À notre époque, peu de chroniqueurs, peu d’hommes et de femmes de presse prennent le temps de s’arrêter sur des livres qui ne sont pas dans le courant, dans la mode du moment. Qui ne parle pas aujourd’hui des Cahiers noirs de Heidegger et des livres qui sont dans le sens de l’événement. Peu parleront donc des mémoires d’un grand biologiste qui fêtera ses 92 ans en avril prochain. Faut-il rappeler que François Gros entra à l’Institut Pasteur à la fin de la guerre, qu’il eut André Lwoff pour patron, François Jacob et Jacques Monod pour confrères (et amis), qu’il en fut nommé directeur général à la fin des années 1980, qu’il fut ensuite professeur au Collège de France, qu’il entra à l’Académie des Sciences en 1979 et en fut Secrétaire perpétuel de 1991 à 2000. Un autre aspect de la biographie de cet homme si discret et modeste, qualité des vrais grands, est qu’il fut conseiller scientifique du candidat François Mitterrand et qu’il le demeura officieusement après son élection à la présidence de la République. Dans ce livre quasi intimiste, il a aussi une phrase lourde de souvenirs terribles sur son implication dans le drame du sang contaminé, dont il fut complètement innocenté.

Le premier chapitre tout à fait scientifique autant que didactique, nous rappelle ou nous enseigne ce que le commun des mortels ne sait pas toujours, « quand la biologie est devenue moléculaire ». Le passage des antibiotiques à la biochimie puis le passage du code de l’ADN à un intermédiaire moléculaire, l’ARN ribosomial ou particules cytoplasmiques. On sait que François Gros fut l’un des inventeurs de l’ARN messager dans le laboratoire de Jim Watson à Harvard (1960) alors qu’au même moment sur la côte ouest américaine, trois autres chercheurs identifièrent les ARN messagers : Sydney Brenner, François Jacob et Matthew Meselson (p. 16-17).

François Gros a cette faculté de se mettre en scène même dans des situations cocasses. Par exemple, lors de la première conférence scientifique de sa carrière, il tomba de l’estrade car il reculait sans regarder derrière lui, pour aboutir aux pieds de Sir Alexander Flemming. On imagine l’hilarité générale, qui, loin de lui nuire, lui conquit l’auditoire et aussi Flemming, l’inventeur de la pénicilline.

L’humanité de ce grand biologiste se fait sentir à chaque page, derrière le savant, qui fut aussi le chargé de mission scientifique officiellement de Pierre Mauroy, officieusement du Président François Mitterrand, puis d’autres de ses Premiers ministres, Laurent Fabius et Michel Rocard, qui venant d’être nommé à Matignon, lui proposa d’être secrétaire d’Etat pour la Prévention des risques, ce que François Gros déclina, préférant son enseignement au Collège de France à un portefeuille ministériel.

Au fil des pages, François Gros retrace son parcours de biologiste dressant des portraits des grands noms avec lesquels il travailla.

Tout à coup, le voici qui réfléchit à haute voix sur les deux implantations majeures de sa vie professionnelle : l’Institut Pasteur, dans le XVe arrondissement, et l’Institut, dans le VIe, où il choisit d’établir son bureau à sa retraite du Collège de France, si l’on peut parler de « retraite » pour François Gros, chaque jour présent quai de Conti avant 9 h 30 du matin. Outre la chance qu’il a d’avoir été Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences, qui met à sa disposition un bureau à vie, il faut encore la santé pour pouvoir travailler, comme il le fait à un âge où la grande majorité des êtres humains n’y parviennent plus, établir des rapports complexes, assister à de nombreuses réunions, être invité à ouvrir ou conclure des symposiums internationaux, le plus souvent tenus en anglais, la langue par excellence de la science, comme l’on sait. Pour ses 90 ans, l’Académie des Sciences organisa même un colloque en son honneur, invitant de nombreux de ses anciens disciples ou confrères américains, israéliens, ou d’ailleurs, le tout en anglais.

À partir des années Mitterrand, François Gros eut des responsabilités importantes dans les commissions croisées avec l’Inde et le Japon en particulier, commissions qu’il co-présida de longues années, et il eut depuis longtemps des responsabilités importantes en ce qui concerne le Conseil Pasteur/Weizmann, entre la France et Israël. C’est au bénéfice de ces années d’expérience, qu’il décida d’étendre à l’Afrique ce qu’il avait entrepris avec l’Inde. Ainsi en 1996 le Comité pour les pays en développement (COPED) fut-il créé grâce à lui et à quelques autres dont Françoise Burnol et Odile Macchi, qui le co-préside aujourd’hui. Le COPED changea de vitesse en 2009 grâce à l’apport des physiciens qui voulurent procéder à un état des lieux de la recherche dans les pays d’Afrique francophone mais aussi anglophone. Après le Sénégal en 2012, Cotonou accueillit en 2015 le forum touchant « à la valorisation et à la préservation des ressources naturelles » sous l’égide de l’Académie nationale des sciences, des arts et des lettres du Bénin.

François Gros écrit à propos des richesses de l’Afrique, que « sa valorisation implique donc, au stade actuel, une dépendance étroite des compétences extérieures. Or une Afrique qui aspire à devenir compétitive au niveau mondial ne peut plus se contenter d’être pourvoyeur de ressources « brutes »(…). Elle doit pouvoir assurer également, avec l’aide de ses propres ingénieurs, certaines transformations de ses matières premières pour en tirer une valeur ajoutée » (p. 148).

Dans la toute dernière partie de son livre, notre auteur a l’accent serein de celui qui contemple le chemin parcouru pointant du doigt les projets qu’il laisse aux jeunes générations de chercheurs. Il s’est décidé à écrire une vingtaine de pages tirées de sa mémoire personnelle, de ses amitiés les plus hautes, consacrées à trois hommes auxquels il eut un destin lié sur plusieurs années : François Mitterrand, Elie Wiesel et Ephraïm Katzir, dont il dit : « Peu d’hommes ont trouvé chez moi une résonance d’amitié et de respect aussi profonde. » Il y raconte pour la première fois ses déjeuners privés avec François Mitterrand ou encore les invitation de celui-ci à l’accompagner pour quelques voyages d’Etat, dont celui au Japon, au début des années 1980. C’est dans le sillage de Mitterrand, que François Gros rencontra Elie Wiesel avec lequel il créa l’Académie universelle des cultures sous l’égide du président Mitterrand et de Jack Lang. L’Académie vécut dix ans jusqu’au début du quinquennat de Jacques Chirac, en 2004, où elle fut, fautes de moyens, dissoute. Cette Académie universelle des cultures avait cru pouvoir être le lieu physique et mental de la rencontre des plus grands penseurs, artistes, scientifiques du monde, de Béjart à Menuhin et Jorge Semprún, d’Umberto Eco à Aung San Suu Kyi ou Salman Rushdie, de Toni Morrison à Mario Vargas Llosa ou de Yûjiro Nakamura à Wole Soyinka. François Gros en fut la conscience et la caution scientifique auprès de Wiesel. Ce fut un grand rêve…

Bien avant d’être Président de l’Etat d’Israël de 1973 à 1978, Ephraïm Katzir fut un éminent biophysicien. Une longue amitié lia les deux scientifiques et François Gros raconte que, devenu président, Katzir vint un jour le chercher vers 5 ou 6 heures du matin à son hôtel, pour l’amener avec sa voiture personnelle à l’aéroport, où on ne l’a pas laissé passer en zone d’embarcation car il n’avait ni sa carte d’identité ni son service de sécurité… Ah ces scientifiques rêveurs et merveilleux !

Ce livre fourmille de mille anecdotes comme il foisonne de récits de découvertes qui ont changé le cours de la biologie ou de la biochimie moléculaire. C’est un autoportrait de haute portée qui nous est donné de lire ici, celui du dernier témoin de toute une époque qui comptait avec Jacques Monod, François Jacob, André Lwoff et beaucoup d’autres très éminents chercheurs. Et si cet autoportrait nous touche tant c’est qu’il est ouvert sur les autres, non seulement sur les plus illustres mais aussi sur les collaborateurs plus humbles mais non moins capitaux dans une vie d’homme, dans une vie au service de ce que la science a de plus haut.

2 Commentaires

  1. Que l’ennemi de l’antérieur attende du peuple juif souverain qu’il restitue la Palaestina romaine aux ex-colons de peuplement des empires islamiques, ceci est entendu. Qu’il ait donc la bonté de m’ignorer, partant que mon message s’adresse à ceux qui, avec l’immense majorité des Israéliens, prennent ce mal qui n’est pas le leur en patience jusqu’à ce qu’un leader dit palestinien profite de la force des Juifs pour obtenir, après eux, la souveraineté dans ce qu’elle a de meilleur : la liberté — de forcer le destin commun de manière peu commune, résolument singulière, s’appuyant sur la singularité d’un esprit ouvert à la disputation constructive, et néanmoins spécifique, un esprit éclairé par les mécanismes inhérents à sa conception — propre à tirer le Caporal épinglé du jeu des Chaises musicales.
    Tous systèmes politiques ou régimes dérivés doivent être appréhendés comme les candidats à la présidentielle d’un État de droit. En bout de course, il n’en reste qu’un. L’État islamique d’Iran était parfaitement conscient du fait que, sans l’amorce d’un sérieux virage dans sa communication, il n’aurait jamais été à l’affiche de la prochaine saison du TNP (Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires) ni obtenu le feu vert des nations pour prendre part à la course aux armements doigteusement antinucléaires. Parvenus à ses fins, l’ennemi de l’ultérieur n’a, pour le moment, aucune raison de quitter la grimace de son oxymoron, lequel extrémisme modéré passe pour de la modération extrême en Dyslexie occidentale. Offrir la possibilité aux femmes endoctrinées d’entrouvrir leurs lèvres en période électorale fera probablement passer Dieudonné Rohani pour un Gorbi persan. (Frottement de mains). Dès l’instant que ces dames confortent l’antisionisme d’État derrière le bouclier humain de leur irrésistible vulnérabilité, le réformisme à l’Iranienne devrait poursuivre sur sa lancée. La chute de Daech n’étant pas négociable, son avènement coïncidera avec l’érection de Nasrallah en général héroïque des crypto-armées perses. Avec, pour couronner le tout*, une petite visite d’État en Dyslexie occidentale, ça ne mange pas de pain. Le méta-empereur des Aryens a, par ailleurs, compris que s’il s’y prenait comme Abou Mazen, lequel proscrit l’anglais pour l’hommage solennel rendu au SS-Grossmufti, le soutien indéfectible des EX-PERdanTS DE L’IRIS lui était acquis. Malheureusement, l’accès à la Méditerranée fut de tout temps une obsession mésopotamienne, et le barrage d’un tel accès à une théocratie terroriste invétérée pourrait bien devenir la hantise des rivages qui en feraient les frais.
    La démocratie n’advient pas là où elle n’est pas advenue. Les blocs totalitaires ont eux aussi développé des modes d’adaptation propres à les maintenir en vie au franchissement d’une interminable tempête. L’URSS n’est plus, ce qui n’empêche pas Homo sovieticus de résister au péril de l’Ouest. À sa décharge, l’enjambeur du corps inanimé de Boris Nemtsov n’a jamais été en situation d’intégrer l’idée qu’un Parisien puisse sympathiser avec les Rolling Stones sans pour autant piétiner le fantôme d’Édith Piaf. L’un n’est pas condamné à s’effacer devant l’autre quand les deux voient augmenter leur degré de définition sous l’effet de l’interpénétration intragénomique. Ainsi, Noureev ne se sentira pas poussé à renier Moscou pour imposer sa griffe au sein de l’école française et Paris n’abdiquera pas son règne opératique en passant sous son étoile slave. Incorporer ce paramètre dans les raisonnements diplomatiques est une autre façon de faire face à l’annonce de la réactivation de la fatwa contre Salman Rushdie. Le jour où un mathématicien émérite aura la possibilité de démontrer la validité d’une solution à deux États dans un amphithéâtre de Téhéran sans aller se faire pendre à Tabriz à la descente d’estrade, faites-moi signe. En attendant, ce ne sont pas quelques centaines d’expats économiques harnachés à la charrue antivagues de l’ère postcoloniale qui me feront décamper de mes positions.

    • * Par le tout, j’entends la stratégie impérialiste du Grand Roi, extraction de la tumeur israélienne comprise.