À la mémoire du général Pierre Bacqué, commandeur de la Légion d’Honneur

 

Cher Monsieur Dupont-Aignan,

Personnellement, vous ne m’intéressez nullement, et je suis loin d’être seul dans ce cas. Vous êtes seulement, mais c’est déjà beaucoup, l’occasion de signaler un symptôme ; vous n’êtes mon destinataire que parce que j’entends vous rappeler la proposition de votre idole du temps jadis, le Général de Gaulle. Il ouvrait ainsi ses Mémoires de guerre : «Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France.»

«Toute ma vie» est un aveu. L’aveu d’une idée qui, si on la fixe sur son point de départ, ne va pas chercher bien loin. L’idée d’un bourgeois du Nord, maurrassien, parti à Londres pour sauver la fierté nationale, y entraînant d’autres maurrassiens et des juifs ; idée nourrie d’une congestion de catéchisme saint-sulpicien, mêlée d’un précipité de Chateaubriand et d’un caillot de Barrès, cela fait certes, en dedans, du bruit et même des séismes, car nous sommes en vérité de bien petites choses ; mais elle a beau se hisser d’éloquence, et de la plus haute, son idée n’était pas nourrie par le feu le plus ardent de l’Intelligence.

Et pourtant, il se l’était faite, et nous pouvons le croire, quand on voit ce que, se la faisant, cela motiva d’esprit de rupture, d’invention ; rien de mieux qu’une bonne bourgeoisie pour faire un vrai inventeur, n’est-ce pas ? C’est-à-dire, pour commencer, un vrai démolisseur de son milieu. Car un inventeur, il le fut. Son idée, il se l’est faite.

Je dirais que le cœur de votre trahison est là.

Pourquoi ces lignes ? Parce que, pendant ces drôles de jours, je vois chacun errer, entre rêve et cauchemar, se pinçant superstitieusement et se demandant si naît un monstre nouveau, un futur régime de mort, fasciste, nazi, bref, si la terreur revient ; car, tout de même, lorsque parut Hitler, il en fit, du bruit ; il cria et s’époumona, à l’écrit et à l’oral, et il promit à tous des rivières de sang ! Tandis que votre nouvelle patronne, que nous distille-t-elle ? Des sourires, certes figés, un carré blond festonnant son visage photographié en léger flou, comme la «gaze des rideaux» dont Rimbaud disait qu’elle était tellement française (croyons-le donc sur parole) ; et puis des promesses d’apaisement – en somme, une Madone à la prairie. Alors quoi, demande-t-on !

Notre génération est une naine. Pourquoi ? Parce qu’elle a renoncé, depuis sa source, à la seule possibilité qui soit authentiquement humaine et vivante : se faire – et, pour parler en général de Gaulle, se faire une idée. D’autres combattants, d’autres vivants n’osèrent pas user de ce mot, mais ils mirent autant de hargne à combattre et à vivre. A lieu de quoi, notre génération hérite. Vous, du général que vous trahissez ; elle, de son papa qu’elle poignarde. Lequel papa, lui aussi, héritait, en sus d’une belle maison, de tout un corps de doctrine qu’il n’avait même pas besoin de ranimer car il dormait, là-dessous, comme la tourbe qui se mange elle-même, dans les couches de la terre. Dès lors, il pouvait faire le malin, puisqu’il n’avait même pas besoin de penser quoi que ce fût ! Quel jeu de dupes il joua avec ceux qui cherchaient à sonder son âme !

Et vous, que vous êtes donc d’aujourd’hui, cher Monsieur ! On peut voir, à votre exemple, comme l’extraordinaire paresse, ou lâcheté, de nos esprits, l’implacable routine, là du réac, ici du «fils de déporté», là de «l’intellectuel», ici du «politique», ne sont qu’autant de symptômes, non d’un débat, mais d’une décomposition que le monde des idées a la pudeur de celer dans l’invisible, mais qui sent aussi mauvais qu’un cadavre. A ceux qui, du moins, ont encore un odorat, tel le premier homme de la Genèse !

Marine est-elle Adolf, Benito ou Marcel (choisissez-vous le Marcel qu’il vous plaira, c’est un prénom français…) ? Mais non. Et, à certains égards, c’est bien pire. Elle se contente d’hériter. Elle exploite son héritage ; elle en tire parti, comme un mauvais écrivain tire parti de la névrose qu’il est, et qu’il mange et remange, car il se remange, oui, avec autant de constance que les chouettes qui remâchent leurs propres boulettes, pour mieux veiller, en oiseaux nocturnes, sur l’inéluctable nuit.

Il y a une certaine idée de la France, chez vous, et chez Marine Le Pen ; mais elle n’est pas la vôtre ; elle a eu déjà le temps de naître, de grandir, de vieillir, de mourir et de se décomposer. Cette viande avariée, au lieu d’un geste infime d’invention, vous vous en délectez, fusionnant avec elle, comme si le cerveau qui nourrissait les idées était à la fois votre repas et votre esprit.

Permettez-moi, Monsieur Dupont-Aignan, de me tourner vers mon lecteur, car je n’ai guère d’espoir que vous me lisiez, sans compter l’ennui qu’inspire votre anecdote électorale. Mais vous avez fait usage de grands noms, ceux qui soudain, en ces temps obscurs, nous rappellent l’Histoire, et ravivent une nostalgie presque endormie. Oui : pour être de ceux qui font l’histoire, il faut cette candeur, cet amateurisme, cette inconscience qu’une génération d’experts méprisera toujours, et qu’on appelle du nom de ceux qui se font une idée. Artistes, aventuriers ou politiques, comme un général ou comme son ami drogué – ils tentèrent l’ouvrage et vécurent alors. Et les peuples, à leur rythme, pour le meilleur et pour le pire. On est si triste et si enseveli qu’on a oublié à quel point ils manquent. Quand on se souvient de cela, comme il importe peu de savoir si cette France est alors mondiale ou locale, spirituelle ou matérielle, Chanel ou Racine ! Comme il apparaît vain d’en parasiter la mémoire, pour hurler comme les uns ou faire les intelligents comme les autres – sans y créer rien ! Naguère, les plus grands esprits, les plus grandes langues, soumis à l’épreuve redoutable d’être parqués ensemble (terrible Richelieu), pour drainer leur force d’âme vers une langue à ciseler ; aujourd’hui, de vagues répertoires de citations desséchés, conviés à enregistrer, impuissants, les mutations génétiques toujours plus angoissantes d’une langue que personne ne ranime plus ! Grands dieux, comme, de la Coupole au Collège de France, l’immortalité sied mal aux hommes, et comme, de l’insoumission au réac, de la conservation au progressisme, tout se répète, tout bégaie, tout végète ; quel marais ! quelle tourbière !

Ceux qui veulent, pour elle, œuvrer en bien ou en mal, feraient bien de se faire, très vite et très fort, une idée, je veux dire une idée neuve, s’ils veulent seulement avoir vécu dans un corps pour autre chose que pour y finir ; car nous qui avons tout compris, nous nourrissons des monstres à notre image : des résidus cadavériques d’une Histoire qui n’en finit pas de mourir, puisqu’elle ne parvient pas à se tuer – seul le nouveau ferait le geste salubre.

Car vivre ainsi, cela porte un nom en médecine.

Cela s’appelle le cancer.

 

8 Commentaires

  1. Que dire du débat de l’entre-deux-tours sinon, comme disent les maîtres du Talmud, qu’on est toujours rabaissé, lors d’une disputation, au niveau de réflexion de l’interlocuteur le plus bas… Débat intenable donc, à la limite de l’irregardable, dont l’ex-ministre de l’Économie sortira dignement, mais aux allures feydaldiennes de la dignité, comme d’une comédie de boulevard qui ne peut pas être le dernier acte d’une campagne contre la Révolution nationale. Ensuite. Je n’aurai pas la méchanceté de rapprocher les propos d’un proche de Le Drian de ceux d’un islamogauchiste. Nonobstant. Pardonnez-moi si je n’ai pas la bonté de cautionner les poutous que notre prochain Président s’apprête à faire à Mohammed Merah tout en insultant les millions d’immigrés Nouvelle Génération auxquels n’est jamais venue l’idée de se venger de leur piètre condition sociale ou des insultes racistes dont ils faisaient l’objet en se précipitant sur la mauvaise graine occidentale dans l’intention de l’arroser à la Kalach. La responsabilité de d’État français dans la montée en puissance de l’idéologie salafiste est indéniable. Il n’aurait jamais dû lui permettre de s’implanter. Dring. Les meilleures écoles n’empêcheront jamais un Tariq Ramadan de songer à inverser le rapport de force entre l’impérialisme universaliste et le méta-impérialisme sunno-chî’ite.

    • P(aix-e)S(t-ce) : Le Pen se vautre dans le piège des islamistes. Ne nous blottissons pas dans le sien. Mitterrand, à propos de Blum, reconnaissait n’avoir pas eu sa chance quand lui-même avait grandi au sein d’une famille de la petite bourgeoisie de province, médiocrement cultivée, ignorante des grands courants de pensée mondiaux qui traversaient les milieux éclairés de l’entre-deux-guerres. Gageons que sa famille ait été un peu moins que médiocrement cultivée pour que son frère se fût amouraché de la sœur du chef de la Cagoule. Celle-ci s’enracinait dans une culture puissante, une culture n’ayant rien de commun avec celle de la famille Blum, ce qui, reconnaissons-le, ne devait pas être bien commode à assumer pour un résistant qui avait toujours gardé un pied dans la gueule de Vichy.

    • (règ)L(e de l’a)R(t) : L’ascenseur social ne doit pas faire de racisme, ni à l’endroit ni à l’envers. La réussite financière dont il veillera à ce qu’un Français d’origine modeste puisse y accéder, si ce dernier ou cette dernière se trouve pris, à un moment ou un autre de sa vie, dans l’irrésistible tourbillon de la guerre de conquête islamique, eh bien il la mettra, comme d’autres l’ont déjà fait pour l’ordre des Chartreux ou l’Église de l’Unification, entièrement au service de la coranisation s’il oublie de mener, dans chaque bonne intention qui pavera sa carrière dans l’humain, le combat des Lumières contre l’obscurantisme. Ne prenons plus de gants pour parler aux vert-brun, du moins pas davantage qu’avec tout autre ordre fasciste.

  2. Il faudra surtout empêcher l’Azimutée de se présenter comme la candidate rassurante d’un retour aux Trente Glorieuses face au candidat insaisissable d’un projet intangible. Contrairement au temps de chien que les Républicains nous avaient gardé de leur chienne, l’extrême droite ne conservera rien de ce qui fonde en raison un État de droit qu’elle exècre des racines jusqu’à la canopée. Ceux qui, quel que soit le résultat du second tour, campent déjà sur des formes de positions radicales doivent prendre en considération ce point pour le moins crucial. Quand le libéralisme social prôné par EM garantira viscéralement la liberté d’expression, le nationalisme des amis de Vladimir Poutine et Bachar el-Assad n’attendra guère longtemps avant de se doter d’un appareil de répression féroce contre l’opposition. Faisons leur confiance pour savoir profiter de la compulsion à se répandre d’une idéologie qui se sera fait connaître à travers ses objets de répulsion et une façon fièrement vulgaire de toujours accueillir par des projections de vomi Antisthène à Athènes, Philon à Alexandrie, Alcuin à Aix-la-Chapelle, Rubens à Mantoue, Freud à Londres, Césaire à Fort-de-France.

    • P.-S. : J’oublie toujours Louis-Ferdinand et ses basses visées. Qu’il se rassure, je ne suis pas Antisthène. Mais si j’avais l’honneur de l’être, je ne me priverais pas de chasser le lecteur imbécile qui répondrait à mon appel en allant se planter comme une tique dans mon nombril quand il devrait déjà rattraper par la peau du dos ce qui peut être encore sauvé de notre aquoibonisme, rencogné dans ses frustrations.

  3. La dédiabolisation du Front nationaliste doit être réinscrite dans le sillage gaulliste qu’elle a squatté. (Paul)-Marie est à Marine ce que le Buisson gelé fut à Naboléon. Sur quoi chancelle son subterfuge? Sur l’idée que la mondialisation est en contradiction avec le gaullisme, en ce qu’elle met à mal une souveraineté nationale que préserva de toutes ses forces le chef de la France libre, mais aussi, et d’une manière peut-être encore plus exaltée, le fondateur de notre République. Très bien. Sauf que l’héritière de la multinationale de la haine n’a rien d’un De Gaulle en jupons. Car l’homme qui s’est retiré de l’OTAN après avoir doté la France d’une force de dissuasion nucléaire ne serait jamais allé négocier une alliance de substitution à Moscou. C’était frappant lors de la visite officielle au Kremlin de la candidate officieuse de l’empire eurasien. Ce qui intimidait la Française tandis que son presqu’homologue prenait le temps de la serrer à l’intérieur de son double objectif bridé, c’est l’étrangeté de la Russie personnifiée, cette slavité qui la renforçait dans ses celtitudes. Là encore, on est à des milliards d’années-lumière du Grand Charles quand ce denier aurait bien aimé pouvoir fracasser l’écorce culturelle qui le faisait parfois passer pour un olibrius auprès de Ike ou du Vieux Lion. Notre souveraineté ne fera pas long feu après qu’on l’aura jetée dans les bras d’un kagébiste impatient de renfoncer sa grosse paluche d’ours mal léché dans les anciennes républiques soviétiques de l’Ouest. Sans faire de reductio ad Stalinum, Le Pen est à Poutine ce que Staline fut à Hitler. Ce qui les rapproche les distancie. Leur pacte de non-agression en pleine guerre économique mondiale pue le coup de canif à cent kilomètres.

  4. D-A évoque ses grand-père et père, grands patriotes s’étant illustrés au cours de deux guerres mondiales; le premier en tant qu’aviateur au cours de la première; le second, chasseur-alpin pendant la Drôle, puis évadé du stalag tel un certain François Mitterrand, personnalité historique masculine généralement qualifiée de complexe. «De bons Français.» Celui qui se voit déjà succéder à Bernard Cazeneuve à la tête du Gouvernement défend l’honneur de sa lignée face au procès en haute trahison qui lui est intenté. Il ne prononce pas le mot «résistant». Cela nous surprend. Quand on est gaulliste et qu’on a dans son arbre généalogique un Français libre, un Franc-Tireur, un membre de Combat, on ne manque pas de le souligner. Nous en déduisons donc que monsieur Dupont fut un bon Français selon l’acception national-révolutionnaire du terme, et nous lui refusons le titre de Compagnon que la perfide progéniture de Polyphème octroie aux membres de Debout la France. Le jour de ses funérailles, le chef de la France libre n’accepta autour de son propre cercueil aucun petit ou grand de ce monde qui n’aurait pu y arborer une croix de la Libération. Macron ne vole pas le vocabulaire du FN, c’est le FN qui enfile celui de ses ennemis comme le tueur psychopathe du Silence des agneaux dépeçait ses victimes pour se confectionner un manteau mutationnaire. Macron reprend un dû afin de pouvoir le restituer à qui de droit. Il interdit aux négationnistes d’opérer une permutation entre l’histoire des bourreaux et celle des martyrs. Il prive les corrupteurs de l’Histoire de toute possibilité de requalifier leurs méfaits en hauts faits.