« Attends-moi, ti-gars
Tu vas tomber si j’suis pas là
Le plaisir de l’un
C’est d’voir l’autre se casser l’cou »
Félix Leclerc

Cours de mes pensées

Mercredi 22 mars à 19h 13, alerte du Monde : « Affaire Fillon : l’enquête élargie à des faits d’escroquerie aggravée, de faux et d’usage de faux. » Première émergence mentale : « Rien ne lui aura été épargné. » Puis, image du Christ aux offenses. Corinthiens : « Le Seigneur vous a pardonné, faites de même à votre tour. » Le supplice de Mâtho chez Flaubert. Salammbô Barca plus (censuré) que Penelope Fillon. Marie-Antoinette putain respectueuse ou insoumise ? Le passage de Burke sur la merveilleuse reine de France. Son portrait en majesté peint par qui donc ? La fonction de la robe de la petite princesse dans Les Ménines selon Lacan… (censuré).

Philippe Sollers

Philippe m’appelait peu auparavant : « Je ne cesse de vous re-aimer », me dit-il en s’esclaffant. Donc, il lit ou au moins regarde Mediapart et/ou Lacan Quotidien. Il lâche quelques paroles hachées, juste de quoi me faire comprendre son peu de sympathie pour Macron. Oui, je le supposais. Hamon à gauche et à droite Fillon restent les favoris de l’Église. Comment celle-ci traverserait-elle indemne les siècles et les siècles des siècles si elle devait sélectionner ses relais dans la classe politique en fonction de la pureté de leurs mœurs ? Berlusconi a joui de bout en bout de l’appui du Vatican. C’est dans l’ordre. De même le soutien des évangélistes américains à Trump s’est montré indéfectible jusqu’ici. Normal. Cependant, que se passe-t-il à Rome ces jours-ci ?

La déposition du pape !

J’apprends aujourd’hui par les LifeSaveNews que « Canon lawyers, theologians, and scholars will be meeting in Paris in two weeks to discuss a topic that has never been the focus of a Catholic conference before: How to depose a heretical pope. » Une brochure en français est déjà parue. Le colloque, qui se tiendra les 30 et 31 mars à Sceaux, dans les locaux de la faculté Jean-Monnet, sera ouvert par un professeur à l’Université de Paris-Sud, M. Laurent Fonbaustier, auteur d’un livre de 1200 pages intitulé La déposition du pape hérétique. Parmi les orateurs annoncés, les professeurs Nicolas Warembourg et Cyrille Dounot, qui comptent parmi les quarante-cinq universitaires ayant réclamé en juin dernier au doyen du Collège des Cardinaux à Rome la condamnation des propositions qu’ils jugent erronées, voire hérétiques, dans l’exhortation apostolique du pape François, Amoris laetitia. C’est en somme l’histoire des Caves du Vatican qui menace de recommencer. Je parlais justement de « l’acte gratuit » samedi dernier, à l’Institut de l’Enfant, au sujet de la violence infantile. Le programme complet du colloque est sur le site Portail universitaire du droit.

Que dira Eugénie ?

Philippe, êtes-vous au courant ? Que faut-il penser ? Est-ce un schisme qui se fomente ? Faut-il en parler ou mettre l’embargo sur le truc ? Y a-t-il une consigne comme quoi on la boucle ? Je note que ce Fonbaustier n’est pas référencé dans Wikipédia, et que son livre est indisponible chez Amazon. Il suffit d’un mot de vous pour que je passe au mode « motus et bouche cousue. » Antonio — mon ami Antonio Di Ciaccia, psychanalyste à Rome — que pouvez-vous nous confier ? Catherine LP, croyez-vous que votre ami le Cardinal voudra vous dire quelque chose ? Et accessoirement nous donner son sentiment sur les dernières révélations de Mediapart ? Je ne crois pas avoir rien vu nulle part sur le projet de déposition du pape, ni dans La Croix, ni dans les tweets de Madeleine de Jessey, de Sens Commun, ni dans ceux d’Eugénie Bastié, du Figaro. Je suis curieux de savoir comment cette jeune journaliste toujours si spirituelle et mordante traitera la question. Le Monde et Le Figaro ont bien dû en faire état, mais cela m’aura échappé. Devrons-nous, une fois conclue notre campagne anti-Le Pen, scander dans les rues : « Libérez notre pape François ! » ? C’est pour le coup qu’on nous dirait que nous nous mêlons de ce qui ne nous regarde pas.

La meute médiapartienne

Voici maintenant que, pour ne rien arranger, Mediapart sortait hier une nouvelle affaire de pédophilie ecclésiastique massive. Je comprends qu’aille croissante l’exaspération de certains envers les investigations des enquêteurs formés à l’école de mon ami Edwy Plenel, qui écument la société française comme autant d’Incorruptibles. Le mot ne se réfère pas tant ici à Robespierre qu’à la série américaine des années 1960 qui romançait la lutte du FBI contre la Mafia dans les années 1930 — jusqu’à ce qu’on apprenne d’ailleurs la complicité souterraine qui liait Edgar J. Hoover, et aussi la CIA, à ladite Mafia. Je n’objecte pas aux adversaires de Mediapart (parmi lesquels je compte plusieurs proches) — personnages souvent notoires qui sont en cheville avec diverses puissances, diverses institutions et appartiennent à telle ou telle de nos coteries parisiennes — qu’ils sont surtout motivés par la menace que fait peser sur leur réputation et celle de leurs amis la meute médiapartienne. Je leur ferai par principe le crédit de croire que leur hostilité à l’endroit du journalisme dit d’investigation a des raisons plus avouables. Quelle est mon argumentation à moi ?

La Schadenfreude

1) Il est certain qu’un professionnel vivant de la révélation et de la mise au pilori d’abus secrets peut être lui-même tenté d’abuser de sa position pour favoriser, épargner, voire faire chanter à la Topaze ses ennemis et ses amis. 2) Nous nous trouvons ici devant une nouvelle édition du paradoxe qu’exprime la célèbre locution empruntée à Juvénal, Quis custodiet ipsos custodes ? Les journalistes d’investigation s’autoproclament les gardiens de la moralité publique, mais qui nous assure de la leur ? 3) Il est inévitable que ceux que les Américains appellent des muckrackers, des fouille-merde, soient soupçonnés d’être animés du désir de nuire à autrui et de répandre dans le public la Schadenfreude, la joie mauvaise que l’on éprouve au spectacle du malheur d’autrui. 4) À ce propos, la notice de Wikipédia souligne très bien que ladite Schadenfreude s’apparente au sadisme, mais qu’elle s’en différencie, puisqu’elle est passive. J’ajoute qu’un sadisme est bien mis en jeu dans cette affaire, pour autant que cette perversion est facilement imputée à ceux qui provoquent et exploitent la Schadenfreude du public.

Le désir du Muckracker

5) Il est fatal que les critiques en viennent à se déplacer du plan de la jouissance à celui du désir : à jouissance maligne, désir cruel. 6) Or, l’imputation de cruauté est de nos jours inconditionnellement infamante. 7) Cela s’explique, selon l’éminent philosophe progressiste américain Richard Rorty, tenant d’un pragmatisme modifié sous l’influence de Derrida, par ceci, que tout ce qui reste, après déconstruction, des croyances morales fondées sur une bipartition du bien et du mal tenus pour absolus, c’est la proscription absolue de la cruauté. 8) Quoi qu’il en soit de la validité de cet argument, c’est un fait que ceux qui se gendarment contre l’action des muckrackers mettent toujours peu ou prou en cause leur moralité et la nature profonde de leur désir. Voici maintenant en deux mots quelle est ma position sur ce sujet et quelques autres qui lui sont connexes.

 

Thèses du désir décidé

A) Le choix originaire

Les spéculations sur l’excellence comme sur la noirceur d’un désir sont hors de propos, font sourire un lacanien. Il n’y a pas de désir pur. La cause d’un désir est toujours, sous diverses modalités, de la nature du déchet. Désir du saint, dont Lacan disait qu’il décharite, verbe-valise fait des mots « charité » et « déchet ». Aussi bien désir du Dante pour Béatrice Portinari. Aucune raison de supposer que le désir d’Edwy Plenel serait dégueulasse tandis que celui d’Alain Finkielkraut, par exemple, serait louable, voire sublime. Ou le contraire. Un homme puissant peut être un gentilhomme et un journaliste une canaille, ou le contraire. Les catégories du gentilhomme et de la canaille, comme celles du fool et du knave, sont pour un lacanien conséquent parfaitement recevables dans l’éthique de la psychanalyse (je pourrais développer). Voyez comme Sartre fait lui-même une différence entre « être un salaud » et « être un type bien », et ce, en fonction d’un choix dit originaire dont la notion ne saurait être récusée par un analyste. D’ailleurs, avant Sartre, Freud parlait de « choix de la névrose », Neurosenwahl.

B) Les races d’hommes 

Il n’y a aucune chance que l’on trouve jamais, dans un régime de démocratie libérale, l’équilibre qu’il faudrait entre les hommes de pouvoir, les hommes d’argent, les hommes de plume, les hommes de labeur (les travailleurs). Ce sont là des races, pour le dire ainsi, dont les intérêts seront à jamais en tension. Il s’ensuit en particulier que la profession, le métier de gouverner (Regieren) est, au sens strict, frappée d’impossibilité. L’inspiration que reçut Lacan de l’argumentation de Freud sur ce point dans sa préface à Jeunesse à l’abandon d’Aichhorn comme dans son article « Analyse finie et analyse infinie », 1925 et 1937, le conduisit à structurer un « discours du Maître », siège d’une contradiction inéliminable (là aussi, je pourrais développer).

C) Wunsch versus Wirklichkeit

Il est permis aux citoyens d’une démocratie libérale, de souhaiter, au sens du Wunsch, d’abattre les hommes de pouvoir, de dépouiller les hommes d’argent, de museler les hommes de plume et de parole ou d’émanciper les hommes de labeur, voire, au contraire, de les réduire en servage ou en esclavage. Réaliser pour de bon, effectivement, wirksam, ces diverses aspirations ou d’autres du même tonneau, c’est une autre paire de manches.

D) « Donner un sens plus pur aux mots de la tribu »

Ce qui mérite de s’appeler chez nous aujourd’hui une « Révolution », si l’on s’exprime conformément au sens du mot et à son histoire, c’est la sortie de la matrice déterminant, régissant et contraignant l’existence d’une démocratie libérale.

E) Le pur semblant 

Au regard de ce dont il s’agit ici, les projets politiques de Jean-Louis Mélenchon, d’une « Révolution citoyenne » débouchant sur une « sixième République », projets qui ont rassemblé il y a trois jours, sur la place de la Bastille à Paris, une foule enthousiaste estimée à 130 000 personnes — comme aussi bien les propositions si subtiles des divers théoriciens contemporains de l’émancipation, dont certains se recommandent de Lacan, qu’il s’agisse d’Antonio Negri, Ernesto Laclau et Chantal Mouffe, Judith Butler, Jacques Rancière, Alain Badiou, Étienne Balibar, mon élève et ami Jorge Alemàn, Argentin de Madrid, et d’autres — je les tiens pour être, je regrette d’avoir à le dire, d’une portée de pur semblant.

F) Mao et Lacan 

L’histoire est là pour en témoigner à qui la lit avec la longue-vue de Lacan, mais peut-être aussi avec la loupe de Mao. Et ce, qu’il s’agisse de régimes issus de Révolutions populaires, dans toute leur diversité, ou de ceux auxquels une « Révolution conservatrice » au sens weimarien a donné naissance.

G) L’espoir 

Dans un cas comme dans l’autre, les contradictions qui sont celles qui se déprennent de la structure de la démocratie libérale disparaissent sans doute, mais c’est pour être remplacées par d’autres, propres aux régimes issus du « désir de Révolution ». Nulle émergence d’un « homme total », voire d’un « paradis », comme on disait jadis, ne se dessine à l’horizon d’une Révolution, sinon dans l’imaginaire, aucune harmonie, aucune satisfaction comblant le désir, nul « rapport sexuel » qui consentirait enfin à s’écrire. Aucune société disciplinaire, homogène et identitaire, ni non plus aucune société de démocratie globale, sociale et inclusive, ne verra le jour, ou du moins ne sera durable.

H) « Le désir de révolution »

Ce désir manque encore d’une définition proprement clinique qui fasse consensus ou autorité. Une élaboration éventuelle ne saurait à mon avis faire l’impasse sur les contributions, entre beaucoup d’autres, de Paul-Laurent Assoun, Daniel Bensaïd, Fethi Benslama, Michel Clouscard, Andrée Ferretti, Pierre Goldman, Leslie Kaplan (mon attention a été attirée sur celle-ci par une notice de Mediapart parue l’an dernier), Gérard Pommier, Simon Sebag Montefiore (Young Stalin) et Nadejda Tolokonnikova. Je n’oublie pas le best-seller déjà ancien de mes amis de la Gauche prolétarienne, Christian Jambet et Guy Lardreau, L’Ange, qui n’eut pas l’heur de plaire à Lacan, et en premier lieu le livre regretté Jean-Paul Dollé, camarade de fac de Judith Miller, Le désir de révolution : « Faire la révolution, c’est réaliser le bonheur, faire que chacun puisse dire je. » Parmi les témoignages politiques, celui de Trotsky, Ma vie, est admirable. Mais c’est un grand écrivain, Dostoïevski, qui domine toujours de très haut la question avec Les Démons (traduit aussi Les Possédés). Enfin, une phrase de Lacan a beaucoup compté pour moi, extraite de mon entretien télévisé avec lui en 1973 : « Sachez seulement que j’ai vu l’espérance, ce qu’on appelle : les lendemains qui chantent, mener des gens que j’estimais autant que je vous estime, au suicide tout simplement. » Ceci se lit dans les Autres écrits, page 542.

I) « Désespérons Billancourt ! »

Qu’on stigmatise la noirceur de mes thèses de ce jour, qu’on l’assigne sans médiation à mon intérêt de classe de bourgeois, qu’on me dénonce comme faisant le travail nocif d’un endormeur du Wunsch révolutionnaire, d’un qui ne pense qu’à « désespérer Billancourt », tel l’escroc mis en scène par Sartre dans son Nekrassov, ou qu’on me reproche à l’inverse de laisser paraître entre les lignes une sympathie infantile envers des fariboles, n’importe pas.

J) « La pureté dangereuse  »

Gramsci lui aussi avait un frère, Carlo. Il l’aimait. Il lui écrivit de sa prison : « Je suis pessimiste avec l’intelligence, mais optimiste par la volonté. » Phrase qui est du patrimoine commun à toutes les gauches dans toute l’étendue et la complexité de leurs contradictions. Mon vieux maître Althusser trouvait peut-être cette formule « pure comme l’aube », comme il disait joliment de telle phrase de son goût. Mais l’idéal de pureté est interdit à l’analyste (voir plus haut). Et puis, qui ne sait par ailleurs à quelles extrémités peut être porté, pour peu qu’il soit dément, un sujet qui se montrait trop fasciné par la pureté des premières blancheurs aurorales ?

K) Répression et idéologie 

La volonté, ce n’est pas un vain mot. Il a un sens en psychanalyse. Il est, pour un lacanien, synonyme de « désir décidé ». Il me semble que les élèves de Lacan, du moins la plupart de ceux qui sont réunis dans l’École de la Cause freudienne, en donnent un exemple ces jours-ci, à l’occasion de la campagne nationale qui commence pour alerter les psys, et tout le monde avec eux, quant aux conséquences proprement désastreuses qu’aurait le fait de se résigner peu ou prou à ce que Marine Le Pen et son parti conquièrent par les urnes la présidence de la République, et s’emparent des leviers de commande des appareils répressifs et des appareils idéologiques d’État, selon la terminologie d’Althusser.

L) Les lâchetés morales 

Lacan a aussi voulu donner un sens psychanalytique à la notion de lâcheté morale.

À suivre

Paris, 22-24 mars 2017

 

Post-scriptum

Jeudi 23 mars à 23h 55. Mon correspondant américain de Paris, M. Francis Donovan, m’apprend par mail que le livre du Pr Fonbaustier est disponible chez son éditeur, Marc et Martin.

Vendredi 24 mars à 19h 56. Mon élève et amie A. m’adresse un texto avec l’image de la couverture du magazine Closer, qui va sortir. Le bandeau supérieur porte, avec la photo de François Fillon, une phrase entre guillemets : « Au lycée, on le surnommait Choupette. » Rien décidemment ne lui aura été épargné.

De ce vendredi à 20h xx. Alerte du New York Times : « Major Setback for Trump in First Big Legislative Clash. »

Du même vendredi encore. J’ai écrit ce texte pour mon blog de Mediapart, où je l’ai moi-même inséré jeudi à 2h du matin. La rédaction l’a placé aujourd’hui vendredi sur la page d’accueil. Après l’avoir amendé, je l’ai adressé à 21h à la rédaction de La Règle du Jeu et à celle de Lacan Quotidien. Il se peut que j’apporte ultérieurement quelques références. 22h45.

Un commentaire

  1. Les frondeurs se sont illustrés par le courage qui les poussa, sur fond de dette européenne, à quitter le navire gouvernemental dans l’œil du cyclone Vlad. Le cannibale avait trahi sa promesse, un siphon rouge gros comme une maison bleue chouinant le choc frontal avec le monde de la finance. Et ce n’est pas moi qui me le rappelle, mais le numéro deux du Premier ministre de l’ex-président du FMI, cette fille-de qui, allergique au renoncement, avait mis le travail — alors valeur de droite — au cœur du projet socialiste.
    L’homme à la bouche scotchée a incarné le tournant dit droitier du hollandisme. Or il aura fallu qu’il se décide à libérer du poids de sa présence le Parti départi pour que ceux qui l’avaient toujours considéré comme un étranger parmi eux prennent conscience de la vraie nature des sentiments qu’ils ressentaient à son égard. Ce manque atroce, il n’y a qu’un amoureux pour le faire éprouver au moment fatidique où il vous largue pour de bon.
    Un tantinet moins romantique, Mélenchon avait posé ses conditions pour le ralliement hologrammatique. Pas de réconciliation possible avant la décapitation du flic de Matignon. Valls leur facilitera la tâche en s’autodécollant du Tronc de gauche. Bien, dira 15-Pourcent. Mais pourquoi me faudrait-il cracher contre le vent que j’ai en poupe avec pour seule gratification d’avoir combattu sous la bannière d’une banane?
    Un peu plus loin, les pions du kagébiste n’auront pas de mots assez verts pour décrire le sentiment d’écœurement que leur inspirera l’effondrement d’un PS dont ils s’enorgueillissaient par avance de causer l’écroulement. Quant au Parti progressiste, il désavouera toute espèce de filiation qu’établirait le Parti conservateur entre son reflet d’Emmanuél et le chef de l’État transcourants.
    De cette campagne des Seconds frappée de spasmes revanchards, ma mémoire sélective ne conservera probablement qu’une larme de vérité versée, un jeudi soir, devant cette parodie de bando republicano farci à l’Opus Dei. Poussière de rage passant pour un pic d’insensibilité auprès des marchands de cœurs, l’alarme de Christine Angot causera un premier dérapage en direct chez ce passionné de Formule 1 pourtant difficile à déconcentrer depuis le début de la course à la présidentielle, quand ce dernier s’avérera incapable de faire la différence entre l’argumentaire calibré d’un opposant politique et la parole immensurable d’une artiste. Quelque part entre Trahisons de Pinter et Le charme discret de la bourgeoisie de Buñuel, le prétendant au trône de France est nu, intromis à la question dans le lit conjugal. Et là… big mistake. Il ne profite pas de cet instant de gracieuse âpreté pour tout avouer à celle qui, de son côté, lui balance tout ce qu’elle a sur le cœur. Absolument tout. Elle lui confie qu’en cas de second tour LR/FN, elle regrettera de ne pas pouvoir, à cause de l’incertitude planant désormais sur son honnêteté, voter pour les Républicains. Rien n’y fait. Il continue de prendre l’héroïne pour une idéologue, une fauteuse de troubles, une ennemie.
    Les politiques se montrent souvent impuissants à embrasser la polysémie du peuple dont ils sont censés être les représentants. L’art s’emploie à retenir la langue du monde en sorte que ce dernier ne l’avale pas dans son sommeil. Pour rien au monde vous ne confieriez les rênes du pouvoir aux artistes? Merci pour eux, mais soyez sûrs qu’ils se montreront chaque fois plus récalcitrants à brosser le prince qui s’obstinerait à les traiter comme de vulgaires valets.