C’est donc en ce jeudi 24 septembre qu’Ali Mohammed al-Nimr doit être exécuté sur décision des tribunaux saoudiens. Il a été condamné pour avoir participé aux manifestations chiites armées contre le régime lorsqu’il avait seulement 17 ans. Il en a aujourd’hui 20. Selon le verdict, le jeune homme doit être décapité avant que son cadavre soit crucifié «jusqu’à pourrissement de ses chairs», conformément au code pénal saoudien inspiré par une lecture rigoriste de la charia. Le régime saoudien entend ainsi envoyer un double message : l’un à son ennemi iranien et à ses alliés régionaux comme le Hezbollah, en leur montrant sa détermination à combattre les chiites ; l’autre à Daech, afin de prouver qu’il applique avec encore plus de rigueur la charia contre les «hérétiques» que l’auto-proclamé Etat islamique, dont la montée en puissance menace le pouvoir des rois du pétrole (l’Arabie saoudite fait partie de la coalition contre Daech).

Ainsi que l’ont rappelé plusieurs ONG, ce pays a appliqué la peine de mort à 134 condamnés depuis le début de l’année, soit 44 de plus que l’an dernier. Les tribunaux saoudiens ont par ailleurs condamné à 1000 coups de fouet, 10 ans de prison et une amende gigantesque le jeune blogueur libéral Raïf Badawi [1].

Les cas de ce dernier et d’Ali Mohammed al-Nimr ont heureusement suscité une vague de protestations de par le monde. Même François Hollande, pourtant trop souvent d’une grande discrétion sur les violations des droits de l’homme au royaume bédouin – bon client de l’industrie militaire française et investisseur non négligeable dans l’Hexagone –, a rappelé l’hostilité de principe de la France à la peine de mort et a demandé à l’Arabie saoudite de «renoncer à l’exécution» du jeune chiite.

La barbarie qui fait office de mœurs judiciaires dans ce pays n’a pas semblé déranger outre mesure les instances onusiennes qui ont discrètement nommé en juin un diplomate saoudien à la tête non pas, comme il a été dit par erreur, du Conseil des droits de l’homme des Nations unies (ce qui aurait été pousser le bouchon beaucoup trop loin) mais, néanmoins, du panel de ce Conseil, en langage onusien le «Human Rights Panel». Il s’agit d’un groupe de cinq diplomates, travaillant au sein de l’Office des Nations unies de Genève, dont le rôle est notamment de choisir les experts chargés d’observer et rapporter les atteintes aux droits de l’homme dans le monde. C’est à l’excellent travail de l’ONG UN Watch que l’on doit l’information. Sans cela cette scandaleuse nomination serait passée inaperçue. L’alerte lancée par UN Watch, qui souligne que le royaume du Golfe «détient sans doute le pire des records en matière de liberté religieuse et de droits des femmes», a   déclenché le lancement de pétitions (dont celle-ci) ainsi que les réactions outrées de plusieurs associations de défense des droits de l’homme.

On ne peut que se féliciter de la riposte à cette triste caricature des complaisances onusiennes à l’égard de l’Arabie saoudite. Le tollé international suscité par la décapitation programmée d’Ali Mohammed al-Nimr fait chaud au cœur. Reste qu’il est un silence terrible du côté des institutions musulmanes, et spécialement chez celles qui sont censées représenter les musulmans de France. Sauf erreur, Dalil Boubakeur, recteur de la Grande mosquée de Paris – le même qui a cru bon d’inviter, il y a quelques jours, pour un débat sur «islamophobie et antisémitisme», le très peu pertinent Emmanuel Todd –, Dalil Boubakeur, donc, est muet sur l’affaire. Tout comme le très officiel Conseil des musulmans de France. De même que l’Union des organisations islamiques de France, cette UOIF qui rassemble annuellement des milliers de fidèles lors de son salon du Bourget. Quant à Tariq Ramadan, sans doute trop accaparé par la préparation de son prochain séminaire «Introduction à l’éthique islamique», il n’a certainement pas eu le temps à ce jour de se prononcer sur la conformité à ladite éthique de la décapitation suivie de mise en croix du malheureux Ali Mohammed al-Nimr.

Curieusement, les voix qui s’élèvent pour déplorer le manque de vigueur de la réaction du Président de la République et du Quai d’Orsay ne s’offusquent pas de l’accablant mutisme des autorités de l’islam de France. Pourquoi ne le leur est-il pas reproché ? Pense-t-on qu’il n’y a de toute façon rien à attendre d’elles ? Préfère-t-on éviter de les mettre dans l’embarras ? Redoute-t-on de passer pour «islamophobe» ? Ce silence est pourtant un très mauvais service rendu à l’ensemble de la communauté musulmane. Ses représentants feraient pourtant mieux, s’ils entendent montrer que leur religion n’a, ici du moins, rien à voir avec la charia à la saoudienne, de rallier publiquement le mouvement contre l’exécution du jeune chiite, tout comme elles devraient protester contre la condamnation de Raïf Badawi. Ces religieux ne se sentent-ils donc pas concernés par les horreurs perpétuées en cette terre où se trouve La Mecque, là où s’effectue chaque année le pèlerinage qui mobilise des millions de fidèles ?

Dalil Boubakeur et autres porte-paroles de l’islam en France, encore un effort pour démontrer que vous défendez universellement les doits de l’homme !


 

[1] On peut se procurer un recueil de ses textes : «Mille coups de fouet, parce que j’ai osé parler librement.» Ed. Kero. 3€. Bénéfices reversés pour sa défense.

3 Commentaires

  1. Ce que parfois ne comprend pas la droite, c’est que l’islam, soluble dans la démocratie, requérant pour ce faire des leaders démocrates, en trouve à peu près partout en terre de démocratie.
    Ce que parfois ne comprend pas la gauche, c’est que l’islam, soluble dans la démocratie, requérant pour ce faire des leaders démocrates, n’en trouve, pour ainsi dire, nulle part en terre d’islam.
    Dénoncer une fraction des horreurs que produit la dictature saoudienne est une chose, laisser le cheikh Nimr Baqr al-Nimr faire de nous les instruments de son plan de conquête en est une autre. Nous voilà donc, une nouvelle fois, contraints de passer sous les fourches caudines du Robespierre chi’îte. Le neveu de son pion saoudien paie-t-il pour son lien de parenté? C’est fort probable. A-t-il épousé la cause révolutionnaire de son oncle? Difficile à dire, dès l’instant que le jeune manifestant serait passé aux aveux sous la torture. Ce que nous n’ignorons pas, en revanche, c’est que son père, bien loin d’appeler au calme ses coreligionnaires et menacer le clan Saoud de saisir la CPI, opte pour la prophétie autoréalisatrice d’un soulèvement, non pas de la communauté nationale, mais de la seule communauté chi’îte, en cas d’exécution de la peine capitale prononcée à l’encontre de son fils. Une communauté qui, au printemps 2011, était sortie manifester avec ses femmes dans les rues de Qatif… à l’iranienne, si j’ose dire. Une communauté victime d’un statut de seconde zone… Al-Nimr a-t-il appelé le Croissant chi’îte à respecter le droit de l’homme sunnite à contester le 13e Imam? conçoit-il que l’on puisse concevoir, chez le Prophète, l’instauration d’une république laïque, pour le coup franchement révolutionnaire, et puis, surtout, parfaitement réalisable, aussitôt qu’il aura permis à son frère, grâce au soutien de la communauté internationale, de se hisser à la tête de la toute fraîche République démocratique d’Arabie?
    Rassurez-vous, je suis nettement conscient que je brûle les étapes, et en même temps, cela me permet de me rappeler de quoi je suis solidaire. De nos alliés démocrates qui cherchent à importer un système politique que nous sommes prêts à exporter, s’ils nous fournissent de solides garanties en matière de foi. Des régimes démocratiques les mieux adaptés aux civilisations que ces derniers ont en charge de faire progresser, régimes à l’élaboration desquels nous participerions volontiers, à condition qu’ils le demandent.

  2. CES SAOUDIENS SONT DES SAUVAGES ET DETRUISENT LES VRAIS PRINCIPES DE L’ISLAM CETTE RELIGION BASEE SUR LA TOLERANCE ET LE PARDON.

    LE MONDE ENTIER DOIT SOUTENIR LE PEUPLE SAOUDIEN POUR SE LIBERER DE CETTE PRISON FINANCE PAR LE PETROLE.

  3. Nous n’implorerons pas pour Raïf Badawi la clémence que nous invoquons pour Ali Mohammed al-Nimr. Car, au fond du fond, qu’en est-il du principe de clémence? quel choix nous soumet-il sinon celui d’une inflexion de la justice, d’une inclination à la miséricorde, d’un assouplissement de la sanction prononcée à l’encontre d’un criminel, dont la nature ne se conteste pas. Nous voyons bien que le cas Badawi ne relève pas d’un manquement aux droits des détenus. Il réclame la réhabilitation d’un innocent. D’une certaine façon, que Badawi ait fait l’objet de mille coups de fouet ou d’une heure d’incarcération dans une prison respectueuse de ses droits fondamentaux devrait pareillement nous mobiliser en vue de sa remise en liberté immédiate. La jetée en pâture du corps décapité d’un hezbolliste aux oiseaux de proie de Zarathoustra (ceci n’est pas une métaphore) pose une autre question. Elle révèle l’aveuglement du système judiciaire qui a émis un tel arrêt à l’encontre d’un opposant de son espèce. Or un État de droit — je rappelle que l’Arabie saoudite est une monarchie absolue — est censé être capable de mesurer le niveau de la menace qu’exerce sur lui un Jour de colère pointant, même vers le ciel, ses quenelles noires semi-automatiques. La gradation des peines doit s’aligner sur la graduation des responsabilités. Et, bien évidemment, un Ali al-Nimr ne doit pas payer pour les leaders de la révolution chi’îte qui, jusqu’à preuve du contraire, ne luttent nulle part dans la dimension c1 (c pour civilisation) pour le respect de la liberté de culte; à noter que, dans la dimension c2, sunnites et chi’îtes sont disposés à oublier leurs différends de fond et à unir leurs forces autour d’un objectif commun aux opérateurs mahométiques de base tel que, par exemple, le droit de détruire (sic) Israël. Nous avions suffisamment de recul, il y a quatre ans, pour apprécier la personnalité multiple, et quelquefois duplice, du Printemps arabe. C’est dire s’il ne nous sera pas impossible de régler le volume de notre oscillateur démocratique. L’opposant d’un régime tyrannique n’est pas mécaniquement un adepte du pluralisme en politique. Si l’occasion se présente, il n’hésitera pas à fraterniser avec un adversaire politiquement immature, anéanti par des années de maltraitance, prêt à suivre la première source de chaleur humaine qui aurait enfilé le masque de latex d’un Frère bienveillant. Cette vérité, pourtant si difficile à formuler au tout début de la révolution paniranienne, — à l’époque, le Guide de la Révolution avait casté un méchant de James Bond pour servir de fusible à ses actes d’hypodélinquance, — possède sa propre solution rétrovirale. Pour faire simple, le hamassiste bénéficiera des mêmes droits, agents complexes et nuancés, insidieusement désentoctrinants, débarbarisateurs ou réhominisateurs, dont l’observation stricte exige la libération incitative de l’authentique défenseur des libertés fondamentales, Raïf Badawi, lequel n’a rien fait d’autre que de s’ériger en garant fantastique de l’exercice d’une liberté de conscience dont nous, la matrice des droits de l’homme, prônons le respect planétaire, au même endroit où l’air des humanités se respire et où son désert devient irrespirable. Cette variation climatique n’étant pas à l’ordre de notre ère, c’est au nom du caractère irréfragable de la conscience humaine que, virtuellement s’entend, nous renversons de son trône sanglant Salmane Borgia.