Erbil, Kurdistan, 9 mars.

Devant un parterre d’amis kurdes, de Peshmergas et les autorités politiques du Kurdistan irakien venus en nombre voir La Bataille de Mossoul qui va leur être projetée, BHL dit son adresse à la nation kurde (voir La Règle du Jeu). Chacun écoute avec attention cet hymne fraternel en faveur de l’indépendance du Kurdistan si chère payée depuis un siècle. Et l’orateur conclut sur la difficile liberté promise demain à cette très vieille jeune nation et son futur Etat, entourés par des voisins chaotiques hostiles aux droits des peuples – le leur et le peuple kurde tout autant.

Entretien le lendemain soir, à bâtons rompus, avec le premier Ministre, Nechirvan Barzani entouré de son cabinet et de Sirwan Barzani, le général ami, venu de son camp sur le front, l’un des personnages-clé de Peshmerga comme, aujourd’hui, de cette Bataille de Mossoul. Une bataille en passe d’être gagnée, après que les Kurdes ont ouvert la route de Mossoul aux forces irakiennes de la Division d’or, ainsi que le montre au jour le jour notre film.

Quid, justement, de cette indépendance, demandons-nous à cet homme direct et jovial de 51 ans qui gère avec souplesse, malgré l’absence criante de moyens dus à la chute des cours du pétrole, un pays en guerre depuis deux ans tout entier accaparé par l’entretien d’une armée étirée sur un millier de kilomètres face à Daech et aujourd’hui en attente de participer ou non à la libération finale de Mossoul.

Confirmant les propos tenus à Paris il y a peu par Massoud Barzani, le Président du Kurdistan « irakien » (il ne l’est plus que de nom), le Premier ministre nous confie qu’un référendum, si les circonstances sont favorables, c’est-à-dire si Mossoul est libérée avant l’été, pourrait se tenir en septembre prochain. Aussi plurielles que soient la scène politique et l’opinion publique du Kurdistan, un tel référendum sur l’indépendance du pays l’emporterait, d’évidence, à une écrasante majorité.

Quid de la réaction de Bagdad avec qui, pour l’heure, les relations politiques et militaires sont officiellement au beau fixe ? Forts du plébiscite du référendum, les Kurdes négocieraient en position favorable les inévitables compromis de « sortie d’Irak », se montreraient ouverts à discuter de la rente pétrolière, sans exclure l’idée d’une éventuelle confédération d’Etats souverains, à caractère essentiellement économique : le Kurdistan n’est-il pas enclavé, sans accès à la mer? Et comment continuer, autrement, d’avoir accès au marché irakien et réciproquement, dans l’intérêt mutuel des deux pays?

Le Président Barzani ayant annoncé qu’il ne briguerait pas un nouveau mandat à l’élection présidentielle à venir, quid de sa succession ? Un sourire amusé éclaire le visage de son Premier Ministre et neveu qui, en guise de réponse, nous renvoie la même question sur les élections françaises de mai. La question est loin d’être formelle, la France de Hollande comptant beaucoup dans le soutien au Kurdistan. Et d’autant plus aujourd’hui, en ce moment difficile où l’on ne sait rien des  intentions de Trump à Washington, avec ses fortes paroles concernant la Syrie et Mossoul – mais dont nul ne sait si elles seront suivies d’effet, et quand, et où. Pour l’heure, la pression sur Raqqah semble avoir la priorité des Américains pour fermer la retraite de Daech.

Bref. Fillon, qui est venu chez eux ? Les Kurdes savent son engagement en faveur des chrétiens d’Orient mais sont déconcertés face aux démêlés politico-judiciaires en cours. Juppé ? Il a renoncé. Pourquoi donc ? La déprime, peut-être une nouvelle tentation de Venise, hasarde Bernard-Henri Lévy. Qui est au juste ce jeune Macron ? A-t-il vu vos deux films ? Ah, c’est un homme de bonne volonté ? Tant mieux. Qu’il vienne avant l’élection se rendre compte par lui-même au Kurdistan. A prononcer le nom de Marine le Pen, silence pudique des deux côtés. Quant à la gauche, nous citons le triangle des Bermudes. Perplexité des Kurdes face à ce paysage français dévasté.

Retour à Daech. Cela semble ne plus être une préoccupation exclusive, et être désormais une question de calendrier : quand et à quel prix ? Mais la défaite de Daech ne fait pas l’ombre d’un doute.

L’après Daech l’emporte. Qui gérera Mossoul une fois libéré, où résidaient dans les quartiers de la rive Est du Tigre 300.000 Kurdes avant la guerre ? Pourront-ils rentrer ? Et leur sécurité ? Est évoqué, à l’image de Berlin 1945, que les Kurdes, dont la frontière à vol d’oiseau est à moins de 30 kilomètres, revendiquent une zone provisoire d’occupation sur la rive Est. Bernard-Henri Lévy suggère par ailleurs que les Kurdes appellent à un comité de personnalités internationales et d’experts, qui élaboreraient un plan Marshall pour Mossoul et mobiliseraient les capitaux auprès des fonds souverains arabes et autres. Car Bagdad (chiite), tout à son effort de guerre, est, sur Mossoul (sunnite) après Daech, aux abonnés absents.

Il sera enfin question de l’Iran voisin, qui, plus que l’Irak exsangue, divisé entre sunnites et chiites et qui aura fort à faire, outre Mossoul, avec la zone sunnite hier encore aux mains de Daech, est un sujet d’inquiétude. L’influence déterminante de l’Iran des mollahs à Bagdad aux mains des chiites, ses liens avec Damas que l’Iran soutient à bout de bras, et qui pourraient lui valoir un corridor de fait jusqu’à la Méditerranée à revers du Kurdistan, l’irrédentisme silencieux de la minorité kurde iranienne forte de plusieurs millions que Téhéran surveille étroitement, tout cela sera évoqué avec mesure mais vigilance.

L’entretien se termine sur une note moins martiale, quand Lévy raconte, que plus jeune candidat socialiste aux législatives de 1973, envoyé par François Mitterrand en terre de mission en Normandie, il dut faire ses preuves face aux siens à coups de « boulevards du rhum », en l’occurrence du calvados, jusqu’à ce qu’on s’aperçoive en haut lieu qu’il n’avait pas la dispense d’âge nécessaire, vu ses 24 ans non révolus, mettant fin de façon prématurée à sa carrière politique. Ce dont nos amis kurdes se félicitent bruyamment, car les politiques passent mais les écrivains, les cinéastes restent, ainsi qu’en internationaliste conséquent Lévy le démontre concrètement, concluent-ils, par son engagement, après l’Afghanistan, la Bosnie, la Libye, sur le terrain aux côtés du Kurdistan.

On se congratule mutuellement et on se quitte sur ces mots : « A demain Mossoul ».

Un commentaire

  1. La fin de « te so called Islamic State » signera, à n’en pas douter, un grand ouf de soulagement des démocraties planétaires, rejointes en cela par des Etats qui démocratiques le sont beaucoup moins ou pas du tout, sans qu’ils puissent se réjouir pour autant de la complète disparition du terrorisme djihadiste.
    L’après Daech c’est cet immense « chantier » géopolitique qui est aujourd’hui le Moyen-Orient, ce sont les réponses concrètes que s’attendent les peuples massacrés et chassés de chez eux pour retrouver l’espoir et réapprendre à vivre dans la région.
    Mais l’après Daesh ce sera aussi et avant tout ce grand jeu de repositionnement et d’influence des super-puissances qui ne tardera pas à s’imposer tout autant que la tentation de refermer rapidement, tant bien que mal, les dossiers les plus critiques, de l’Irak au Kurdistan, de la Syrie aux millions de réfugiés, dans un nouvel ordre-désordre justifié par ce qui leur tient à cœur, le véritable chantier de la reconstruction.
    A tel propos, l’absence diplomatique de la France dans la région et de son rôle de médiateur entre la Syrie, l’Iran et les Etats-Unis, voir la Russie n’est-elle pas suffisamment pointée du doigt ? Même si dans ce cas il aurait fallu composer, voir seconder ses régimes, la tyrannie de Bachar et la théocratie islamiste des ayatollah (sic).
    Mais pour ceux qui le dénoncent ne ce sont que des détails de l’histoire.

    C’est pour cette raison que je soutiens la très belle proposition avancée par Bernard-Henri Lévy aux Kurdes pour qu’un « comité de personnalités internationales et d’experts » soit créé afin d’élaborer un plan de survie pour cette région du Nord-Irak.
    Il aurait l’avantage de se pencher de façon la plus neutre possible sur la complexité ethnique, socio-culturelle et économique d’un territoire historiquement morcelé, divisé, et en tracer les lignes de partage et de coexistence pacifique.
    Cette suggestion me semble autant plus nécessaire pour ce que je disais auparavant.

    En effet ce comité de personnalités (je pense à François Hollande qui pourrait très bien l’intégrer et au rôle d’inspirateur et de guide qui serait le sien), loin de jouer au domino, aurait le pouvoir de tenir informés les peuples concernés de leurs travaux et surtout de dénoncer à l’opinion publique mondiale toutes tentatives de mainmise des aspirations et des résolutions exercée par les puissances tant régionales que mondiales.
    C’est une évidence que l’objectif de faire vivre pacifiquement Kurdes, Sunnites et Chiites arabes passe par une séparation consensuelle.
    Proches oui mais pas tous ensemble.
    Unis en revanche par une cause commune : la défense et le combat contre le djihadisme existant.

    Le Kurdistan irakien autonome est déjà une réalité en Irak. Un Etat indépendant avec capitale Erbil n’est plus qu’un pas supplémentaire à négocier soit d’une façon spécifique et directe soit dans le cadre plus vaste d’une fédération des provinces irakiennes autonomes, ayant pour capitale Bagdad : les Sunnites dans la province de Mossoul, les Chiites dans celle autour de Bagdad.

    Ce Kurdistan indépendant émergera de la lutte sans merci que les Peshmergas ont livré à Daesh et que le monde entier leur reconnaît, mais aussi des conflits d’intérêts que leur ont déclaré plus au moins ouvertement tous les autres : les irakiens, les iraniens, les turques, les russes de Poutine ou on ne sait pas trop encore les américains de Trump.