Corentin exerce la profession de « vidéaste de mariage ». Il officie avec son parrain Yvan. Les deux hommes filment le bonheur des autres durant l’été, haute saison de la nuptialité. Corentin a 27 ans, Yvan 50. Ils s’entendent bien, se répartissent les tâches lors des noces, le plus jeune en général filme les préparatifs de la mariée tandis que le plus mûr reste avec le promis, ensuite ils œuvrent ensemble, photo de famille, vin d’honneur, discours, piste de danse… Le DVD qu’ils remettront aux époux ne conservera qu’une vingtaine de minutes de la longue journée. Le montage occultera les moments de tension, les blagues grivoises, les dérapages verbaux. Yvan et Corentin créent, et vendent, aux mariés, la quintessence du plus beau jour de leur vie.

Jean-Philippe Blondel excelle dans l’art de mettre en scène la vie contemporaine. Ses personnages ne sont ni dirigeants ni top modèles, ils oscillent entre une banalité terrifiante et une tranquillité de surface. Dans tous ses romans il traque au plus près la faille incongrue. Dans Mariages de saison, les scènes de la vie de province prennent un tour d’acidité tendre, qui est sa marque. La vie, et singulièrement la vie des petits et des sans grade, Blondel la regarde avec ironie et précision. Tout est dans le détail. Par exemple, on remplace le papier peint de la salle à manger, d’un jaune accusant les années 2000, par un gris taupe très en vogue dans les émissions télévisées de décoration des années 2010. C’est une petite note, qui pourrait passer inaperçue, qui n’a aucune incidence sur le déroulé du roman. Ce taupe-là, pourtant, dans sa dénomination exacte des temps ambiants, met l’accent sur le conformisme dont Blondel tente d’extraire ses personnages.

Parce qu’il ne leur en veut pas, Blondel, à ses personnages. Un auteur plus amer, moins empathique, en ferait des tonnes sur la couleur des murs, le moment rituel de la jarretière de la mariée, ou l’attitude de commandant en chef de la belle-mère avant, pendant, et après la cérémonie. Blondel, lui, s’arrête au seuil de la caricature. Il ne veut rien démontrer ni dénoncer, il n’a pas de bile à déverser. Il pointe le ridicule et les travers avec une exactitude tendre.

Dans Mariages de saison, le lecteur assiste à six cérémonies, par le petit bout de la lorgnette. Mariages bourgeois, populaires, ou retardés. Un « mariage pour tous », aussi. On se marie devant le maire, et parfois devant le curé. Corentin regrette de ne pas avoir investi dans un drone qui lui aurait permis des vues planantes sur l’intérieur de l’église. Tel prêtre refuse d’être filmé, car le sacrement, comme son nom l’indique, est sacré. Tel autre, au contraire, biche devant la caméra, et fait un clin d’œil au moment de l’échange des anneaux. Les maires bafouillent. Les invités se lâchent. C’est le grand jour. Même pour ceux qui avaient construit leur bonheur sur l’union libre et qui, à 50 ans, poussés par leurs enfants, officialisent. Le mariage a le vent en poupe. Toutes les statistiques le démontrent. Et l’apogée du mariage, au fond, c’est la fête. Ou les préparatifs de la fête. Le traiteur, la robe, la coiffure de la mariée, le choix du photographe-vidéaste qui immortalisera numériquement la journée. On en est là. Le jour du mariage est un couronnement. Une apothéose. Pour Fanny et Lise, ce jour-là est aussi celui de l’aboutissement d’un combat. La caméra de Corentin, soudain, devient arme : devant elle, les manifestants anti mariage-pour-tous battent en retraite.

Corentin assiste aux jours de liesse, mais sa vie est un petit désastre. Comment construire une relation durable quand on travaille uniquement le samedi ? Quand on doit refuser les invitations du vendredi soir parce que le lendemain, il faut être sur le pont à 6h30, avaler son petit-déjeuner et aller filmer les préparatifs d’un mariage qui n’est pas le sien ? Quand on doit laisser son amoureuse peupler son samedi en célibataire ? Mariage de saison est aussi l’itinéraire d’un jeune adulte quelque peu décalé, sans réelle motivation, sans réelle conviction. Son seul ami, il le néglige. C’est lui, pourtant, qui le sauvera du marasme, des eaux tranquilles et mortifères dans lesquelles Corentin s’enlise. Jean-Philippe Blondel met l’accent, dans son dernier roman, moins sur la génération des quinquas –la trajectoire d’Yvan est bien définie, mais en mode mineur – que sur celle des pré-trentenaires, qui ont la vie devant eux et ne savent qu’en faire. Corentin se cache derrière sa caméra. Plus jeune, au lycée, il caressait l’ambition de devenir réalisateur. Il avait un projet, un sujet. Faire parler ses camarades devant la caméra. Une sorte de Sex, lies and videotape, comme le film de Soderbergh. Alors qu’il avait sans doute oublié ce projet d’adolescence, une jeune mariée s’épanche devant sa caméra, dans une confession juste mais biaisée.

Mariages de saison est un roman bâti en alternance : aux cérémonies plus ou moins apprêtées répondent, en italiques, des chapitres dans lesquels les proches de Corentin parlent à la caméra. L’initiatrice en est la jeune mariée de la première cérémonie, qui tient à déclarer sa flamme à l’homme qu’elle vient d’épouser. Corentin est saisi par la véracité de cet élan, et renoue avec son idée de lycéen. Son ami Alexandre, son parrain, ses parents, une ancienne petit copine, voilà les scripts qui nous sont donnés, parmi la quarantaine de confessions que Corentin collationne. Là, une autre vérité est mise à jour, parfois douloureuse, parfois biaisée, toujours juste.

Mariages de saison, c’est six mariages et un accomplissement. En quelques mois, la vie de Corentin déroule un fil inattendu sous l’œil bienveillant de Jean-Philippe Blondel. Ce roman est, au-delà du constat sociétal, une histoire d’amour et d’amitié.

4 Commentaires

  1. Je ne connaissais pas cet écrivain, mais ce livre a l’air tout à fait passionnant.