On a assisté récemment dans l’émission de Ruquier, «On n’est pas couché», à une scène surréaliste : Jean Lassalle, de retour de Syrie, est interrogé par Yann Moix et Vanessa Burggraf : «Est-ce que oui ou non vous croyez que Bachar el-Assad a gazé des populations?». Réponse de Lassalle devant un public interloqué : «Je ne sais pas. Sur les gazages, je ne sais pas. (…) J’ai cru que les bombardements étaient avérés. (…) Maintenant j’ai beaucoup de doutes… (…) Il (Bachar) m’a dit : ‘Si j’avais fait cela, est-ce que vous pensez que je pourrais rester à la tête de mon peuple ?»

Loin, bien loin des projecteurs des caméras parisiens, l’Ambassadeur de France au Burundi, pays également martyrisé par son tyranneau local, vient d’accorder une interview dans la même veine, à un site web pro-gouvernemental. Titre de l’entretien : «Ambassadeur Laurent Delahousse : ‘Je me sens en sécurité dans ce pays’». Pour info, le jour même de la publication de cette interview, plusieurs cas d’arrestations, de tortures et de disparitions répertoriés au sein de l’armée burundaise, des corps sans vie retrouvés, jetés dans les rues et les eaux du Tanganyika.

Et pour rappel, à ce jour, depuis le 25 avril 2015, on comptabilise, dans ce petit bout de terre perdu au cœur de l’Afrique, des centaines de personnes assassinées (au moins 2.000 morts déjà), des centaines d’autres portées disparues, des milliers de prisonniers, de multiples cas de torture et de viol et plus de 350.000 réfugiés dans les pays voisins. Et l’air quotidien est saturé non pas de légèreté et de joie de vivre, mais de discours nauséabonds, haineux propagés par les partisans du régime via les voies officielles et officieuses, des discours n’hésitant pas à traiter les Tutsis de mujeri – chiens errants – responsables de tous les maux du Burundi et qualifiant les démocrates Hutus, de traîtres.

La tragique réalité est bien celle-là : le Burundi est devenu au fil des mois, un pays clos sur lui-même, interdit aux médias internationaux, interdit aux observateurs des droits de l’homme, un pays où tout citoyen peut être arrêté, torturé, assassiné pour délit de faciès, délit de naissance ou délit d’opinion.
Alors au regard de ces faits, si les propos attribués à l’Ambassadeur s’avèrent véridiques et non-traficotés par le site ayant réalisé l’entretien, si ces propos sont entièrement authentiques, ils sont tout simplement scandaleux et indignes d’un représentant d’une puissance qui se veut démocratique.

Car que dit M. Delahousse ? Il doute. Comme Lassalle, il doute, lui aussi, de la réalité des crimes commis ; il doute de leur nature ; il doute de la véracité des rapports publiés sur les violations des Droits de l’Homme par les différentes organisations internationales (FIDH, Human Rights Watch, Amnesty International) ; il doute de la véracité du rapport des experts des Nations Unies. En vérité, il fait plus que douter : le verbe alambiqué, il reprend en écho la propagande du régime burundais et l’avalise. D’une pierre, il fait deux coups : d’un côté, il décrédibilise le travail des organisations internationales de défense des Droits de l’Homme et de l’autre, du même coup, donne du crédit au discours des tueurs de Bujumbura, discours mâtiné d’une grosse dose de complotiste aiguë et qualifiant à tout-va de fable, les rapports des organisations internationales documentant les crimes commis par le régime.

La question qu’on est alors en droit de se poser est la suivante : ces propos sont-ils ceux d’un diplomate à la raison en défection sous l’effet de la chaleur des Tropiques ou plus grave, plus inquiétant la traduction, l’expression fidèle d’une ligne politique, officielle, française, non assumée publiquement jusque-là, par rapport au régime burundais ? Une ligne politique et diplomatique visant désormais à rendre fréquentable le régime de Bujumbura et à relativiser ses crimes ? Ou alors M. Delahousse énonce-t-il tout haut, et ce à titre personnel, ce que certains milieux de l’hexagone obnubilés par leur haine des Tutsis du Rwanda murmurent tout bas dans les coulisses ? Des milieux négationnistes impénitents, connus pour leur détermination à sauver du naufrage le régime de Bujumbura, prompts en conseil communicationnel et stratégique, jouant les agents d’influence et les propagandistes chocs d’un régime représentant à leurs yeux, une potentielle et précieuse base-arrière dans leur douteux combat contre Kigali.

N’empêche : les propos de Laurent Delahousse demeurent énigmatiques car comment comprendre cette sortie médiatique d’un diplomate au bord de présenter des excuses sur le rôle actif joué par la France dans l’adoption de la résolution des Nations-Unies sur le Burundi, rôle qui n’aurait été selon notre cher Ambassadeur, que celui d’un «pen holder» conciliateur? Comment un diplomate de carrière, représentant un Etat qui se proclame mère-patrie des Droits de l’Homme peut-il également, péremptoirement, affirmer que son rôle bien compris est de «rabibocher» les relations entre Paris et le régime des tueurs de Bujumbura : «L’expérience que j’ai acquise au Zimbabwe dans ce travail de décrispation des relations, de contribution à recréer les conditions d’un travail commun, du contact, de la confiance, je veux absolument l’utiliser ici au Burundi pour contribuer à rabibocher en quelque sorte nos gouvernements».

Mais qu’importent en définitive les raisons de Delahousse, le fait est qu’au regard du rôle de la France dans le génocide des Tutsis au Rwanda, Paris ne peut pas se permettre aujourd’hui d’avancer le pas oblique, la démarche ambiguë au Burundi, disant un jour une chose et le lendemain, son contraire; faisant avec la main gauche, une chose et avec la main droite, tout l’inverse. Je dirais même que la France doit être exemplaire dans le rejet de toute dérive génocidaire. Or les propos prêtés à l’Ambassadeur ne vont pas, hélas, dans ce sens. Ces propos de M. Delahousse – propos sommaires, équivoques, malavisés – ont simplement honteux et jettent de nouveau l’opprobre sur l’image de la France dans la région des Grands-Lacs.

Un commentaire

  1. Tout ce qui n’est pas interdit par la loi est autorisé. Il faut se garder de faire l’amalgame entre les crimes de guerre qui ont été jugés par un tribunal international et par ailleurs ce qui ne demeure que des soupçons étayés de crimes de guerre. Lors de l’émission d’un doute même sérieux dans ce dernier cas il ne peut-être question de négationnisme.