Cet article a été mis en ligne il y a quelques semaines, avant les attentats du 13 novembre.
Il propose un chemin pour rester fidèle à nos valeurs sans baisser notre garde.
Pensées émues aux victimes et à leurs proches. RH


Augmentation du nombre de patrouilles mixtes, extension des billets nominatifs, renforcement des contrôles dans les gares : les mesures annoncées par Bernard Cazeneuve suite à l’attentat du Thalys, convaincront-elles l’opinion ?

Elles apportent en tout cas la preuve d’un gouvernement parfaitement rompu à la gestion de crise, capable de se rendre en moins de temps qu’il ne faut pour le dire sur les lieux d’un attentat, d’exprimer juste ce qu’il faut d’empathie et d’apparente détermination, de décorer ses héros sous 48h et de réunir en urgence les ministres de l’intérieur de 8 pays européens pour adopter conjointement un certain nombre de décisions concrètes.

Sur la forme donc, nous sommes face à une énième situation de crise – en l’espèce relativement limitée en raison de l’absence de morts – parfaitement gérée du point de vue de son « impact réputationnel », comme on le dit en communication.

Mais en dépit de ce sans faute apparent, personne ne semble être véritablement convaincu par les mesures annoncées. Elles ne suscitent au mieux qu’haussements d’épaules et moues dubitatives. Non pas tant parce que l’on doute de l’efficacité de patrouilles supplémentaires ou de contrôles renforcés, mais parce que la réponse semble mal adaptée à l’enjeu, sans rapport avec l’ampleur ni la nature de la menace djihadiste qui s’abat sur la France et au-delà.

Mieux sécuriser les Thalys ? Soit. Mais personne n’ignore qu’Ayoub El Khazzani aurait très bien pu agir dans un autre train. Ou comme les frères Tsarnaïev sur le parcours d’un évènement sportif. Ou comme Coulibaly, dans un supermarché cacher à quelques heures de l’entrée du shabbat. Ou encore, comme le projetait Sid Ahmed Ghlam, dans une église lors d’une messe dominicale. Bref, cet attentat s’est déroulé dans un Thalys, mais le Thalys n’en aura été que le théâtre opportun, un endroit propice car confiné et riche en cibles civiles, comme il en existe tant d’autres pour ceux qui projettent de passer à l’acte.

Dès lors, prendre des mesures de sécurité sur les lieux d’un attentat est évidemment indispensable. Mais n’agir que sur les lieux d’un attentat, c’est faire en réalité aveu d’impuissance.

Tirons les leçons qui s’imposent : face à ce terrorisme nouveau, l’Etat ne peut pas, ne peut plus tout. Nos services de sécurité sont voués à échouer et échouer encore, alors que les djihadistes se comptent désormais en milliers et que les lieux publics se prêtant à ce type d’attentat sont innombrables. Et nous ne sommes pas prêts à assumer le coût prohibitif et les restrictions aux libertés publiques qu’entraîneraient immanquablement la multiplication des portiques et des procédures de contrôle.

Ce qu’il faut en réalité c’est changer de paradigme. C’est accepter l’idée que chacun peut être en partie responsable de la sécurité collective, qu’il peut y jouer un rôle déterminant.

Il faut promouvoir ce qu’on pourrait appeler « une culture de la vigilance » et que l’on pourrait résumer en trois enjeux : apprendre à observer, à signaler, et à sauver. Observer une attitude suspecte plutôt que de tourner le dos, signaler un sac à dos abandonné plutôt que de s’en éloigner en silence, maîtriser les gestes qui sauvent plutôt que de rester pantois : il ne s’agit pas de transformer chacun en supplétif des forces de l’ordre, mais de nous permettre de nous extraire de la logique du « sauve qui peut » ou de l’impuissance. Ceci pourrait sans doute rendre impossible ce qu’a montré ce journaliste belge prenant un train au lendemain de l’attentat du Thalys avec le canon d’un fusil factice dépassant de son sac à dos, sans n’être jamais inquiété par personne.

Ce saut culturel, cette culture de la vigilance, demeure pour le moment un impensé pour la classe politique française, frileuse à l’idée d’une sécurité confiée, même en partie, même dans des fonctions d’alerte ou de sauvetage, à la population elle-même. C’est pourtant le seul chemin pour espérer mettre en échec ce terrorisme d’opportunités. Et nous observons que la logique du « signalement » est totalement acceptée et même encouragée lorsqu’il s’agit de dénoncer une violence conjugale ou une conduite dangereuse.

Paradoxalement, « l’amateurisme » des terroristes, leur manque de discrétion, parfois de préparation et d’anticipation, constituent autant de difficultés pour les services spécialisés. Ils peuvent devenir notre principal atout si la population est impliquée dans ce devoir de vigilance.

Il ne faut pas redouter la dénonciation calomnieuse ou abusive. Elle est le traumatisme d’une époque révolue et dénoncée, qui encourageait à l’anonymat et à la délation. Dans une société qui encouragerait à la vigilance, il serait possible de responsabiliser ceux qui signaleraient un comportement suspect, en enregistrant leurs signalements ou en les obligeant à déposer, exactement comme cela se fait aujourd’hui pour tout autre délit dont on est victime ou témoin. Bref, en les plaçant face à la responsabilité d’un tel acte, déterminant pour la sécurité collective mais jamais anodin d’un point de vue moral.

Il ne faut pas craindre davantage la dérive discriminatoire. Car ce qui doit présider au signalement ce sont des comportements, des attitudes, quelque soit la couleur de peau. On peut même espérer que c’est en aiguisant les qualités d’observation de chacun, que nous pourrons éviter de sombrer davantage dans l’injustifiable contrôle au faciès, ou dans l’hypocrite « contrôle aléatoire » qui n’aura rien d’aléatoire, dans les faits.

Un dernier argument enfin : cette implication de la population constitue déjà une première mise en échec des objectifs terroristes. En transformant chaque civil passif en dépositaire actif de la vigilance collective, la culture de la vigilance permet en effet de mieux résister à l’atmosphère anxiogène que veulent distiller les terroristes.

Prenons en conscience : l’époque de la quiétude et de l’indifférence polie à notre environnement est révolue. Les Français le savent bien : ils sont déjà 54% à déclarer faire davantage confiance aux citoyens qu’aux politiques pour contrer un attentat. Ayons le courage politique d’associer sans attendre les citoyens à la responsabilité de protéger.

2 Commentaires

  1. A priori, votre raisonnement serait correct. S’éveiller à la vigilance et un devoir citoyen, bien plus d’ailleurs dans la mesure où il s’étend jusqu’aux vastes limites de l’Espace Schengen. Les français ne sont pas les seuls à s’entraîner à la vigilance. En Europe de l’Est, qui subsiste bien évidemment par le systéme d’éducation, cela créé une sorte de réflexe naturel, sinon professionnel, de la délation systématique, de la délation calomnieuse au nom de la responsabilisation de camarades socialistes, disons « nationaux ». Ces reflexes acquis sur la durée ont subsisté, même après la chute du communisme et expliquent sans doute le dynamisme moral et politique de certaines identités nationales, comme, par exemple, les anciens Allemands de l’Est (D.D.R.).
    Vous proposez une vigilance à laquelle nous sommes très habitués en Israël. Nous commençons par regarde, observer, voir, capter par les yeux, écouter attentivement et sans effort avec nos oreilles. Le plus souvent, nous sommes instinctivement habitués à ne pas ouvrir la bouche, ne rien dire et surtout taire (mais non masquer…) le fait que nous parlons plusieurs langues étrangères. Que l’Arabe comprend très bien l’hébreu et que le Juif israélien entend l’arabe mais aussi les autres parlers. Le parler ne viendra que plus tard, quand on sait que l’apprivoisement est en cours et que les palpeurs de l’ouïe, de la vue et même de l’odorat auront donner un feu vert pour s’approcher. Il reste un point: ce comportement n’est pas fondé sur la « suspicion » à laquelle, peut-être inconsciemment ou même de manière irresponsable, vous suggérez d’appliquer dans votre pays ou en Europe.
    Il faudrait une force inouïe de tout le pays pour les Français, les structures de l’Etat, les gens ordinaires, les « anonymes », bref des gens comme vous et moi (même quand je ne suis que de passage), puissent se passer sur le long-terme à la gégène d’alerte H24 en responsabilité active. En Israël, surout dans les villes où il y a beaucoup de passage de toutes les origines, nous sommes rompus à reconnaître devant qui nous nous trouvons. C’est même appliquer à l’autre, ce qui est suggéré dans les synagogues: « Sache devant qui tu te trouves/דע לפני מי אתה עומד ». On ne suspectera pas quelqu’un(e) parce qu’il a une peau noire, blanche, métissée, tatouées, trop blanche, bronzée, pigmentée ou autre, ni même si l’accent est bizarre, les mots s’enchevêtrant d’une manière « métèquisée ». On dit en ukrainien-russe: « le sien reconnaît le sien – l’étranger reconnaît l’étranger ». Un gamin de Jérusalem doit en général dire d’emblée quelle est votre origine, ethnique, linguistique… rien qu’au vu de vos habits, de la coiffure, du mouvement des mains et de la tenue générale. C’est simple. Et pourtant cela se perd parmi les jeunes générations. Il y a 40-30-20 ans tous savaient comment appréhender un danger de manière personnelle et aussi en faisant confiance au groupe auquel il appartient. Ce n’est plus totalement le cas. L’internet a piégé beaucoup d’Israéliens juifs qui n’étaient pas devenus benêts ou trop confiants, mais abandonnaient les « warnings » qui ne clignotaient plus au bon moment. C’est comme si un Nama de Namibie n’était plus capable, en plaquant son oreille au sol, de savoir où, quand comment un troupeau ou même le temps va changer. Nous sommes pareils, des guetteurs (= « amandes (shaqed) » autant que « anticipateurs de ce qui peut se produire »).
    Cela ne s’improvise pas. Mais la méfiance, la délation, la médisance que vous allez jusqu’à exonérer comme « anonyme » n’a rien à voir avec le fait d’être vigilant et performant à ce niveau tout en continuant de témoigner de la chaleur humaine et non de la distance cognitive.
    Et puis, est-il utile de continuellement dénigrer les actions des ministres de la République Française. Vous avez les hommes d’Etat qui vous correspondent, comme tout Etat et ceci est un reflet cohérent de la réalité , d’actions à corriger, améliorer mais non dénigrer.
    « Cazenave répare, Cazenave remplace »… et vous?

  2. Je suis parfaitement conscient qu’en raison de mes déclarations, je suis, à l’instar d’une Fourest, attendu au tournant. J’ai beau avoir prouvé à maintes reprises mon hostilité à l’égard d’une théorie naturaliste du choc des civilisations, le fait que je puisse dissimuler des intentions arabophobes permettrait de me chasser d’un territoire que j’occupe sans doute d’une manière beaucoup trop étrange, insaisissable, j’allais dire, intellectuelle. Or permettez-moi de m’interroger sur la partie de ma pensée constructive qui me vaut un tel procès en terrorisme. Le fait que je recoupe 1) la victoire personnelle que ressentait Recep le Remanteleur au moment de la victoire politique du Hamas avec 2) la responsabilité des naufrages de réfugiés que le même élu de la République de Turquie attribue à une Europe qu’il souhaiterait voir s’islamiser (par n’importe quel moyen) de façon que sa population renouvelée lui en ouvre les portes? Oui, je redoute l’instrumentalisation qu’un extrémiste modéré tel que le Sultan démantelé pourrait faire d’une Europe à laquelle nous aurions des scrupules à imposer les droits de l’homme. Oui, je connais l’histoire de la colonisation, en tant que descendant des indigènes judéo-arabes de France et de Navarre, mais aussi en tant que descendant des dimmî de l’empire ottoman. Et si Eurabia est un concept qui n’effleure pas l’esprit des survivants de l’enfer islamiste, Eurabia n’est pas un concept d’origine européenne. Cela justifie-t-il Orbán ou Le Pen? Cela explique leur percée quand le seul authentique barrage que nous puissions dresser contre les fascistes d’ici et de là-bas perd son temps à faire de moi un saboteur.