1. La paix n’est pas un complot ourdi dans l’ombre mais un processus transparent, expliqué, démocratique inclusif.

Depuis quelques semaines circulent sur les réseaux sociaux et au sein de quelques cercles diplomatiques des rumeurs sur la signature d’un éventuel accord de paix inter-burundais d’ici juin 2017. Etrangement ces rumeurs précisent même la date arrêtée pour la signature de ce supposé accord et ce avant même l’ouverture des négociations officielles. Nouvelle mise en scène narrative du pouvoir de Bujumbura en collision avec une facilitation discréditée ?

Le fait est qu’à ce jour, sur la table du dialogue, rien : pas d’agenda de négociation consensuellement adopté définissant les thématiques à traiter ; aucun début d’accord même partiel sur les causes de la crise actuelle ; aucune discussion sérieuse sur les questions clés de sécurité, de libération des prisonniers, de traitement des violations des droits de l’homme, de justice à rendre ; rien, oui, rien sur la méthode, la méthodologie et les modalités du dialogue en question, aucune avancée sur l’élaboration consensuelle de la liste définitive des acteurs et parties prenantes à inviter, à convier au processus de négociation… Alors de quel ciel tomberait donc cet accord politique échafaudé et programmé pour juin 2017 ?

Faut-il rappeler qu’au-delà de sa dimension diplomatique et de ses règles de confidentialité, la paix ne saurait être un plan concocté, ourdi dans l’ombre et l’opacité la plus totale avant d’être infligé aux différentes parties en conflit et à la société dans son ensemble ? La paix est toujours un processus transparent et expliqué, un processus politique, démocratique, inclusif. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui en ce qui concerne le Burundi.

2. Un facilitateur ne devrait pas dire et faire ça.

Le processus de dialogue voulu et réclamé par l’opposition démocratique, la société civile burundaises ainsi que par les organisations régionales et internationales a été fortement déstabilisé dernièrement par les propos tenus par Mkapa à Bujumbura ; des propos scandaleux et pervers reprenant les thèses du gouvernement, criminalisant les victimes et pathologisant les défenseurs de l’Accord d’Arusha et de la Constitution.

Qu’importe les raisons personnelles ou idéologiques qui ont conduit Mkapa à tenir des propos de cette nature, des propos aussi désastreux, irrespectueux et indignes, un facilitateur ne devrait pas dire ce qu’il a dit à Bujumbura. Le rôle, le job d’un facilitateur n’étant pas de prendre position pour l’une des parties en conflit mais de s’élever comme tiers neutre, impartial, chargé d’aider les différents acteurs à se parler et à trouver une solution équitable, durable et mutuellement satisfaisante.

Et dès lors qu’un facilitateur rompt ce lien, ce contrat de confiance, et ne respecte plus cette règle basique de neutralité, dès lors qu’il prend position, se transforme lui-même en acteur, en amplificateur du conflit, il perd de fait sa crédibilité et la partie qui se sent lésée est en droit de le récuser purement et simplement ou d’exiger une co-facilitation.

Et ce, d’autant plus que le bilan de Mkapa est décevant : aucune stratégie lisible, aucun plan détaillé de médiation, incapacité à créer des liens de confiance et de collaboration avec l’opposition civile, démarche fermée à l’opposition armée, discours reprenant à son compte l’argumentaire et les stéréotypes du régime de Bujumbura, aucune prise en considération claire de la question centrale à la base du déclenchement du conflit actuel, aucun plaidoyer pour le respect des droits de l’homme…

3. La paix ne saurait être la consécration de l’impunité.

Des Burundais ont été arrêtés, torturés, assassinés par des structures du pouvoir. Des femmes ont été martyrisées, violées. Oublier tous ces crimes au nom de la paix relèverait d’une faillite morale et politique totale. Agir ainsi serait encourager l’arbitraire, l’abus de pouvoir, la culture de la cruauté et l’esprit de vengeance. La perspective de la signature d’un accord de paix ne saurait en aucun cas constituer un mécanisme de blanchiment des crimes commis. Que les rumeurs de paix actuelles donc, ne servent pas, après la stratégie du chantage et du retrait de la CPI, à enterrer les poursuites judiciaires internationales contre les responsables des crimes commis au nom de l’encouragement d’un hypothétique processus de paix. Cela relèverait d’un grave renoncement aux valeurs de respect de la vie, de droit à la justice, d’un manque de respect dû aux victimes et d’une véritable duperie.

La justice et le respect des droits de l’homme constituent le socle de toute paix durable et un éventuel accord politique ne sera crédible que s’il rend possible l’identification et les poursuites judiciaires contre les principaux auteurs des crimes commis depuis le 25 avril 2015 ainsi qu’une réelle prise en charge de la demande de justice des victimes. En aucun cas la justice et la paix ne sauraient être présentées, figurées, représentées comme des objectifs incompatibles ; la justice et la paix sont, au contraire, des exigences liées. Et c’est seulement en luttant contre l’impunité qu’on permet à une société fracturée de panser ses blessures, de traiter sereinement son passé, de retrouver la paix avec elle-même et une certaine confiance dans l’état de droit.

Et ne pas oublier que dans cas-ci, on parle de crimes extrêmement graves ; on parle d’actes de torture, de crimes contre l’humanité, d’actes de génocide, crimes imprescriptibles au regard des obligations de la justice internationale et du droit africain.

4. La sécurité pour tous.

La protection et la sécurité pour tous est un élément essentiel de la paix. Or certains corps de défense et de sécurité burundais sont impliqués dans la commission des crimes constatés. Les équilibres en matière de sécurité établis par l’Accord de l’Arusha ont été complètement déstructurés, détruits par le régime actuel. La reconstruction de ces équilibres est une priorité majeure, fondamentale, indispensable pour recréer un sentiment de sécurité. Cette démarche implique l’inclusion dans les négociations des groupes armés constitués notamment d’officiers et de militaires dissidents car attachés à l’Accord d’Arusha et par de jeunes fuyant la féroce répression du régime de Bujumbura.

5. Accentuer la pression sur le gouvernement.

La crise actuelle est partie d’une volonté de captation du pouvoir par le clan actuellement en place pour des raisons à la fois de prédation économique et idéologiques. Une évidence : les membres de ce clan ne renonceront à leurs ambitions que contraints et forcés par des pressions locales, régionales et internationales fortes.

Nous sommes face à un groupe déterminé à demeurer au pouvoir à tout prix et doté d’une stratégie protéiforme, à la fois délirante et froidement réfléchie, évoluant et alternant, selon les objectifs en vue, menaces, intimidations, violence extrême, violence verbale, stratégie de la surenchère, ruse, corruption, négation des faits, manipulation et tromperie.

Que les membres de ce clan se retrouvent coincés et confrontés à un rapport de force défavorable et, aussitôt, ils changent de ton, remisant pour un moment au rayon des objets encombrants, l’exhibition de leurs muscles, les injures, les intimidations et les propos haineux. Stratégie de l’escargot : «Il faut faire comme l’escargot, dixit Nkurunziza. Quand il y a une bourrasque, l’escargot rentre ses antennes à l’intérieur de sa carapace, à l’intérieur de son refuge avant de les ressortir dès qu’il refait beau.»

Et suite au mauvais temps dû essentiellement aux multiples pressions internationales subies, la stratégie du régime de Nkurunziza est manifestement en pleine reconfiguration. Ajustement stratégique visant notamment les objectifs suivants : demeurer maître du calendrier politique, desserrer l’étau des sanctions économiques dont les effets commencent à se faire sentir, pousser l’Union européenne à ne pas couper les fonds consacrés à l’Amisom, desserrer l’étau judiciaire international, affaiblir et diviser l’opposition. Et toujours la même méthode transversale mixture de victimisation, de négation des crimes commis, d’accusation, de culpabilisation des opposants et du monde entier, de chantage et de diplomatie sournoise. Chantage perfide à la nord-coréenne, le but étant d’extorquer les financements internationaux en grondant et menaçant d’aller frapper à la porte d’autres possibles bailleurs, notamment du côté de la Russie et de l’Iran, ou alors de trouver d’autres sources de financement par le biais des moult trafics délictueux habituels du régime. Chantage également et sortie de la CPI…

Que progressivement les organisations régionales et internationales ainsi que la diplomatie internationale, harcelées ainsi, finissent par céder à cette stratégie du chantage et de la surenchère, et elles auront contribué à rallonger la durée de vie d’un régime de terreur en sécession morale et politique par rapport à toutes les normes internationales convenues et partagées de respect de la vie.

Mais est-il vraiment réaliste d’espérer, par exemple d’une organisation régionale telle l’Union africaine, une autre politique que celle de la collaboration avec le régime actuel ? N’est-ce pas là faire preuve d’une certaine naïveté ?

A ce jour, la politique de l’Union africaine au Burundi est illisible et erratique : courageuse à ses débuts, ensuite en retrait et parfois conciliante avec le régime de Bujumbura. Nkurunziza a trouvé, au fil des mois, des fervents défenseurs au sein de l’institution africaine, avec en première ligne le fantasque Président gambien, Yaya Jameh ; Jameh, l’homme qui vient de perdre l’élection présidentielle en Gambie, de reconnaître ensuite sa défaite publiquement avant de se raviser et de déclarer que, bon finalement, tout bien réfléchi, il avait changé d’avis et ne partirait plus, ne quitterait plus finalement le pouvoir. Et Jameh n’est pas, hélas, le seul fantasque président africain siégeant au sein de l’institution continentale.

Nyerere avait-il finalement raison en déclarant autrefois que l’OUA – ancêtre de l’UA – était plus un syndicat de défense des intérêts des chefs d’Etats africains qu’une organisation réellement panafricaine au service des citoyens et de l’idéal panafricain ? L’UA ne serait-il en fin de compte qu’un machin tropical fermé de protection mutuelle des chefs d’Etats africains, plus soucieux de la défense de leurs intérêts personnels que du sort de leurs populations ? Lors de l’extermination des Ibos au Nigéria, il n’y eut à l’époque que Nyerere, Houphouët-Boigny et Kaunda pour élever la voix. Et en 1994, lors du génocide des Tutsis du Rwanda, ce fut le silence le plus total.

Et quid de l’Union européenne ? L’Europe a fait ce qu’elle a pu au Burundi ; elle a, incontestablement fait mieux que l’Union africaine. Elle aurait sans doute pu faire plus en apportant un soutien franc à l’opposition démocratique burundaise. Aider les forces démocratiques du Burundi est la meilleure voie pour prévenir le surgissement de nouveau du pire sur la scène de l’histoire. Car ne l’oublions pas : on parle dans ce cas-ci de menace de génocide, d’un pouvoir menaçant publiquement par la voix de ses principaux responsables d’extermination ses opposants et les Tutsis ; on parle d’un pouvoir massacrant à ciel ouvert depuis des mois en toute impunité. Et l’histoire nous apprend que le crime de masse finit par surgir lorsque face aux tueurs, face à la monstruosité de leur projet proclamé ne s’élève des autres nations que le silence et la passivité. Plus que jamais il faut non pas desserrer l’étau mais accentuer les pressions sur le régime de Bujumbura pour l’obliger à arrêter sa répression et à revenir au respect et à la mise en œuvre de l’Accord d’Arusha. Pressions. Continuer, maintenir, accentuer les pressions car on n’arrête pas un processus génocidaire par la collaboration ou la simple conversation diplomatique. Les bourreaux ne sont pas des gentlemen.

Entretemps, hélas, des Burundais continuent d’être traqués et de mourir chaque jour pour délit de faciès et d’opinion.