Une nuit un lapin délogea son terrier
Pour quérir quelque flore féconde à grignoter.
Dame Nature avait ôté son habit vert
Les prairies étaient blanches : c’était l’hiver.
«Tout semble de cristal : c’est joli mais j’ai faim»
Songea notre animal, qui s’arrêta soudain
Une voix l’implorait : «Aide-moi voyageur,
Au nom de la forêt, qui que tu sois : je meurs !»
Le lapin s’approcha – sa mère dévotieuse
Lui avait enseigné la morale religieuse.
La voix qui soupirait était celle d’un daim
Attrapé par la glace, en train de se noyer.
«Je suis grand et robuste, tu auras bien besoin
D’un sabot comme le mien pour gagner ton terrier
Quand les dieux du frimas l’auront voilé de neige
Érode de tes dents l’eau froide qui me piège»
Adjurait le martyr, lorsqu’alors le timbre
D’une autre créature commença de geindre :
C’était une louve noire, en jumelle posture
Le givre la tenait, et malgré sa fourrure
Elle ne tarderait guère à succomber de froid.
«Au nom de la forêt, aide-moi la première !
C’est vrai par le passé, je fus vile parfois,
À tes enfants je ne ferai plus de misères,
Et si tu m’affranchis, je défendrai les tiens.»
Pas dupe pour un sou, sachant qu’elle mentait
Le lapin nonobstant se tourna vers le daim :
«Ta sournoise empathie, j’en fis déjà les frais.
Tu ne te soucies pas de l’oseille que tu broutes,
Quand tu as ruminé, c’est la banqueroute.
Chaque printemps qui vient, tu m’écrases une patte
Lorsque tu cabrioles pour faire de l’épate
À des biches nigaudes, convoitant leurs faveurs :
Des pieds au garrot, tu es un bonimenteur !
Tu ne mérites point des rongeurs le secours
Que tu abuses heure après heure, jour après jour.»
À ces mots notre louve, stupéfaite et ravie
S’écria en tremblant : «Comme tu parles bien
La vérité sort donc de la bouche des lapins.»
Sa flatterie n’obtint pas l’effet escompté :
«Renonce à me berner, répliqua le coureur
De toi je n’attends rien d’autre que le malheur.
Si j’étais assez fou pour te désenchaîner
La seconde d’après, tu m’aurais dévoré.»
Le daim rasséréné recouvra de l’espoir :
«La raison te revient avant qu’il soit trop tard
Je croyais que la louve ne te faisait plus peur,
Son espèce a des crocs à la place du cœur…»
«Et la tienne à la place, un vulgaire estomac !
Vraiment, entre elle et toi, choisir je ne peux pas.»
Cette ratiocination se poursuivit longtemps
Mais l’horloge tournait et la nuit s’achevant
Le soleil propice libéra les captifs
De leur piège de glace. Le cervidé s’enfuit
Quand la louve se rua sur le lapin chétif
Ne faisant qu’une bouchée du récent indécis.
La fortune punit les animaux subtils
Qui feignent d’ignorer les degrés du péril.
Quel peut-être l’usage de la plus belle pensée
Si celui qui la pense est déjà trépassé ?