Katell Pouliquen fait partie de cette nouvelle génération de journalistes engagées, féministes et progressistes. Successivement rédactrice en chef mode à L’Express Styles, passée par Be puis Marie Claire, elle s’applique désormais à raconter le monde tel qu’il est – complexe, turbulent et multiculturel – en tant que rédactrice en chef du magazine ELLE. Samedi 11 février, sur son compte Facebook, cette mère raconte la mésaventure, banale, effrayante, effrayante de banalité, survenue alors qu’elle se trouvait en vacances, avec ses enfants (métis), à Saint-Brieuc. Sur la terre de ses ancêtres, on leur lance un terrifiant : « Partez d’ici, sales nègres ! » Le racisme frappe soudain la chair de sa chair. Ce qui n’était qu’une abstraction lointaine, un bruit diffus, devient tout-à-coup concret. En France, en 2017, on a insulté une petite famille tranquille. Le pire est qu’il ne s’agit pas d’un acte isolé. Depuis plusieurs jours, le contexte est lourd. Tandis que l’affaire Théo agite l’opinion, les langues se libèrent. La twittosphère fourmille de messages racistes ; à une heure de grande écoute, un membre d’un syndicat policier a récemment réhabilité le vocable « bamboula », bientôt imité par l’ex-magistrat Philippe Bilger.

Allons-nous laisser le climat pourrir et le vivre-ensemble mourir ? « 70 jours avant la présidentielle », Katell Pouliquen a choisi de ne rien laisser passer. En une journée seulement, son témoignage simplement posté sur les réseaux sociaux a recueilli plus de 2000 likes et près de 900 partages. Nous avons choisi de relayer. Laurent-David Samama


Mes enfants métis font mon bonheur et ma fierté. Je loue leur double culture, leur explique que, plutôt qu’être « moitié/moitié », ils sont 2 fois plus riches. 200% plutôt que 50. Je les éveille au monde sans les effrayer. Je leur offre la bio de Martin Luther King et aussi Mes étoiles noires de Lilian Thuram. Il l’avait dédicacé à mon fils aîné, qui porte le même prénom que le sien : Marcus. Comme Marcus Miller plus que l’empereur romain. Comme Marcus Garvey, émancipateur du peuple noir. Je les amène voir Swagger, et sans doute ce jour-là saisissent-ils comme ils sont privilégiés. Protégés ? On vit dans le 18ème. L’école maternelle est une ZEP qui fonctionne. Emile est ami avec Rayan, Louison, Aboudlaye. La routine. Mes enfants sont chez eux au manège des Abbesses, chez Jacky le boucher, Marie-Rose la libraire… Les rues racontent la France multiculturelle.

Celle que j’aime.

« Partez d’ici, sales nègres ». L’uppercut est donné au Leclerc de Saint Brieuc. Enfin, juste à côté, à Plérin, périphérie urbaine bien connue des sociologues. Je suis Bretonne. J’ai terriblement voulu fuir cette Bretagne que je chéris tant aujourd’hui. M’arracher à la promiscuité. J’ai choisi ma vie, j’ai choisi Paris. « Partez d’ici, sales nègres ». L’uppercut est donné par un homme d’une soixantaine d’années le 10 février 2017 en France. La même semaine, Théo se faisait violer par un policier. La même semaine, Luc Poignant, membre du syndicat Unité Police SGP-FO, estimait : « Le mot Bamboula, ça reste encore à peu près convenable ». La même semaine, le magistrat Philippe Bilger tweettait : « On a fait un drame de #bamboula. Me souviens de mes années collège où ce terme était presque affectueux ». La même semaine, Alain Avello, membre du conseil stratégique de campagne de Marine Le Pen, invitait sur Facebook à « essayer la zoophilie » avec Christiane Taubira.

« J’ai peur. Quand j’avais ton âge, toutes les personnes que je connaissais étaient noires et toutes vivaient dans cette peur violemment, obstinément », écrit Ta-Nehisi Coates dans Une colère noire. Lettre à mon fils.

11 février 2017. 70 jours avant la Présidentielle. Quelle lettre écrirai-je à mes fils ? Je suis en colère. Violemment. Obstinément.

Katell Pouliquen

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Un commentaire

  1. Bonjour,
    Mon Dieu, ma pauvre cela m’étonne pas que vous parliez d’uppercut !!! Comment peut on aujourd’hui lancer une phrase pareil !!!!
    Je suis moi même grand mère de deux petits superbes métisse , ils sont ma fierté , ma joie . De savoir que près de chez moi une telle chose peut arriver……
    C’est une richesse ce mélange de culture, nous devons être vigilants
    Sincèrement vôtre
    Brigitte