La haine antisémite dont Bernard-Henri Lévy fait l’objet n’est pas nouvelle. Elle se déchaîne surtout ces temps-ci sur le Net, où l’on trouve même des groupes Facebook entièrement dédiés aux vomissures que déversent de dangereux minables aux patronymes d’origines les plus diverses – sans que, soit dit en passant, ni les autorités judiciaires de la République ni les responsables du réseau social ne trouvent rien à y redire. Mais un pas vient d’être franchi samedi 31 octobre avec le rassemblement organisé par un groupuscule d’ultra droite catho-intégriste se prenant pour le «renouveau» de notre pays, dont ils incarnent bien plutôt le passé pétainiste le plus écœurant. Une quinzaine de petits fachos ne font pas le printemps (français), certes, mais il est révélateur que ces arriérés se soient lancés dans une initiative destinée à hurler dans la rue, en l’occurrence le boulevard Saint-Germain, ce que les autres se contentent d’écrire depuis leur ordinateur à l’abri de leur chambrette.

Faut-il accorder de l’importance à l’initiative d’un quarteron de débris nostalgiques des ligues factieuses d’avant-guerre cherchant à se faire une place sur le marché de l’antisémitisme ? Oui, car leur pauvre petite mobilisation est malgré tout un symptôme grave du climat sinistre qui tend à se développer en France. Ainsi, le 26 janvier 2014, quelques dizaines de fascistes avaient scandé «Juif, barre-toi, la France n’est pas à toi». C’était une première depuis quelque soixante-dix ans dans une rue parisienne, mais les ordures qui braillaient ça étaient dissimulés dans l’anonymat de la manifestation dite «Jour de colère». Chez leurs frères ennemis – ou peut-être pas si ennemis que ça finalement – islamistes et nationalistes arabes, les invectives contre les Juifs ont aussi fusé à diverses reprises ces dernières années. Mais là encore ceux qui les ont proférées étaient noyés au milieu de leurs petits camarades de cortège. Ce qui différencie la dernière démonstration antisémite ciblant BHL, c’est qu’elle est ouvertement revendiquée par un groupe qui affiche clairement son nom et dont les membres, leur chef en tête, savent qu’ils seront aisément identifiés puisque ils assument d’être sur la vidéo tournée à l’occasion et mise en ligne. Ces gens tentent de franchir ostensiblement une ligne rouge.

Il fut un temps où les petits fachos de ce genre recevaient la correction méritée lorsqu’ils cherchaient à faire suinter publiquement leur pus antisémite. Ce temps est révolu, et c’est une bonne chose. Car la République s’est dotée de lois réprimant le délit de provocation « à la discrimination, à la haine ou à la violence l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». On ne peut dès lors douter que la justice fera son travail en déclenchant les poursuites qui devront aboutir à des inculpations puis à des jugements et, bien sûr, des condamnations.

Les pauvres types qui se sont rassemblés samedi dernier boulevard Saint-Germain se sont cependant bien gardés d’utiliser le mot «juif». Courageux mais pas téméraires, et peut-être que papa et maman ne payeraient pas l’amende si elle était trop lourde. Mais nul n’est dupe, c’est-à-dire qu’aucun magistrat ne peut être dupe des formulations employées, comme par exemple «milliardaire talmudiste». Une rapide recherche sur le Net démontre que «talmudiste» est devenu le terme codé de l’extrême droite pour tenter de contourner les procès pour antisémitisme. Les juges sauront aussi parfaitement comprendre ce que signifie demander que l’on retire à Bernard-Henri Lévy la nationalité française. En cas de besoin ils pourront ouvrir avec profit leurs livres d’histoire au chapitre Vichy.

Il est heureux que plusieurs associations (UEJF, Egam, SOS Racisme) aient élevé de fermes protestations. Mais c’est loin de suffire. On attend maintenant les réactions des politiques, des intellectuels, des autorités. Il ne s’agit pas de défendre la personne de BHL. Il s’agit de défendre ce qui a été visé en lui : le Juif. S’attaquer à BHL parce qu’il est juif, c’est attaquer tous les Juifs. C’est s’attaquer à la démocratie française. Personne ne peut laisser passer ça.

9 Commentaires

  1. Il fut un temps où les glissements sémantiques partant du vocabulaire propre à la Solution finale et s’opposant par extension à la ségrégation raciale qui, de Harlem à Johannesburg, persistaient du côté de la ligne de front qualifiée de monde libre avaient pour seule et unique vocation de causer un électrochoc auprès d’une génération qui ne pouvait pas ne pas être hantée par la Shoah. Entretemps, Farrakhan, Waters, Ramadan. Entretemps, le 9 janvier 2015 et la génération de la permutation entre la croix gammée et l’étoile de David, un fruit de nos entrailles nationales empalant sous nos yeux, de tout son corps sans âme, les cadavres des quatre martyrs de l’HyperCacher. Souhaitez-vous que j’aille chercher Wolinski pour vous faire un dessin? Les piètres consciences qui organisent la lutte contre un collège-ghetto issu de leur conscience malade ont-elles encore besoin qu’on leur explique pour quelle raison, au lieu de donner un coup de main au Néogroupe antisémite dans sa sinistre entreprise de renversement des rôles entre victimes et bourreaux d’hier et d’aujourd’hui, nous les sommons d’apprendre à leur France à respecter l’histoire des Juifs?

  2. Ces énergumènes ne méritent pas que vous preniez votre plume pour expliquer en quoi leur action était immonde. Leurs propos d’une bêtise et d’une ignorance affligeantes suffisent…

    • Il est très important au contraire, de prendre sa plume pour dénoncer les propos orduriers et, au fond, clairement antisémites, surtout lorsqu’ils sont impunis par la justice.

  3. Ce rassemblement est ahurissant. Heureusement que le ridicule ne tue pas !

  4. Le plus important des partis nationalistes français n’a jamais proposé — contrairement aux partis républicains — une ombre de mesurette destinée à stopper une partie — et non pas la totalité — de la France d’origine étrangère dans son inexorable chute communautariste vers la sortie d’une communauté nationale qu’elle ne songe qu’à rallier, tumultueusement ou non. Le fascisme métanationaliste est rouge-brun-vert. Il l’est lorsque Monsieur de Chassey se découvre une âme communiste face à la fortune d’un concitoyen juif. Il l’est aussi dès l’instant que Vlad l’Empaleur par procuration fait passer pour diabolisateurs les derniers justes qui ne se soient pas encore résolus à baisser leur froc devant le Guide suprême aryen.

  5. Je pensais que le racisme et l’antisémitisme étaient punis en France.
    Ici nous avons l’identité des responsables.
    Pourquoi ne sont-ils pas poursuivis pour cet acte?

  6. La rue réelle se transforme d’autant mieux que ceux qui la foulent du pied ne la distinguent pas des rues virtuelles dans les brancards desquelles ils ruent. C’est parce qu’ils peuvent s’afficher sans complexe derrière la vitre d’aquarium «de» Primo Levi que les lois de la République vont rétroconsciemment se superposer aux lois de leur République plus vraie de nature. Admettons-le. Les mots d’égalité ou de réconciliation n’appartiennent pas aux seuls gardiens des principes universalistes. Leur emploi peut, entre autres services rendus à la Fondation de la Résistance de la dernière heure, conférer une stature héroïque à tous les patrouillotes qui s’évertuent à demeurer fidèles au bel esprit de réconciliation nationale institué au lendemain de la capitulation allemande. Un esprit qui se concevait alors même que les temps gaullistes débordaient de l’étang pétainiste. Un esprit aujourd’hui inconcevable, sauf à vouloir nous y replonger jusqu’à ce que noyade s’ensuive. La République intégrationniste est, qu’elle le veuille ou non, entraînée dans la guerre existentielle que lui a déclarée la République intégriste. Se laissera-t-elle monter dedans comme la jument de Troie?

    • P.-S. : L’ex-plume de Le Pen est un homme de réseaux. Il nous fait savoir que l’on ne s’en prend pas à lui impunément. Bien entendu, en bon hors-la-loi, les actions illégales qu’il commandite ne devront pas remonter jusqu’à lui.