Je vois bien, depuis mon passage chez Laurent Ruquier, qu’une phrase de mon dernier livre a pu choquer : la phrase où, revenant sur l’affaire du sang contaminé, je vois dans la façon dont certains ont voulu y impliquer, à toutes forces, Laurent Fabius la remontée d’un refoulé antisémite.

Sur le fond, je ne retire rien : cf. ces Unes de journaux d’extrême-droite représentant l’ancien Premier Ministre en vampire au nez crochu et aux griffes sanguinolentes ; cf. cette visite en Iran, des années plus tard, où l’on vit la presse du régime des mollahs s’emparer de ces dessins et les reproduire à grande échelle ; cf. ces tracts de campagne électorale distribués dans les boîtes aux lettres et qui, bien avant que le socialiste George Frêche lui trouve une « tronche pas catholique », le présentaient comme coupable, forcément coupable, d’une nouvelle version du tristement fameux « crime rituel » imputé depuis des millénaires aux Juifs.

Sur la forme, en revanche, il y a un mot que je regrette car il a été mal compris – c’est le mot « obscure » associé à cette affaire : j’entendais par là, dans le traitement médiatique de l’histoire, le retour d’un imaginaire obscur aux commentateurs eux-mêmes ; je pensais à l’imbroglio politique que d’aucuns se sont efforcés d’y ajouter et qui n’eut pour effet que d’obscurcir un scandale sanitaire sans précédent et terrible ; mais je ne voulais évidemment pas dire que cette tragédie, avec ses centaines d’hémophiles et de transfusés morts ou en sursis, fût, en tant que telle, « obscure » ; je ne songeais pas un instant, comme on me le reproche sur Yagg, à « nier » le calvaire des victimes, puis des familles de victimes, auxquelles rien ni personne ne rendra jamais vraiment justice ; et si j’ai pu donner à penser cela, si certains ont pu en être offensés, je leur demande d’accepter mes excuses et rectifierai, sans tarder, dans les réimpressions du livre.

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  1. LETTRE OUVERTE À M. LÉVY

    Ce n’est pas l’argent qui corrompt le monde
    C’est autre chose

    Cher Monsieur Lévy,

    LE PLUS ILLUSTRE des Juifs de France a de nombreux détracteurs et autant de thuriféraires, mais il n’a guère de contradicteurs. Non que vos détracteurs aient tout à fait tort, car les thuriféraires peuvent tout aussi bien, à leur manière, avoir un peu raison. Mais, c’est un fait, personne n’est ni convaincu ni content, moi le premier.
    C’est pourquoi je vous adresse cette lettre, ouverte à tous vents, pour vous communiquer les réflexions que m’ont inspirées vos récentes contributions dans la presse écrite —Libération et le Figaro, Le Soir en Belgique— à l’occasion de la sortie de votre dernier livre, L’esprit du judaïsme.
    Je vous l’adresse aussi parce qu’il m’importe —il nous importe à tous— de rectifier certaines contradictions, et de rétablir certains pans oubliés de l’Histoire, attestée, par la Bible tout spécialement, ou non, transmise par tradition dans tous les cas, dont la transcendance est, comment dire ? particulièrement universelle. Il m’importe aussi de rendre justice à l’héritage juif, sans pour autant renoncer à rendre compte de l’étendue et de la nature d’une partie de son influence, dont les Juifs ne portent la responsabilité ni n’en ont la maîtrise, cependant qu’un autre Juif et illustre viennois, en des temps pas si distincts ni distants, en eut une funeste prémonition. C’est le père Juif, que vous incarnez sans doute à votre insu, et à qui je m’adresse en cette occasion avec l’Histoire comme seul témoin, qui est le fil conducteur de mon monologue. —Monologue, sans doute, un peu surfait par moments, tant il y a rassembler pour dire juste assez sans trop en dire, tout dire étant toujours réversible.

    Permettez-moi de préciser dès l’abord —car les mots sont traîtres et la paroles faciles— que cette démarche mienne ne constitue en aucune façon un plaidoyer à charge, d’abord parce qu’il serait inutile, ensuite et surtout, parce qu’il serait injuste : fidèle au moto que je fais mien depuis bien longtemps, d’assomption difficile, je pense que la bonne foi de quiconque n’est pas à mettre en doute, la vôtre pas plus que la mienne : de l’esprit du judaïsme —bien que, voire parce que, je suis baptisé chrétien et tout porté vers les religions du Livre—, j’en suis si imprégné moi-même que le dernier mot ne m’en viendra qu’avec le dernier souffle. Or, ce qui me frappe depuis que je m’y intéresse plus ou moins consciemment, c’est que ce ne sont ni les Juifs ni le Chrétiens qui en comprennent le mieux l’essence, mais les Arabes —je ne dis pas les musulmans, qui le subissent mieux qu’ils ne le comprennent. Mot ‘arabe’ dont il faut, dès à présent, car ce ne peut être que hasard significatif, souligner la parenté radicale avec le mot ‘hébreu’, à la métathèse près, dans les deux langues :
    צרב / צבר — عرب / عب ر

    L’arabité est donc au cœur de la judéité. Tout en témoigne, passé et avenir. Le présent, parce qu’il se termine toujours là où il commence, nous n’en parlerons pas avant d’y revenir.

    I— La part de vérité que porte le Juif dans le monde opère par le père…

    Ce qui, à vous lire, m’a le plus frappé, c’est ce fossé abyssal entre le souci que vous exprimez quant aux maux assaillant le monde autant que votre peuple, et la manière, à mon sens gauche et contreproductive, à première vue hypocrite —mais je n’y crois pas une seconde— dont vous vous y prenez pour prétendre les soulager. C’est une constante que l’on retrouve dans toute analyse sérieuse de la judéité. Une première explication consisterait à dire, comme ça a été maintes fois affirmé, que les Juifs sont les premiers instigateurs des drames qui jalonnent leur histoire, et que, à ce titre, ils ne méritent pas plus de compassion que celle due aux prisonniers de guerre sans les bénéfices de la victoire. Il y a du vrai, et même beaucoup de vrai —mais cela ne l’est-il pas aussi pour le plus commun des souffreteux, des mendiants acceptant la condition de leur aumône ?—, à la condition toutefois de bien voir que l’instigateur est en réalité un instigué, barbarisme de circonstance, qui n’est pas sans rapport avec ce miroir inversé qu’est l’état construit de la langue hébraïque. Cette explication, toutefois, tout en ébauche de pardon et ratage de contrition, me paraît insuffisante car elle réduit le Juif à être l’acteur, fût-il dupe, de son histoire, alors que, comme tout être de parole, il en est plutôt le patient.

    Mais un patient… très actif. Actif quand il pense incarner le savoir de la parole, indétachable de la langue, donc de l’hébreu classique, dont il semble ignorer pourtant, non pas combien, mais comment, par cette langue, il se disgingue de ceux qui l’environnent : à la faveur d’une diachronie qui vit disparaître ses désinences casuelles au profit de mutations phonologiques, la langue hébraïque est, à notre connaissance, de toute l’aire linguistique, la seule où la rection nominale, tout en imposant sa marque éventuelle au mot régi, se distingue par le fait que le mot recteur, ou soutenant, est celui qui correspond, sémantiquement, dans les autres langues, au mot régi, ou complément, la fraction typique partie/tout qui est l’usage le plus commun du génitif, s’en trouvant ainsi renversée. C’est là une inversion de forme qui a sollicité notre attention depuis bien longtemps, et qui, pour entraîner aussi, et nécessairement, une inversion de sens, s’avère être une sorte de paradigme de psychologie sociale. C’est la main du Christ maintenue dans l’ignorance aveugle de ce que fait l’autre main. À ce titre vous avez mille fois raison de dire ou rapporter que « le chrétien reste un Juif dérivé ». Mais, au même titre, vous êtes vous-même un peu chrétien, comme semble avoir pressenti ce membre de votre famille dont vous qualifiez d’incompréhensible la conversion. C’est peut-être cela qui fait souvent passer le Juif pour ce il n’est pas, voire pour ce qu’il est, conformément au délicieux et non moins corrosif humour juif.

    Actif aussi, par cela qu’il croit être parole de savoir, en laissant entendre, comme vous le faites quelque part, que le judaïsme n’est pas un particularisme mais un universalisme, du fait que l’identité juive tendrait à transcender au-delà d’elle-même par une sorte d’osmose avec toute autre identité. C’est là un bien joli sophisme, tout platonicien, car cela revient à dire que tout particularisme, du fait de partager son caractère de particulier avec tous les autres particularismes, et parce que la caractéristique propre de tout particulier est universelle à tout particulier, tout particulier est universel. Littéralement, ce sophisme, comme tout sophisme, est vrai, comme il est vrai que la plus irréductible idiosyncrasie de l’être constitue l’universel de son espèce, voire que la variété phénotypique rend compte des invariants du génotype. Mais alors nous demandons en quoi l’attachement aux racines et aux traditions des autres ethnies et nations parmi les Gentils seraient à dédaigner, comme vous semblez le suggérer, et à remplacer par une vision plus, non pas communautariste, qui nous ramènerait au point de départ, mais cosmopolite, communaliste et… métropolitaine. Ce dernier mot —que, certes, vous ne prononcez pas— est au cœur de la question, tout au moins si l’on a quelques égards pour l’étymologie, et là gît l’explication véritable, plus loin développée.
    Actif, enfin, quand vous affirmez que « la question n’est pas de croire mais de savoir ». Est-ce un savoir de quelque chose, un savoir transitif, se saisissant lui-même à travers l’objet qu’il croit connaître… et qui l’égare ? Ou bien est-ce un savoir intransitif, opaque à lui-même, mais non au sujet qui s’en sait le support patient, passif ? Le savoir vrai est, à mon sens, intransitif comme le sont les verbes naître, parler, oublier, puis mourir, dits déponents dans les langues anciennes, dont les langues germaniques gardent encore la trace, mais dont la nature essentiellement passive saute aux yeux pour peu qu’on y regarde de près : c’est-à-dire de loin, à une certaine distance du mirage gisant au fond de toute croyance langagière, celui du sujet croyant être et agir, agissant. Mirage qui soutient la variété chatoyante des langues dites ergatives, et qui se manifeste aussi par le caractère éminemment impersonnel de la voix passive dans les langues sémitiques. Intransitif et déponent aussi comme l’est le verbe… être. Être ou savoir, ou les deux ? Je sais que vous savez tout cela : si je vous en parle, c’est pour y prendre appui, de ce que, étant avec vous d’accord sur l’essentiel, et discrépant sur le reste, majoritaire, je garde espoir de vous en faire venir à méditer ce qu’il y aurait à dire quant au mal-dire de ce reste.
    *
    Vous dites aussi que le Juif érudit ne prétend surtout pas connaître le dernier mot. C’est tout en son honneur, et c’est assurément aux antipodes des doctrines révélées, que, avec raison, vous déconsidérez. Mais l’on a l’impression, à vous lire, que vous pensez tout de même le connaître un peu, ce dernier mot. Comment concevoir sinon, vous qui opposez avec justesse ‘populus’ et ‘plebs’, que vous acceptiez de descendre dans la fange de l’actualité, de la marine nationale et de la politique, fût-ce à première vue de la haute politique, qui n’existe pas —que même le grand De Gaulle, Mémoires à l’appui, ne tenait pas en haute estime, car il ne croyait pas au Bien—, si ce n’est parce que vous demeurez convaincu de l’exception du dernier mot du savoir juif comme remède universel ? Je vous crois pourtant sincère, à ceci près, que ce n’est pas tant qu’il n’y en ait pas, de dernier mot, qui vous pousse à l’affirmer, c’est que vous placez à la fin le mot du commencement : בְּרֵאשִׁית, premier mot de la Genèse, dont l’exégèse a occupé et occupe pas mal de lettrés juifs, et vous fait vivre, vous, quels que puissent être par ailleurs vos mérites.

    Car le « trésor secret des nations » que serait, à vous lire, la singularité juive, est, en tant qu’il est secret, la dette contractée par les nations des Gentils, les « chrétiens dérivés », envers les premiers gens du Livre, et facture anticipée du bonheur promis par la politique, établie par les seconds. Mais, en tant qu’il est trésor, il n’est pas simplement talent fructifère ou idéal, c’est un fait de civilisation qui réside dans l’antécédence de ses Écritures, conditionnant celles qui suivent. C’est en ce sens que l’on peut affirmer avec vous que « le judaïsme n’est pas une religion au sens où l’entend aujourd’hui l’Occident » post-chrétien. C’est même l’essence du monde juif, moteur de civilisation. Mais la question demeure de savoir si la civilisation est un progrès : la possibilité de corriger par la typographie les erreurs d’écriture dont a rêvé Gutenberg pour venir à bout de l’écriture cursive —à rebours de l’écriture arabe qui tient à préserver ses ligatures… après avoir perdu un phonème, celui qui nous occupe.
    Vous admettrez sans doute avec moi que contester l’existence —l’existentialité, plus exactement— de Dieu n’est pas pour autant prétexte recevable à s’asseoir dessus, comme ont cru bon de le faire, à leur dépens, certains hurluberlus mal inspirés, et que, peu ou prou, vous avez cru utile de soutenir : pas simplement parce que cela peut blesser la sensibilité d’autrui, argument plutôt faible, mais parce que c’est inconsistant avec le dire de ses prémisses et une insulte à la raison, ce qui est plus sérieux. Car enfin, un vrai croyant croit-il vraiment qu’il y ait une chose qu’on appelle Dieu, suspendue au plafond comme un lampion pour percer les ténèbres ? Si Dieu n’était pas un fait de parole, on pourrait tout se permettre à son sujet. Mais il est un fait de parole, la parole même, c’est même le propre de la prophétie, dont le dit, substantiel et humain, peut être négligé, alors que le dire est, par antonomase, essence de l’universel. Il y a plus de vérité dans les paroles d’un fou que dans la sagesse des philosophes, c’est pourquoi Dieu ne peut être pensé que fou, ça autorise le penseur à se rêver sain d’esprit.

    Permettez-moi donc de vous reprocher de, de cette parole, n’en pas toujours faire un sage usage. Ç’en est désespérant de constater, non simplement l’hypocrisie de surface consistant à soutenir deux intérêts contraires (universalisme vs. particularisme, essentiellement) mais que l’inconsistance, voire l’inconséquence, semblent parfois être la trame même de votre sincérité, sincérité que je me refuse à hypothéquer une seule seconde : personne ne veut le mal, c’est contraire à sa définition.
    En vérité, le nœud véritable du désarroi juif face à l’illisibilité du monde gît celé et replié sur lui-même, dans une dimension du temps qui n’est pas sa mesure, plutôt sa tradition, sa sédimentation en couches successives se soutenant par le déni et l’oubli. Je parle de la culpabilité, passion sans foi ni loi, caractéristique des maîtres plutôt que des esclaves.

    II — Et le mensonge, par l’oubli sans pardon

    Il est temps maintenant de revenir à ce présent qui, pour ce qui nous occupe, date déjà de la ligature d’Abraham, et risque, si l’on ne prend garde, de revenir brutalement… Car si le trésor des nations est un secret bien enterré, il est aussi toujours agissant.
    Nous disons —et je prie le Ciel que vous puissiez l’entendre, car le monde, lui, n’en veut rien savoir— que le génie du judaïsme est à chercher du côté du père, du père sous les espèces du père Juif en raison de l’antériorité de son histoire et de ses Écritures. Sans oublier ses femmes, en particulier celles d’Abraham.
    Les Juifs, fils de Juda, quatrième des douze, plus un, fils de Jacob, qui est second des deux fils d’Isaac, qui est second des deux fils d’Abraham, représentent, dans le meilleur des cas, la douzième partie des fils de la promesse renouvelée à Jacob, en considérant généreusement que celle-ci efface les deux premières faites à Isaac et à Abraham, dont l’aîné n’était autre qu’Ismaël, ancêtre des Arabes. De cela témoigne, notamment, le perspicace développement dialectique et rhétorique, dans la meilleure tradition juive, tenu par le midrash dit Bereshit Rabba, notamment, au chapitre 61, point 7, en prévention du risque que les fils d’Ismaël ne viennent réclamer leur droit d’aînesse. Et de cela se déduit, sans conteste, que la maison d’Ismaël est plus proche d’Abraham que celle de Juda, fait curieusement oublié en 1948, dont on cueille aujourd’hui les fruits amers.

    Nous disons aussi que le déni, pour ne pas dire l’amnésie, frappant la soumission d’Abraham à la trahison de Yahvé qui mangea sa parole, est au cœur de l’influence juive, qui fit advenir le christianisme d’abord, comme dérivation —dont le dogme de la virginité mariale est en contrepoint à la stérilité de Saraï—, puis l’islam, comme épiphanie des appréhensions midrashiques. Déni dont tout l’Occident chrétien est dupe, donc complice, comme le sont les musulmans… et les Juifs. C’est ce déni aussi qui vous fait voir de l’antisémitisme là où, en vérité, ne se révèle que l’envers de la culpabilité. Le terme même d’antisémite est d’ailleurs récusable, les Arabes étant également sémites depuis les origines : sémites à la racine, radicaux, si je puis m’exprimer ainsi. C’est évidemment ce qu’on leur reproche, reproche qu’ils se mortifient à nourrir et à justifier par l’action extrême, à défaut d’en avoir su percer la structure… et faute d’avoir pu reconstituer leur écriture de l’Histoire depuis Ismaël.
    Cet aveuglement généralisé est aussi à l’origine d’un certain panorama politique contemporain où règne la confusion. Et au cœur de la confusion, règne la dualité, d’autant plus opératoire qu’elle est inconsciente, qui doit être explicitée pour pouvoir être désamorcée. Le drame du peuple juif, autant que de ceux avec lesquels il cohabite et partage une même destinée, tient tout entier en ceci, qu’il y a, comme en atteste cet extraordinaire livret de famille qu’est la Torah, les fils du père juif, et les fils juifs de la mère. Nous avons évoqué tout à l’heure le génitif hébreu comme structure grammaticale atypique eu égard aux autres langues, dont sa cousine arabe. Pourtant, si atypique qu’il soit de forme et de résonance sociale, le génitif hébreu ne recèle pas moins la même ambiguïté sémantique que dans les autres langues, quand il s’agit d’établir le rapport fonctionnel entre ses parties. Il est certain que ces « fils » ne sont pas ‘de’ de la même manière s’agissant du père ou de la mère, car le rapport au corps est bien distinct et différencié. Il y a un cordon à trancher ou non suivant le cas, ce qui n’est pas rien. L’on pourrait objecter que cela illustre l’invariant anthropologique par excellence, dont on ne voit qu’il puisse singulariser du tout le peuple Juif. Assurément, mais le peuple juif est le premier, du moins à l’orée de l’Histoire, à l’avoir expérimenté et travaillé dans sa chair, et, surtout, le premier à avoir conservé et transmis des traces écrites qui perdurent jusqu’à nos jours. Pour le plus grand bien de l’Humanité, je l’affirme sans détours et vous rejoins où vous ne le pensiez pas. Mais à condition de bien dire de quoi on parle. Les reproches que se font mutuellement Juifs, Chrétiens et Musulmans, voire Gentils, forment une spirale ininterrompue et cyclique : avec une amorce, attestée, par où tout a commencé. Et n’est pas terminée, car la haine de Dieu a seulement été refoulée en amour de Dieu —ou le contraire, c’est pareil. Dieu est bien Dieu le Père, cher au génie chrétien, et implicite dans l’eschatologie juive —celui que cherche cette proche parente vôtre dont on parlait tout à l’heure—, et invariant, le seul de la condition humaine qui ne soit pas charnel.
    Après cela, invoquer ces concepts baroques de ‘radicalisme’ ou d’ ‘extrême droite’ me paraît quelque peu dérisoire. Et dangereux : Il devrait être clair maintenant que la marine de tout à l’heure n’est certainement pas antisémite au sens habituellement reçu, contre les fils de la mère juive, mais qu’en revanche elle rêve de brûler toute trace du Père pour aussitôt le remplacer en prenant sa place, mouvement qu’elle a déjà amorcé, ce par quoi elle trompe son monde, à commencer par son père, et se trompe elle-même, tout en faisant de vous son allié le plus objectif. C’est avec les sémites de la branche aînée d’Abraham, les fils d’Ismaël, qu’elle rêve de découdre. Là aussi, avec votre complicité naïve, et de tous ceux —dont vous ne faites pourtant pas partie— qui, grands industriels du Mal —the Evil— et ennemis acharnés de l’Humanité, rêvent d’instaurer sur Terre le royaume éternel du matriarcat.

    * *

    Juifs, de la maison de Jacob, fils d’Isaac, vous savez, d’autant mieux que vous l’avez oublié, que le père Juif porte un nom, qui est le nom du père, le nom Juif, qui se transmet par le père, non par le déni ni l’oubli, et que les fils d’Ismaël, déshérités sur instance de votre mère, sont aussi les fils de votre père, donc vos frères. Il vous appartient à vous, Monsieur Lévy, si, comme vous le prétendez, vous aspirez à l’universalité, de le dire, chofar en main au besoin, partout ou chance demeure de l’entendre, au nom du bien-dire.
    …Avant que יהוה —Nom entre les noms, jamais vocalisé, et, d’après Fabre d’Olivet, infinitif du verbe être— ne s’avise de décréer le monde en se retirant, comme vous l’écrivez vous-même, et comme Il a déjà fait une fois quand Il rétracta sans mot dire la première promesse faite à Abraham. L’homme qui a lavé l’honneur perdu de Sigmund Freud disait que le nom du père, on peut s’en passer, à condition de s’en servir… S’en servir soi, faire s’en passer les autres, voilà la mère des trahisons, dirions-nous en apologue.
    Nous sommes donc en guerre… avant de souffler sur les braises. Oui, nous sommes en guerre… enfin, presque, car tout à fait nous n’y serons pas, hélas, de sitôt, alors que tout le monde l’attend : nous sommes seulement dans un genre de guerre.
    L’appel que je vous lance est un défi : le défi d’endosser vos responsabilités devant l’Histoire qui commence.

    Sur quoi, permettez-moi de vous dire : שָׁלוֹם עֲלֵיכֶם, du fond du cœur.

  2. Mon cousin Olivier est mort à l’âge de 14 ans. A l’époque, on a dit que c’était un cancer parce qu’on n’osait pas dire le mot sida. Je vois encore sa mère pleurer sur l’épaule de mon père qui lui disait qu’elle pouvait pleurer dans ses bras, qu’il était là pour ça. J’étais trop jeune pour comprendre en quoi l’hémophilie pouvait bien causer un cancer. Ce ne sont que des années plus tard que j’ai compris que ce n’était pas un cancer dont il s’agissait en tant que tel, et que ce fameux cancer était en fait lié à une autre maladie. En militant moi-même contre le sida, en étant ouvertement homosexuel, j’étais une personne à qui on a pu en parler, et sa mère m’a finalement un jour fait comprendre, sans jamais prononcer le mot sida. Je crois que vous ne vous rendez pas compte ce qu’a été le sang contaminé pour des milliers de familles en France. Vous avez raison de vouloir lutter contre l’antisémitisme mais quel est le rapport avec ce qui s’est passé? Le slogan d’Act Up disait silence = mort. Des milliers de gens ont vécu ce silence pendant des années, parce que certaines vies ne comptaient pas aux yeux du pouvoir en place, et aujourd’hui vous parlez d’une obscure affaire. J’ai lutté comme j’ai pu pendant des années contre le sida, par amour pour des amants, par peur, de par mon histoire, et parce que c’était simplement la seule chose que nous pouvions faire. J’ai eu la chance d’avoir quelques années de moins qu’Olivier et d’avoir connu l’arrivée des trithérapies en 1996. Autrement ma vie aurait été très différente J’ai souvent exprimé ma colère, mais aujourd’hui j’aimerais que cette guerre contre le sida se termine enfin. Je crois que nous sommes prêts du but, et la colère s’estompe petit à petit grâce à la vie avec les gens que j’aime. Mais les mots que vous avez utilisé me font ressentir une très grande tristesse. Ce que nous avons vécu n’est pas un complot antisémite, ni une obscure affaire. Cela restera en nous toute notre vie, parce que nos vies ne valaient rien, parce que nous sommes des minorités qui ne comptent pas, parce que la chance a fait que nous sommes encore là malgré les statistiques et les pronostics, et qu’on est passé au travers sans comprendre pourquoi, et que nous devons vivre avec cette mémoire là. Je ne sais pas comment vous expliquer tout cela. La maladresse de vos mots m’ont fait beaucoup de mal. Je tenais à vous le dire.