« Mettez enfin que je n’ai rien dit »

Jean Paulhan

Le vote utile est devenu anathème à gauche. Au Parti socialiste, dans la France insoumise, on le vomit de concert. Pourquoi ? Parce que le vote pour Hamon et le vote pour Mélenchon sont désormais tenus par une partie non négligeable de leur électorat potentiel pour des votes inutiles. Inutiles à quoi ? Réponse : à barrer la route de l’Elysée à Le Pen.

Il s’ensuit que ni Hamon ni Mélenchon ne sauraient admettre que l’enjeu de l’élection soit en définitive la victoire ou la défaite de la cheffe du FN. Que tout le monde le sache, l’univers entier, ne leur importe pas. L’avouer serait pour eux se saborder. Ils parleront de tout sauf de l’élection très possible de Marine Le Pen, question qui est pour eux ce que l’on désigne en anglais comme the elephant in the room. Tant que le fait gênant ne sera pas dit, tant qu’ils ne l’auront pas reconnu, ils continueront de cavaler impunément au-dessus du gouffre qui s’ouvre sous leurs pieds.

L’heure de vérité

Une telle situation est souvent mise en scène dans les dessins animés. Elle illustre une morale bien précise, à savoir que les bienfaits de la méconnaissance sont toujours transitoires, voire éphémères. A y bien réfléchir, on s’aperçoit en définitive que le ressort de la dialectique freudienne de l’Anerkennung n’est pas foncièrement différent. J’amortirai les couleurs flamboyantes du raisonnement de Freud afin de le faire admettre, de le rendre justement anerkannt (reçu, admis) par des personnes dont je supposerai qu’elles ont peu ou pas lu et médité le maître de Vienne avec celui de Paris (Lacan).

Disons par approximation qu’une idée non reconnue est comme non advenue. Sa négation s’effectue selon des modalités diverses. L’idée incommode est déniée, ou démentie, voire carrément forclose. Il y a Verneinun, ou Verleugnung ou encore Verwerfung. Maintenant, si l’on veut bien admettre que ni Hamon ni Mélenchon n’ont démontré au public, tout au contraire, qu’ils méritaient d’être qualifiés de pervers ou de psychotique (Encore heureux ! s’indigne le chœur), on doit en conclure que la négation de l’évidence est chez eux plutôt du registre de la dénégation.

Ce dont il s’agit, ils le savent parfaitement — ils l’ont admis au sens de la Bejahung, (affirmation), qui comporte un certain degré d’Anerkennung (reconnaissance)mais ne veulent pas le savoir, afin de ne pas perdre, avec la satisfaction que leur apporte leur rêve éveillé, les électeurs auxquels ils ont su avec art faire partager ce rêve. Certes, c’est parfois une force que de ne pas vouloir savoir ce que l’on sait, quand ce savoir inhiberait l’action. Mais on s’expose à tomber de son haut.

L’heure de vérité est d’ores et déjà connue. Elle sonnera très précisément au moment où arriveront les résultats du premier tour, le 23 avril prochain, peu après 20 heures. La France, à l’exception de quelques dandys, des communautés contemplatives de moines et moniales de l’Eglise catholique, et d’une masse indéterminée d’ahuris, sera devant ses écrans ou à l’écoute des radios.

Si, par hypothèse, sous l’effet de l’inéluctable idéologie dominante, renforcée de l’appoint inopiné de propagandistes à la manque de mon genre, Hamon et Mélenchon n’étaient pas au second tour, pousseront-ils leurs partisans à persévérer dans la dénégation en refusant de voter pour l’adversaire de Le Pen ? Dans ce cas, on peut leur faire confiance, les bonnes raisons ne leur manqueront pas. Ou bien donneront-ils une consigne en sens contraire, fût-ce du bout des lèvres ? Mais seront-ils suivis ? Ou bien leurs électeurs, dopés à la dénégation depuis de longs mois, parfois des années, et devenus accros à l’illusion lyrique, jugeront-ils qu’ils sont embarqués, et laisseront-ils le navire courir sur son erre ?

Reconnaissons que le spectacle qui nous est donné est tous les jours plus passionnant à suivre. Si le sort du pays n’était dans la balance, et son malheur, on applaudirait de bon cœur à la dramaturgie de cet extraordinaire jeu de dupes et non-dupes, véritable thriller électoral dont le suspens a quelque chose de ce si beau film d’épouvante où les oiseaux figurent les ennemis du genre humain, et s’assemblent toujours plus nombreux pour lui faire la peau.

Les non-dupes errent

Il suffit de parcourir le fil des commentaires consacrés sur le Club Mediapart à l’Appel des psychanalystes par les aficionados de ce journal — controversé, mais très utile, selon moi, à la démocratie — pour voir le discrédit, la désuétude, voire la consomption, où est tombée l’antique notion de Front républicain, non seulement à droite, où sa récusation est une politique voulue et assumée dès longtemps, mais maintenant dans la gauche aussi.

Nota bene : un bémol. On se souviendra que, lors des dernières élections régionales, et sur l’injonction de la direction socialiste, un Front républicain improvisé réussit in extremis à faucher en plein vol la cavalcade triomphale de la Valkyrie à deux têtes, Marine et Marion, au nord et au sud du pays. Ce fut au prix de faire élire deux dirigeants de cette droite qu’on appelle républicaine, et qui l’est manifestement de moins en moins. Mais l’épisode paraît déjà lointain.

Au Club, la notion de « Votutile », comme nous l’écrivons parfois entre nous, est exécrée, et au second tour pas moins qu’au premier. Ce n’est pas seulement que l’on préfère au tour initial voter selon sa conviction plutôt que voter par calcul, mais on pousse l’amour de sa conviction jusqu’à lui sacrifier au tour final toute idée de défense républicaine.

C’est ainsi qu’un clubman érudit signant du nom de HervéHervé me houspille : « Ne demandez plus aux sans-dents de sauver les riches ! » (je l’ai renvoyé au livre Pourquoi les pauvres votent à droite). De son côté, une électrice qui n’avait jamais voté blanc de sa vie se jure de le faire en mai prochain si elle ne trouve plus au second tour un homme innocent d’avoir « grassement nourri le problème. » Elle justifie son changement de pied en ces termes : « Chat échaudé craint les marchés de dupes, ceux qui, précisément, conduisent au pire. »

Le même désir prévalent de n’être pas dupe s’exprime chez la psychanalyste en formation et à la plume agile dont j’ai naguère cité la phrase : « Pour ma part, je préfère être vaincue que dupe. » Ainsi la formule énigmatique de Lacan, « les non-dupes errent », trouve-t-elle ici une illustration exemplaire.

On se jure de faire l’impasse sur le second tour : « Entre un Macron et une Le Pen, je préfère m’abstenir. Fini le vote “contre”, je vote “pour” et uniquement “pour”, donc seulement au premier tour. » On est persuadé que le vote supposé utile sert en fait le statu quo : « Si cette pétition est un appel déguisé au “vote utile”, ne comptez pas sur moi. Y en a marre de ces gens qui veulent nous culpabiliser. Le FN est l’alibi pour que rien ne change. »

Dans ce contexte où foisonnent les revirements énervés, sans doute était-il inévitable que ma position finisse par être ainsi diffamée : « Notre démocratie est malade. JAM, avec son vote utile, se propose de l’achever avant que la Le Pen ne s’en charge. »

Une indicible jouissance

Cependant, j’ai gardé pour la bonne bouche le propos le plus provocant, sinon provocateur. C’est celui d’un camarade du Club qui, lui, m’a à la bonne la plupart du temps. Voici la chose. Elle tient en une phrase : « L’élection de Marine Le Pen à la présidence de la République au soir du premier tour me procurerait une jouissance indicible. » C’est énorme.

Le canular est possible. Cependant, il arrive qu’un canular soit la seule voie par laquelle une pensée inconsciente impossible à reconnaître, au sens freudien, parvient à se frayer un chemin vers le verbe, la mise en mots. Donc, canular ou pas, peu importe. Ce qui compte est que cela ait été et imaginé et verbalisé. Je vois dans l’énoncé singulièrement culotté de mon partenaire du Club l’aveu sensationnel de la vérité la plus cachée dans toute cette affaire. Autour de cette pensée la plus incongrue de toutes semble bien graviter la série hasardeuse des bavardages inexorables dont, ces jours-ci, on s’étourdit à gauche et au plus profond de la gauche de la gauche.

Mais oui, bien sûr ! Comme tout cela s’ordonne tout à coup ! Ces aigreurs, ces jérémiades, ces reniements, ces injures, ces diatribes, ces oukases et ces proscriptions. Ces malédictions jetées sur le monde avec une verve gnostique au nom de « nous, les petits, les obscurs, les sans-grades. » Ces chefs obstinés qui resteront jusqu’au bout du bout cramponnés à leur inflexible « je n’en veux rien savoir. » Et, pour couronner le tout, la pâmoison, l’extase, le ravissement du plus affable des hommes de gauche sous l’effet du fantasme de Marine Le Pen élevée soudain à la dignité suprême de l’Etat français comme par le miracle d’une Assomption républicaine.

Qui l’eût dit ! Qui l’eût cru ! Mais comment ne pas se rendre à l’évidence ? Le noyau pur et dur de la gauche est travaillé à son insu par le désir innommable de s’abandonner dans les bras de la monstrueuse Valkyrie !

Pause

Il n’y a qu’un pas du sublime au ridicule. De l’interprétation au délire d’interprétation, il en va de même. N’est-il pas temps pour moi de marquer une pause, de prendre un peu de recul par rapport à moi-même et au résultat indécent auquel je suis arrivé ? Je poserai donc la plume un moment.

« Il sera bon que je m’arrête un peu en cet endroit, dit Descartes, afin que par la longueur de ma méditation, j’imprime plus profondément en ma mémoire cette nouvelle connoissance. »

Paris, le 20 mars 2017 

Quelques références

J’avais emprunté mon exergue à Jean Paulhan, sans me souvenir de sa source. Sur ma demande, Nathalie Georges-Lambrichs s’en est enquis auprès de Claire Paulhan. Celle-ci m’a rappelé que c’est la phrase qui conclut Les Fleurs de Tarbes (sous-titre : « ou : La Terreur dans les lettres ») ; prépublication dans la NRF de juin à octobre 1936 ; publication en volume chez Gallimard en 1940. Je remercie vivement mes deux correspondantes.

The elephant in the room : l’éléphant dans la pièce ; se dit d’une situation évidente que personne n’aborde (d’après le Wiktionnaire).

Mots freudiens en allemand : Anerkennung, reconnaissance, aveu ; Verneinung, dénégation (se rencontre dans la névrose, et chez tout le monde) ; Verleugnung, déni (propre à la perversion) ; Verwerfung, forclusion (dans la psychose).

Pourquoi les pauvres votent à droite : livre de Thomas Franck, traduit de l’américain, avec une préface de Serge Halimi, éditions Agone, 2014.

Les oiseaux : The Birds, film de Hitchcock, 1963, à partir de la nouvelle éponyme de la romancière britannique Daphne du Maurier, 1952 ; tenu pour un « classique du film d’épouvante » (repris de Wikipédia).

Mediapart :  Il faut être abonné à cette publication pour avoir accès à tous les échanges internes au Club et y participer ; certains billets, sélectionnés par la rédaction, figurent néanmoins, avec les commentaires, sur la page d’accueil accessible à tous.

Les Non-dupes errent est le titre donné par Lacan au livre XXI de son Séminaire, à paraître en coédition La Martinière/Le Champ freudien ; des éditions pirates en circulent sans doute sur le net.

« Nous, les petits … » : vers extrait du drame en six actes d’Edmond Rostand, L’Aiglon, représenté pour la première fois le 15 mars 1900 au théâtre Sarah-Bernhardt (maintenant théâtre de la Ville) à Paris.

La dernière phrase du texte est une partie de la dernière phrase de la seconde Méditation ; les six Méditations métaphysiques sont parues pour la première fois à Paris en 1641, en latin, sous le titre de Méditations sur la philosophie première, avec six séries d’Objections et Réponses.

Emblème des éditions Claire Paulhan

15 Commentaires

  1. mais Macron (et Fillon pareillement) par sa politique économique ultra-libérale déshumanisée ne risque-t-il pas d’entretenir la tentation Le Pen et nous faire reculer pour mieux sauter en 2022 ? il me semble paradoxal de dire qu’il est utile de voter Macron pour barrer la route à Le Pen alors que c’est la politique qu’il a menée sous Hollande qui favorise Le Pen ! il y a deux camps, fondés sur le clivage gauche/droite qui n’est pas obsolète du tout : les humanistes d’un côté et les exploiteurs de l’autre et cela nous l’avons tous oublié la gauche s’étant vendue à l’idéologie de droite. Macron fait partie du second.

  2. Jacques-Alain Miller prouve, encore une fois, qu’il est du devoir des psychanalystes d’alerter lorsque notre liberté à nous tous est mise en danger.
    Merci, monsieur, de ne pas attendre les résultats des sondages pour dénoncer le danger extrême que le parti de la haine représente pour la France.

  3. Je ne pourrai jamais confirmer ici la véracité des allégations de François Fillon à propos d’un cabinet noir qu’animerait, à l’heure où il nous parle, François Hollande dans le seul but de le neutraliser, c’est-à-dire de priver les Français d’une alternance réelle, et c’est précisément parce que je me trouve dans l’incapacité totale de défendre l’honneur d’un homme au sujet d’un objet dont la taille de l’ombre jetterait la suspicion sur la pierre d’angle de la République, à savoir qu’elle menace d’engloutissement rien moins que l’État de droit, que je demande solennellement aux Républicains de renoncer à poursuivre une campagne dont l’esprit tordu a vraisemblablement entamé les facultés de discernement de leur candidat. La présomption d’innocence doit s’appliquer avec d’autant plus d’énergie que les responsabilités des personnes accusées sont élevées, sans quoi ce sont les fonctions qu’elles occupent et missions qu’elles remplissent qui en viendraient à être mises en cause, au profit, comme toujours, des politiques de la terre brûlée.

  4. Je ne me suis pas macronisé au point de me croire irrésistible auprès des macronistes. Aussi, mes tentatives de reprise en main par les réformateurs d’une maison où nul n’ignore qu’ils sont majoritaires — la Belle Alliance était un piège à con — resteront sans effet. À moins qu’elles ne convainquent le prochain Président de renoncer à cet incompréhensiblement fréquentable positionnement populiste du ni-ni, bien mal dissimulé sous le masque du hé-hé. Macron ne croit pas davantage que moi à la cohésion des gauches en cohabitation. Qu’il assume donc d’être l’incarnation humaine de la gauche libérale. Qu’il demande à ses soutiens de droite de consentir au sacrifice minimum, autrement dit, de passer l’arme identitaire à gauche. Et lorsqu’il ne résistera pas à l’idée qu’un karma aussi blindé que le sien ne peut pas ne pas réussir là où, des deux côté de l’Atlantique, ses analogues ont échoué, qu’il tire enseignement de l’épisode Emmanuel à Alger pour, au nom de l’acommunauté internationale, épargner à la capitale une et indivisible d’un État juif multiconfessionnel ce qui risquerait d’être la tartufferie de trop.

    • P.-(?). : Il est absolument nécessaire que la droite républicaine reste unie au lendemain de la défaite de l’extrême droite et puisse convaincre l’électorat des droites qu’elle seule représente une alternative crédible face aux gauches. EM ne doit pas empiéter sur les plates-bandes de la droite de gouvernement et permettre à Le Pen de parvenir à son but : être et demeurer la principale force politique de droite en France.

    • L’argument du ralliement à Macron par peur d’un 21 avril présuppose qu’un 21 avril à l’envers serait un moindre mal. Du Mélenchon dans le texte. Valls est l’égal de Sarkozy. Or Sarkozy est l’égal de Pétain. Je vous laisse achever tout seuls le syllogisme antirépublicain. Le 21 avril n’est malheureusement plus évitable. C’est alors vers un front républicain que nous sommes sommés de nous mettre en marche. Un front uni rassemblant des lignes claires, raffermies, recentrées sur leurs horizons respectifs, aussi distinctes les unes des autres que possible, aussi respectueuses de leur ADN commun qu’on ose l’espérer.

  5. Monsieur Miller s’emporte, semble avoir l’impression de produire une pensée sinon originale, du moins singulière, voire parfois « dangereuse » (on entend un petit rire satisfait derrière son clavier), quand en réalité il dit ce que tout le monde dit déjà, en s’emmêlant dans ce que d’autres ont écrit, et en faisant mauvais usage de ses références pédantes. Tout cela lui donne l’impression de faire autre chose, mais ce n’est pas le cas. J’ai, en le lisant, l’impression d’entendre mon père:  » ‘faut être réaliste ». C’est tout ce qui est dit ici. Tout le reste n’est que tentative brouillonne d’être quelqu’un qu’il ne semble pas être.

  6. Article très intéressant bien qu’écrit dans un style excessivement ampoulé.

    Que voulez-vous? mon bon monsieur: tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse.

    On a trop diabolisé les « Walkyries » comme vous les appelez, et toute leur famille, et leurs électeurs, ces racistes, ces fascistes, ces haineux, ces pétainistes, ces nazis, ces bouseux, ces bas du front, ces beaufs, ces petits blancs, ces Dupont-Lajoie. On a versé trop de fiel et trop de mépris sur eux. On a trop crié au loup. Tout cela se paye aujourd’hui. Votre dissertation à forçe des mots allemands du jargon philosophique, nous ennuie, mais on discerne que nous voyez juste, en bon psychanalyste. Il y a aujourd’hui un vrai désir, très répandu, de coucher, politiquement, dans les bras de cette grande femme blonde et tout ce qu’elle incarne. Et ce, c’est le plus intéressant et pour vous le plus amer, ceci est vrai, même et surtout dans un électorat de gauche, tellement écœuré de tant de trahisons des socialistes opportunistes et cyniques que désormais pour eux la seule chose qui compte c’est de se débarrasser de tous ces sociaux traîtres. De même beaucoup de gens d’extrême droite ont délibérément vote Mitterrand en 1981, uniquement par écœurement et pour se débarrasser de la politique centriste progressiste de Valéry Giscard d’Estaing.

    Ca vous désole, mais votre intuition est juste. Le désir de la Le Pen, qui provient de la Schadenfreude (vous voyez, moi aussi je peux vous sortir un mot allemand) et de la volonté de se venger de la gauche sociale démocrate que l’on hait comme un conjoint qui vous a fait cocu, ce désir est violent. C’est un basculement de tout un pan de l’opinion, qui va commencer à voter Le Pen par vengeance, mais qui pourrait bien finir par l’aimer vraiment. Ce s’est déjà vu, des communistes qui basculent vers l’extrême inverse.

    Les milieux de la gauche morale, inspirés bien souvent par un ethos juif et par une intelligentsia juive, ont eu grand tort de poser en impératif catégorique l’exclusion fondamentale, totale et définitive de toute une frange de l’opinion populaire de droite non gaulliste, parce qu’atteinte d’un péché congénital: celui de pétainisme. C’était faire comme si ces gens n’existaient pas, or ils existent.

    On aurait été mieux avisés d’accepter le Front National comme une famille politique, même si on la juge antipathique, destinée à rester minoritaire pouvait-on espérer, mais ayant une existence permanente parmi les diverses familles politiques françaises. Cette approche réaliste eut été moins périlleuse. Cette frange de l’opinion étant représentée, elle n’aurait pas ressenti le même degré d’intense frustration. Ceci étant, les milieux qui la voyaient d’un mauvais œil pouvaient efficacement s’employer à tenir cette force politique en dehors des combinaisons ministérielles, ou, si parfois elle y participait, user de son influence pour qu’elle n’accède pas au cœur du pouvoir.

    On n’a pas voulu de ça, on a voulu une exclusion absolue, sectaire. C’était très dangereux car celà donnait à cette forçe minoritaire un potentiel explosif qui pouvait lui permettre si une occasion favorable se présentait à elle, comme aujourd’hui, de devenir majoritaire.

    Tôt ou tard un moment viendrait ou excédés de se voir refuser toute représentation politique, ces mécontents seraient capables de grossir leurs rangs de ceux de tous les autres mécontents frustrés par les échecs et l’usure du pouvoir qui immanquablement finirait par frapper les divers partis de l’arc républicain, et donc, immanquablement, tôt ou tard l’exaspération provoquée par la répression, le mépris, le déni, la police de la pensée, l’exclusion, etc., tout celà exploserait, entraînant la fin des tabous artificiellement entretenus, la rupture des digues et… le retour du refoulé, pour prendre un terme de psychanalyse.

    On en est là aujourd’hui.

    Comme je disais: tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse.

  7. Hamon ne manquera pas d’appeler ses ouailles à se dédire, in extremis, en votant Tête de Turc. Sera-t-il suivi ou passera-t-il auprès d’elles tel Tsipras pour la girouette qu’il leur avait fait huer, j’entends par là un social-traître? Macron serrera les dents. Il s’escrimera à charmer ses concurrents républicains, ne connaissant que trop le tempérament volatil des allergiques au vote utile. Œdipe trépignant, il gardera son calme jusqu’à l’acte de pénétration. Objectif : séduire les anti-hollandistes du deuxième Front en se montrant aimable vis-à-vis de leur Che qui, quoiqu’on en pense, aura été effrontément utile à l’ouverture de la chasse aux fraises des bois. Mélenchon aura enfin fait la démonstration de sa stature mitterrandienne en devenant, sinon le dernier président de la Cinquième République, en tout cas l’instigateur en chef de la curée robespierriste. Dans ce dessein, il faut frapper les esprits démunis, renvoyer dos à dos ladite gauche du fric et la médite droite. Quitte à favoriser les émules de la Bête. Le Pen ou l’imposture suprême d’une culture millénaire réduite aux exhibitions caricaturales d’un concours de culturisme. La candidate de la France faible. La patrie des droits de l’homme KO debout pour cause de gonflette. Fillon n’aura pas eu l’occasion de caresser l’espoir de réfréner les ardeurs d’un méta-État terroriste que financent des pétromonarchies sunnites en dressant face à lui un méta-État terroriste implanté au Liban ou en Palestine grâce aux efforts conjugués d’une puissance nucléaire chî’ite et d’un yaltiste prometteur. Concernant ce dernier sujet, sujet brûlant en tous, un seul candidat à la présidentielle se sera avéré correspondre aux critères lévysiens. Ce candidat c’est Benoit Hamon, et nous ne pouvons pas faire comme si cela n’était pas.

    • La victoire de Macron actera la mort des deux grands partis républicains, sacrifiant la disputation idéologique au confort brutaliste, comme si les accalmies n’étaient pas d’autant plus savoureuses qu’elles succédaient à la houle. Ainsi, sommer la diversité des courants politiques d’observer ce curieux principe d’Union sacrée permanente aurait pour effet de proclamer l’état de guerre mondiale perpétuelle, du moins jusqu’à l’alternance inévitable, et quand nous évoquons l’alternance démocratique en Postrépublique, nous parlons de l’obligation de céder les rênes du pouvoir à la principale, j’allais dire ultime grande force d’opposition opposable au front universaliste. L’urgence consiste donc à restituer le clivage gauche/droite à la France des Lumières, laquelle n’acceptera jamais de partager vichystement son territoire avec le suprémacisme dominant ou l’une ou l’autre des faces du suprémacisme minoritaire. Ce bon vieux front républicain ne se laissera pas réduire à une peau de chagrin. Il ne permettra pas que les spasmes antinéojuifs de Néomaurras phagocytent son arbitre.

    • Ce qui corrompt la République, ce ne sont pas les affaires, mais l’incohérence des lignes rouges qui la biaisent. On ne peut pas, d’un côté, maudire le tous-pourris et, de l’autre, mugir le tous-médiocres. On ne peut pas dénoncer la fuite des cerveaux dans les pays émergents et l’organiser au cœur d’une grande puissance immergée. On ne peut pas mettre dans le même sac des candidats aussi opposés que la droite mondialiste et l’extrême droite national-socialiste. On ne peut pas sauter sur l’occasion d’un contraste disqualifiant au prix du sacrifice d’un ministre de l’Intérieur parfaitement innocent. On ne peut pas arguer que la loi de séparation des Églises et de l’État est faite pour protéger aussi bien une hippie en monokini qu’une salafiste qui porterait librement le voile dès lors que la proscription de la chevelure ultra-érotisée des femmes implique l’abdication des libertés individuelles et la conformité aux volontés d’Allah. On peut pas faire rayonner l’excellence française et instaurer une Assemblée des Gueux alignée sur les dérives d’une élite islamopuritaine qui nous prépare des lendemains cyniques autour des burkinistes du Quai, et par cynique je pense au penseur de Sinope qui, prenant modèle sur son chien qu’il trouvait plus fidèle et honorable que la plupart des hommes, avait pris l’habitude de déféquer en public avant d’y forniquer.

    • Triste destin que celui de la Gauche libre, impossible à réconcilier avec la posture anticapitaliste des siphoneurs siphonés de la gauche de la gauche. Nous nous interrogeons sur l’art et la manière d’empêcher une victoire de Le Pen. Mais nos efforts ne sont-ils pas bien vains? Car, entre nous et moi, en cas de victoire du Messie mondialiste, qui se frottera le ventre contre le droit du sol sinon le diable en tête de queue? Finie l’UMPS! Dépouillée sans complexes par une version millénariste du social-libéralisme endiguant la colère des peuples dans l’ultime résidence du pluralisme contraint au paradis de synthèse. Qu’il soit élu ou non, le PN (Parti nationaliste) sera le grand gagnant du second tour macronique. Mieux que cela, la victoire de l’Apolitique lui épargnera l’humiliation d’un référendum fatal face aux interminables bacchanales du Chienlit. Tragi-comique destin que celui de la gauche!

    • Et pendant ce temps : Les attentats low coast, loin d’induire le recroquevillement du méta-empire, instillent chez l’infidèle l’idée d’une guerre banalisée, dotée d’armées urbaines en tenue de camouflage et, d’une certaine façon, lambdaïsée, convertie aux pratiques de la globalisation individualiste, démultipliant la terreur de par la suspicion généralisée quand le soldat du Califat virtuel tire avantage d’une déroute qui l’oblige à quitter le champ de la clandestinité pour se projeter, dans chaque coin de rue du Village planétaire, à travers une personnalité singulièrement normale, simplement maniaco-dépressive, sujette aux sautes d’humeur imprévisibles, faisant des situations les plus pacifiques autant de modes opératoires terroristes potentiels.

    • Pardon, mais la référence à Valéry Giscard d’Estaing, qu’on fait tomber comme un mouchoir de sainte-nitouche au sujet d’Emmanuel Macron, ne tient ni la route ni la sortie de route. Si l’ancien combattant profita en son temps du dernier passage en revue effectué par son vieux chef de guerre avant tirage de révérence, l’eau, entre-temps, a semble-t-il coulé avec le pont des Âges. N’oublions pas que le prédécesseur du plus jeune président de la Ve avait tenté d’effacer l’ardoise des anciens collaborationnistes, prétextant que la France aurait tout à gagner à arracher la page la plus honteuse de son histoire quand, lever de frein à main, Paul Touvier avait été prévenu qu’un commando d’incorruptibles prévoyait de lui régler son compte dans le courant de la nuit, ne devant son salut temporaire qu’à l’un de ces coups de fils, caractéristiques de l’Internationale parallèle, dont Kadhafi bénéficierait à son tour, en 1986, à la veille d’un bombardement nocturne dont les États-Unis avaient jugé indispensable d’en prévenir leurs principaux alliés. L’incendie qui ravagerait la maison de l’ancien chef du service de renseignement de la Milice lyonnaise forcerait le criminel imprescriptible à repartir en cavale et calmerait du même coup les ardeurs pacifistes des résistants de la dernière heure. Le septennat centriste qui s’ensuivrait poursuivrait dans ce sens le rêve pompidolien d’une réconciliation nationale qui ne se contenterait plus de sa maigre façade, mais il faudrait veiller à ce qu’il n’écrase jamais sous le poids d’une loyauté Papon-compatible l’offre démocratique en République française. Faut-il rappeler qu’il l’avait emporté face à la Gauche unie et non à l’extrême droite?