D’une manière générale, l’habit fait le moine et c’est particulièrement vrai en politique. Être, c’est se montrer et l’habit veut dire, l’habit parle.

Quelques mots sur le débat de mardi dernier, sur Poutou, vainqueur non-officiel, à en croire les Inrocks et la presse étrangère, de cette confrontation, et sur Mélenchon qui depuis ne cesse de progresser dans les intentions de vote.

Dans le cas du premier, j’ai apprécié comme chacun qu’il dise son fait à Marine Le Pen et à François Fillon sans s’embarrasser des détours et fourberies des autres candidats. Je crois important que la voix de ce qu’il reste de la classe ouvrière se fasse entendre dans notre pays, une voix qui ne s’épuise pas en petites phrases, en blablagues de politiciens ringards, en tours emberlificotés qui ne veulent foncièrement rien dire. Mais voilà, je ne fais pas acception de personne et ces autres mots me restent en travers de la gorge : «Il y a une société qui est profondément injuste et barbare, affirmait Poutou lorsque Merah commettait ses crimes, et il faut bien comprendre que toute l’oppression des peuples à l’échelle de la planète, le rôle de l’impérialisme, le pillage des peuples etc., même en France, le fait qu’il y ait plus de pauvreté, plus de chômage, le fait qu’il y a des parties de la population qui soient stigmatisées, tout contribue à ça.» Certaines bonnes âmes degôche pensent qu’un ouvrier ne saurait se voir reprocher ce genre de sottises ; normal : ces gens ne connaissent pas d’ouvriers d’une part, ils partagent au fond l’idée que Merah était un humilié d’autre part. Pour moi, je n’oublie pas que c’est une ouvrière analphabète – ce que n’est pas Poutou – et à l’âme noble – ce qui, rendons-nous à l’évidence, n’est pas non plus son cas – qui pendant la guerre sauva ma famille des Merah de l’époque. La justice consistant en l’espèce à traiter tout le monde avec équité, je me vois forcé de dire que le jour où il a prononcé ces mots, Poutou, ouvrier ou pas, fut un imbécile et un salaud.

Mais Poutou, c’est aussi un t-shirt exhibé aux côtés de dix (plus ou moins) impeccables costumes, et ce fut là, à croire les mêmes bonnes âmes, son premier acte d’héroïsme. Et pourtant il ne faut vraiment rien, mais rien connaître à la culture ouvrière pour penser qu’une telle désinvolture serait l’attribut de cette classe, et que les ouvriers apprécient de voir l’un des leurs les défendre ainsi vêtu face aux puissants de ce monde. Jusqu’à une époque récente, ils manifestaient d’ailleurs en «habit du dimanche» et ça n’était pas pour rien : on était loin des «Motivés», des saucisses nauséabondes, des «sangrias de l’amitié» et des dreadlocks des manifs actuelles. Hégémonie culturelle, répondra l’intellectuel munichois Salingue («Vos guerres, nos morts»), l’un des idéologues du NPA. Légitime souci d’élégance plutôt, c’est-à-dire aussi orgueil de ce que l’on est : je parle d’un temps où le bleu de travail était également objet de fierté. Seulement voilà, l’ouvrier ne réclamait pas que du «pognon», il voulait, pour lui et pour ses enfants, un peu de cette beauté qui nous est vitale et pour laquelle aussi il réclamait justement un meilleur salaire. Les pull-overs assortis des faubourgs que Blum évoqua au procès de Riom…

Dans notre monde si laid, l’élégance nous préserve, je crois, une part de rêve, d’idéal, d’irréalité. Il n’est d’ailleurs pas besoin de costumes à quinze mille euros pour cela, et s’il m’est permis de donner un exemple familier à beaucoup de Parisiens, les «sapeurs» zaïrois le savent bien, eux qui défiaient Mobutu en arborant la cravate que dans sa folie le tyran leur avait interdite : je ne sache pas que ces dandys des temps modernes soient des privilégiés ou d’affreux mâles blancs.

Il y a aussi que dans notre société, certaines conventions vestimentaires sont la manière dont celui qui appartient à l’élite l’exprime : comme tout signe, ceux-là sont arbitraires mais de même qu’on ne va pas réinventer les mots de la langue, on ne va pas réinventer les signes de la vie sociale. Ce que je dis reste valable des ouvriers qui manifestaient endimanchés et se voyaient comme une avant-garde militante, comme des professeurs qui n’eussent pas imaginé franchir le seuil de l’université ou du lycée sans cravate. Pour ces derniers, la fin de ce genre d’usage en dit long sur leur situation et sur le regard qu’ils ont désormais d’eux-mêmes.

Quant au politicien, montrer au passage que les gens qu’il représente ont autant que n’importe qui vocation à constituer l’élite, tel est le but qu’il se donne lorsqu’il «s’habille bien». L’habile est celui qui prend son parti de signes qu’il n’a pas inventés et sauf à nier le substrat de tous les engagements, se concentre justement sur l’essentiel : Diogène tout nu en son tonneau fait sans doute un bon trublion mais un mauvais homme d’Etat. Prenez Jean Lassalle : apparemment l’on a le droit de le moquer sans être soupçonné de mépris de classe, il gardait pourtant les moutons avant de se lancer en politique et, député de la nation, il porte aujourd’hui costume et cravate : je ne m’aveugle pas sur les positions aberrantes de cet homme – son soutien à Assad notamment, sa complaisance pour l’extrême-droite – mais, voyez-vous, elles ne me font pas plus mépriser son origine que celle du réparateur de machines-outils et syndicaliste Philippe Poutou. Or force est de reconnaître qu’il ne cherche pas par sa tenue à signifier une appartenance fake au peuple.

Les derniers événements de Syrie ont rappelé une fois pour toutes le danger que constituent Mélenchon et Le Pen. Houellebecq ayant fait dans Soumission un sort remarquable au look de la seconde, j’y renvoie mon lecteur et c’est sur le premier que je veux conclure mon propos.

Le candidat-de-la-vraie-gauche ne se sépare plus depuis plusieurs mois, vous l’aurez sans doute remarqué, d’une manière de redingote étrange. Cette chose fort laide signifie à plein nez. L’austérité d’abord : noire car on n’est surtout pas frivole dans le camp du bien, et puis ces poches aussi, car c’est bien pratique, n’est-ce pas, et que voilà une manière de dire qu’on n’est pas un dandy, qu’on ne se fie pas aux prestiges de l’apparence, que l’on s’habille pour se couvrir et non pour s’exhiber. Ce faisant, on le fait pourtant plus que n’importe qui.

Mélenchon ressemble ainsi, et il en est bien conscient, au chef d’une dictature militaro-populiste. La cravate aussi, qu’il porte quand même au-dessous, pour bien désigner son appartenance au clan des gens sérieux : contrairement à Poutou, Mélenchon ne désespère pas, lui, de convaincre les classes populaires. Je ne peux m’empêcher, considérant tout ce qu’il désigne ainsi, de songer aux complaisances de cet homme envers les pires crapules du moment.

Répondant à Montaigne qui au Livre I des Essais, dans De l’inégalité qui est entre nous, affirme du vêtement et autres superfluités que «tout cela est autour» de l’homme, «non en lui», Pascal tient que «cet habit, c’est une force». L’habit désigne le rang et le rang n’est pas rien. S’il s’agit de dire qu’il n’ôte ni n’ajoute rien à la vertu intrinsèque de celui qui le porte, qui contestera que c’est Montaigne qui a raison ? «Aussi l’empereur, duquel la pompe vous éblouit en public, écrit celui-ci, voyez-le derrière le rideau, ce n’est rien qu’un homme commun, et à l’aventure plus vil que le moindre de ses sujets.» Et d’ajouter, avec son naturalisme de cynique : «La fièvre, la migraine et la goutte l’épargnent-elles non plus que nous ? Quand la vieillesse lui sera sur les épaules, les archers de sa garde l’en déchargeront-ils ? Quand la frayeur de la mort le transira, se rassurera-t-il par l’assistance des gentilshommes de sa chambre ? Quand il sera en jalousie et caprice, nos bonnetades le remettront-elles ? Ce ciel de lit tout enflé d’or et de perles, n’a aucune vertu à rapaiser les tranchées d’une verte colique…» Les costumes d’Emmanuel Macron n’ajoutent rien à sa vertu et ne l’empêchent certes pas de déféquer autant que Philippe Poutou, mais ils disent qui il est ou qui il veut être comme le lit d’or et de perles disait qui l’empereur était : un homme d’Etat. Si la redingote de Mélenchon dit aussi qui il voudrait être – et c’est plutôt inquiétant –, le t-shirt de Poutou signifie au mieux que, outsider à ses propres yeux, les signes de la politique ne le regardent pas, au pire que rejetant les codes de l’élite (ouvrière aussi bien qu’intellectuelle ou républicaine), il lui préfère un laisser-aller dont le nihilisme a peut-être fort à voir avec sa complaisance envers les «humiliés» de ce monde.