitimes, et il y a en tous les cas bien plus de noblesse à convaincre ses adversaires par la raison et par les actes qu’à les insulter. Comprenant cela, Macron choisit, consciemment ou non, un autre modèle encore : celui de Barack Obama, élu en 2008 par une Amérique exsangue et divisée.

Face à ce message d’unité, on n’a pu que constater hier le sectarisme hallucinant des perdants, de Mélenchon et de son sbire Corbière pour commencer, qui jugent à l’évidence qu’on leur a volé cette victoire. C’est l’éternelle complainte de ceux qui se croient représenter à eux seuls et le Bien et le Peuple et qui, ne concevant pas que le premier ne leur appartienne pas en propre, n’admettent pas non plus que le second ne s’identifie pas aux intérêts, particuliers après tout, et fort discutables du reste, qu’ils défendent.

Sectarisme de la droite également : Wauquiez pensant peut-être déjà à la tête du rassemblement nationaliste et réactionnaire annoncé par Le Pen et Philippot, Baroin évoquant la «famille» comme le ferait un chef de clan mafieux, révélant même à la faveur d’un hiatus argumentatif, que cette «famille» s’identifie à ses yeux à la France même ; si la gauche a le grand tort, je viens de le dire, de se croire identique au Peuple, la droite a celui de penser épuiser la Patrie. Les mimiques de ces vaincus, caricatures de gaullistes tournés à l’aigre, rappelaient en tout cas davantage les roueries du SAC que la générosité de la France Libre.

Tout compte fait, la droite tend d’ailleurs comme la gauche à se croire l’incarnation du Bien : elles le définissent fort différemment mais qu’importe ? Si nos «Insoumis» le défendent en effet face à «l’avidité capitaliste», la Manif pour Tous, pour ne citer qu’un exemple, le fait contre «les ennemis de la famille et de l’innocence» : c’est cette logique infernale qui est morte hier soir, pour le plus grand bien d’un pays assoiffé de jeunesse et lassé de ce mauvais théâtre.

L’appareil symbolique dont s’est armé Macron montre d’ailleurs qu’il a aussi voulu en finir avec une tactique qui ne vainquit que par hasard et à la faveur du rejet massif dont Nicolas Sarkozy faisait l’objet en 2012, celle du «président normal» : dépourvue non seulement de sens mais encore de toute cohérence syntaxique, cette formule étrange portait en elle, comme la nuée l’orage, tous les échecs du quinquennat. Pour aller à la rencontre du peuple, il ne faut rien moins qu’être «normal».

Un autre élément de grandeur symbolique consiste en cette volonté affichée de s’inscrire, pour mieux faire face à l’avenir, dans le passé du pays, «de l’Ancien Régime à la libération de Paris, de la Révolution française à l’audace de cette pyramide». Parce que la France est à la croisée des chemins, parce qu’elle s’apprête à envisager un monde largement, dangereusement ouvert, où elle sait qu’elle pourrait se perdre, le faire en plongeant ses racines dans une culture connue et aimée reste la seule façon de ne pas sombrer. On avait pu reprocher à Emmanuel Macron sa phrase maladroite sur l’absence de culture française : hier il aura à tout le moins su lui donner un autre sens.

Face au monde, le président élu a marché vers la Pyramide du Louvre au rythme de l’Hymne à la Joie, ce cri prométhéen où soufflent l’énergie, la fraternité, l’universalisme de la vieille Europe, ni vraiment païenne, ni complètement biblique, fille à la fois du Nord et de la Méditerranée. Alors qu’une Amérique sans histoire voulait nous donner à choisir entre l’abjection de Trump et l’insipidité de Trudeau, la France, pourtant si lourdement frappée par la terreur, cent fois tentée par le repli, a montré combien elle pouvait encore dominer l’Histoire.

2 Commentaires

  1. Encore un éditorial allant à la soupe… Quelle originalité!

  2. Attention monsieur,
    les mélenchonistes que vous haissez plus que le FN,ont parfois voté pour ce Macron
    de pacotille qui va mettre le petit peuple que nous sommes,encore plus dans la misère!!!!
    Comme quoi,Nous n’avons rien (matèriellement parlant)mais,Nous sommes plus grands,
    plus honorables et plus humanistes que vous ne le serez jamais car Vous,vous avez
    beaucoup à perdre et fuirez le moment venu.Ce message ne passera pas,comme souvent
    mais,ça fait du bien de l’écrire!!!!
    Insoumis toujours là