Pour son dernier meeting avant le premier tour de la primaire, Alain Juppé avait choisi Lille. En terre socialiste, dans un Grand Palais chauffé à blanc, il s’agissait pour le favori des sondages de clore une longue, très longue campagne. Vendredi soir, sur les visages des militants, la satisfaction du travail bien fait côtoyait ainsi les cernes, souvent profondes. La fatigue est là. «Certains sont sur le pont depuis plusieurs mois. Les dernières semaines ont été intenses. On est fatigués mais toujours motivés !» racontent deux membres des Jeunes avec Juppé.
Après une arrivée de rock star aux cris de «Juppé Président !», le maire de Bordeaux jette ses dernières forces dans la bataille. La salle est pleine (1.500 à 2.000 personnes selon les estimations) mais, étrangement, les premiers rangs sont surtout garnis de seconds couteaux. Grand absent du soir, Xavier Bertrand. Soucieux de ne pas se «faire instrumentaliser», le président de la région Hauts-de-France a refusé de choisir un candidat. En off, d’aucuns l’estiment vexé de ne pas jouer les premiers rôles dans le dispositif de l’ex-ministre des Affaires étrangères… En fait, Bertrand a suivi le sens du vent, dimanche, il aurait voté Fillon.

Sur scène, comme au Zénith de Paris lundi dernier, Juppé a repris son fameux gimmick, vieillot mais efficace : «J’ai la pêche !». Un écart de langage exceptionnel pour ce passionné de high culture. Le natif de Mont-de-Marsan aime les belles lettres, pas de raison de le cacher, alors il le dit et le répète à la tribune et se fait applaudir. A l’écart, Valérie Létard, sénatrice du Nord et ancienne secrétaire d’Etat, explique les raisons de son soutien : «Nous sommes optimistes ! Tout au long de sa campagne, Alain Juppé a montré qu’il était le plus à même de restaurer le rôle du Président. Un rôle très abîmé dernièrement… Lui en a la stature.»
Comme pour prendre du recul sur ces derniers jours intenses, Gilles Boyer a, quant à lui, fui le premier rang. Pensif, le directeur de campagne d’Alain Juppé, homme clé du dispositif, observe la scène du fond de la salle. Il lâche : «C’est sympa de faire campagne mais désormais, on veut connaître le résultat !» Il n’en dira pas vraiment plus, visiblement prudent. Il est vrai que ces ultimes moments avant le résultat de dimanche constituaient un périlleux exercice d’équilibriste. A la manière d’un maillot jaune du Tour de France avant l’ultime étape sur les Champs-Elysées, il s’agissait de «ne surtout pas chuter dans les derniers kilomètres de course» commente le maire de Roubaix, Guillaume Delbar. Et le local de l’étape d’évoquer ensuite la «méthode chiraquienne» d’un Juppé qui a ratissé le pays à la rencontre des français. «Un travail de fond» explique t-il. A nous de décrypter le sous-texte : un travail de fond qui va forcément payer.

 

Si l’on se méfie déjà de la bonne dynamique de François Fillon, personne n’imagine véritablement le «collaborateur» sarthois éliminer Nicolas Sarkozy : il est jugé trop rigide, trop conservateur… Au milieu des militants, ordinateur posé sur les genoux, Aurore Bergé s’active. La chargée de la campagne digitale d’Alain Juppé live-tweete les discours. Lorsque le hashtag officiel de la soirée, #AJLille, passe en tête des mentions sur Twitter, son visage s’éclaire. À ses cotés, un de ses collègues jubile : «Voilà, on est premiers !» lance-t-il sur le ton de la satisfaction. Premier vendredi, «Péju» se retrouvera second au soir des résultats du premier tour de la primaire de la droite et du centre. Une demie-surprise. Depuis le vote en faveur du Brexit, on le sait, les électeurs aiment à donner des leçons à leur classe politique. Ce faisant, ils se tirent souvent une balle dans le pied, mais qu’importe : ils ont exprimé leur mécontentement. Nous avons définitivement quitté l’ère du citoyen éclairé pour rejoindre celle du citoyen excédé…

 

Un citoyen souvent mal ou désinformé, en proie à la rhétorique mensongère de la fachosphère. Face à la calomnie qui en fait un agent des Frères Musulmans et de l’islamisation rampante, «Ali Juppé» s’est ainsi évertué à livrer un ultime discours de fermeté. Sur les questions relatives à la sécurité intérieure, le «meilleur d’entre nous» a montré les muscles, visiblement soucieux de contrer son image de «mou». Au passage, il n’a pas hésité à égratigner ses adversaires, demandant à Nicolas Sarkozy «de reconnaître ses erreurs», taclant les propositions jugées intenables de François Fillon au sujet du nombre de fonctionnaires à supprimer et moquant les idées jugées «loufoques» d’Emmanuel Macron. Après avoir exhorté ses militants à «mouiller la chemise» dans la dernière ligne droite, le discours s’achève. Il aura duré 45 minutes. Une Marseillaise et hop, le candidat Juppé, visiblement satisfait de son escapade lilloise, s’en va rejoindre ses pénates bordelaises. Puis Paris.
On connaît la suite. Face à un adversaire qu’il n’attendait pas, l’ancien ministre des Affaires étrangères va devoir batailler. Il a désormais une semaine pour convaincre…

 

Un commentaire

  1. Si, comme on l’entend bruire, Fillon est le copié-collé d’une Le Pen alignée sur les positions d’un Parti conservateur pour lequel sa communauté nationaliste réserve un grand remplacement des familles, Fillon n’en est que plus légitimé dans ses bottes de Républicain. Si, dans l’écho des vannes ouvertes, Juppé se coule dans les valeurs d’une gauche réformiste dont il ne s’est jamais remis qu’elle lui eût spolié le territoire social-libéral, — on n’empiète pas sur un champ de labour, — Juppé n’en est pas moins devenu le clone d’un Président usagé comparé auquel sa réinitialisation peut passer pour une reprogrammation. Pour cette raison même, ne croyons pas qu’il nous suffise d’instagrammer quelque photo jaunie des années 1980 pour ternir l’image d’un candidat à la présidentielle qui n’a, lui, jamais introduit sa tête dans le portrait décapité du dernier des géants. À ce compte-là, l’actuel PM ne serait pas aussi frais qu’il aime à le rappeler au Micron dont, paradoxalement, il traite la macronite aiguë. Bah… qu’on se rassure! Fillon n’est pas Le Pen, et c’est tant mieux car il sera beaucoup plus aisé à un fils de Mai 68 de rencogner Tante Yvonne dans son corset que de chasser de ses propres rangs une horde d’anars qui ne détestent le pouvoir qu’à travers ceux qui l(e leur) ont pris. Qu’évoquent les bras levés au ciel du général Fillon aux yeux d’une France qui ne saurait même plus se lennoniser un double doigtage churchillien? Quand le passé disparaît dans l’oubli, son rappel à notre bon souvenir peut faire figure de renouveau, or qu’avons-nous d’autre que nos propres figures pour nous réinventer? Ne perdons pas notre sale temps à fuir l’efface-à-face! Car le dernier autoportrait de Rembrandt est aussi le plus récent et, par voie d’inconséquence, le plus jeune de sa galerie introspective, il se réserve la possibilité de surprendre ceux qui pensaient le connaître quand ils s’étaient tout juste complu à le reconnaître. Juppé s’est planté avec la Bosnie et avec le Rwanda. Il coupera l’herbe sous le pied à ses accusateurs en rectifiant ses erreurs de jugement si lourdes de conséquences, s’attachant désormais à réparer le monde au prisme d’un soutien actif aux démocrates libyens et syriens, par un refus très net de prêter main forte aux dictateurs en place, et tant pis pour la sacrosainte interrelation d’État à État prônée par l’Internationale souverainiste! on n’anéantit pas la globalisation fasciste par la restauration du panarabisme baas en Syrie ou par la contagion du delirium panrusse en Eurasie. En d’autres termes, Juppé c’est Hollande en mieux, du moins dans l’esprit d’un Français moyennement informé sur les pôles d’incompétence du premier et copieusement désinformé sur l’efficacité redoutable des fusibles du Président qu’on ne voit jamais venir.